On m'écrit que les Cent Cols ne sont plus ce qu'ils étaient. C'est vrai, et l'on doit s'en réjouir, car c'est la preuve de notre vitalité. Un peu noyée dans la masse des «jeunôts», la poignée de copains du début n'y retrouve peut-être plus ses billes, mais je dirais presque «tant mieux !» car il aurait été autrement plus inquiétant qu'aucun cyclo ne rejoigne la confrérie.
Avec l'inévitable décalage dû à la hauteur de la barre d'entrée, le club accueille aujourd'hui la foule des cyclos qui depuis quinze ans ont pris en marche le train du cyclotourisme, et cela change fatalement l'optique du club. La petite médaille n'est plus la reconnaissance des brillants états de service du passé, mais un but pour les débutants, dès lors qu'ils ont passé leurs premiers cols sans trépasser dans la manoeuvre, comme certains tartarins l'avaient laissé croire... Alors forcément, les vieux de la vieille sont un peu noyés dans la masse, chatouillés jusque dans les hauteurs du «vilain classement» par des gamins à peine sortis du biberon. A trop se répandre, la breloque perd un peu de son côté «rosette» pour virer à la médaille en chocolat, et certains verraient d'un bon oeil un super club des 1000 cols, avec 100 plus de 2000 pour faire bonne mesure, certains alors de ne plus rassembler que la crème de l'élite cyclo-montagnarde...
Cela durerait Un moment, pour retomber assez vite dans l'ornière passée, car la hauteur de la «cotisation» d'entrée est finalement plus une carotte que la foule se fera une joie d'aller dévorer qu'un moyen de trier le bon grain de l'ivraie. Et puis, trop basse la barre ? Cent cols, c'est peut-être peu de choses pour les astucieux et les anciens, mais pour le néophyte parti à l'assaut de sa première colline, c'est encore la lune. Une petite lune qu'il décrochera à force d'efforts et de savantes additions, des fois qu'il en ait oublié en cours de comptage... Mais non, pas d'erreur, et il faut encore pédaler pour grimper le centième !
Après l'ère de ceux qui collectionnaient sans le savoir, voici le temps de ceux qui le savent. L'approche de la montagne en est vaguement tachée de compétition, mais ceux qui jadis auraient fait éternellement le tour de leur pâté de maison s'ouvrent sur les cimes pour décrocher une breloque, goutte d'eau dans l'océan de découvertes et d'amitiés nouvelles qu'elle engendre. Tous y viennent et outre la clientèle traditionnelle, assise entre les deux chaises des maux de la jeunesse et de ceux de la vieillesse, la tête encore pleine des exploits d'antan et les muscles perclus des douleurs du futur, la breloque attire aussi les jeunes loups frais émoulus de la maternelle, des gamins de 65 ans (ou plus!), lancés dans le vélo après une vie de labeur, et même des dames de tous âges, délaissant enfin les casseroles dominicales pour égayer les pelotons et découvrir le bonheur par le vélo (et la paix des ménages en prime, car bien des choses changent quand madame largue monsieur dans un col !). Tout un petit monde passionnant, lancé à la conquête d'endroits eux aussi passionnants, même s'il s'en trouve pour n'avoir pas tout à fait compris la finalité du club. Nulle gloriole à attendre de la possession de la breloque, pas plus d'ailleurs qu'à grimper sur le "podium". Baser sa vie là dessus serait perdre son temps et s'exposer à de cruelles désillusions le jour venu. Ce n'est pas comme cela que l'on devient une "huile", car la puissance et la gloire ne sont pas offertes en prime avec le diplôme frappé du poisson annécien.
Il donne seulement accès à un gros dictionnaire géographique, fait de mille et un passages, d'autant de vallées et de vallons inconnus, de cailloux, de rocs moussus, de prairies douces à la sieste, de cerisiers accueillants, de pins aroles torturés par l'altitude, avec au sommet des cols une mine d'amitié. Le club des Cent Amis, dont 5 à plus de 2000 !