Profitant des derniers instants de lucidité encore accordés par le mal inexorable qui me ronge depuis quelques années, je jette cet appel à mes frères cyclotouristes qui n'ont pas encore plongé dans l'enfer de la drogue. Tout a commencé par un beau jour du mois d'octobre 80. Le Président de mon club me demanda innocemment si je connaissais le club des 100 cols. J'aurais du me méfier et me rendre compte qu'en fait c'était Belzébuth lui-même qui avait pris cette apparence humaine pour mieux répandre le malheur. Intrigué par la question, je demandais des précisions, c'était déjà trop tard, le mal était fait, le loup était dans la bergerie. C'est ce jour que le fléau a commencé ses ravages. Les choses ont commencé plutôt doucement : nous arrivions en hiver, je me mis à rechercher et à noter les différents cols que j'avais pu franchir dans ma vie de cycliste. C'était plutôt amusant. A la saison suivante je commençais à sélectionner des randonnées qui m'amenaient à franchir de nouveaux cols. Avec le recul, je me rends compte que le premier signe réel de l'intoxication naissante fut le fait que c'est à cette époque que je me mis à faire quelques petits détours dans les itinéraires prévus pour cueillir au passage un ou deux cols supplémentaires. C'est peu après que naquit un sentiment nouveau pour moi, celui de l'insatisfaction à l'issue d'une randonnée de montagne, fut-elle splendide, qui ne me permettait pas d'inscrire de nouveaux cols sur mon petit carnet ! J'en étais là, à la fin de la saison 81, qui vit mon arrivée aux 100 cols, j'ai alors pensé que le mal allait se calmer. Erreur grossière ! De drogue douce la chose allait devenir de plus en plus dure pour arriver aux extrémités de maintenant. |
C'est à partir de 82 que j'ai commencé à mettre sur pied des expéditions montagnardes uniquement destinées à conquérir de nouveaux cols : cela devenait du vice ! Je m'en rendais compte mais absolument incapable de résister. Ayant pratiquement épuisé les ressources d'une région pourtant fertile, je commençais alors une recherche frénétique sur mes cartes routières qui se couvrirent très vite de petits cercles de couleur. Chaque circonférence était un lieu où je pouvais trouver ma drogue. Cela devenait effrayant. Une quête de plus en plus lointaine commençait et seuls les dieux du cyclotourisme savent où elle s'arrêtera ! Plus tard arriva l'époque des «circuits spéciaux». Je partais dans une région fertile en cols (les Cévennes, par exemple) et je parcourais des itinéraires démoniaques truffés de détours compliqués qui me permettaient de trouver des quantités de plus en plus grandes de cols. Non seulement j'étais asservi à ma drogue, mais il m'en fallait de plus en plus. Où en suis-je maintenant ? J'ai acheté le Chauvot, les cartes au 25/1000e et je commence à attaquer les muletiers. Je prépare une expédition dans les Dolomites pour aller chasser honteusement le col étranger. C'est vous dire la gravité de mon état et le point de non-retour que j'ai atteint. LE PAROXYSME EST PROCHE ET JE NE SUIS MÊME PAS INQUIET ! C'est épouvantable. Aussi j'ai tenu à lancer ce message à mes compagnons cyclos encore épargnés par le mal. N'écoutez pas les sirènes, ne lisez pas les articles des 100 cols. Sachez que les Perdoux et autres Dusseau sont des suppôts de Satan décidés au malheur des gens ! Faites du vélo en plaine, laissez la montagne aux autres, créez le club des sans cols. Méfiez-vous! la montagne est trop splendide pour ne pas être un plaisir coupable, nocif et dangereux!... Jean-Claude RICHEZ NYONS (26) |