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Cent cols 1987

Revue N° 15 Page 2

Circulez, y'a rien à voir !

Ce pourrait être l'histoire d'un gars qu'une flopée de gens honnêtes, estimables et merveilleux considère comme l'un des plus fabuleux conteurs que leur petite chapelle ambulante eût jamais vu... A tout propos, ils lui réclament un nouvel épisode de ses aventures, une histoire supplémentaire à lire le soir au coin du feu, ou au lit avant de s'endormir pour sombrer sur le champ dans des rêves inspirés, peuplés de chevauchés époustouflantes et cependant rigolardes au cœur des vallées alpestres.

Ah ! Comme il sait bien raconter, brosser l'ambiance d'une réunion, peindre à petites touches cocasses la vie d'un peloton, ou d'un voyageur égaré dans son aventure... Quel génie n'est-ce pas ?

Et le gars de repartir toujours vers ses stylos de trois sous, poussant devant lui une brouette grinçante débordant de fausse modestie.

Quel génie donc.

Au point de se trouver fort dépourvu lorsque la bise fut venue, imitant en cela une lointaine cousine glaciale... Comme chaque année, un coucou helvête sonna le glas de la sieste, et l'heure de raconter une histoire pour la revue des Cent Cols. Bigre !

A l'issue d'une saison où les pieds sont restés au chaud dans les pantoufles et où l'ambition s'est enrhumée, quelle épopée livrée en pâture aux amateurs avides de sensations épicées, précipicées même, si l'on ose dire ?

Pas même une demi centaine de cols réellement passée dans la saison.

Peut-être alors pourrait-il vous causer de la vanité des choses, du souverain détachement né d'une longue ascèse, manière élégante de dire qu'une fois en tête du classement on se la coule douce, renonçant désormais à courir après un podium fantôme pour lequel plus d'un a sué sang et eau des années durant, s'apercevant qu'un peu tard qu'il poursuivait une chimère. D'où des déceptions à la mesure des efforts consentis. Sans parler de ces jeunes loups aux pignons acérés, partis pour casser la baraque et stoppés en pleine ascension par une indigestion carabinée, ou par une demoiselle. Ainsi va la vie, philosophe t'on avec de gros sabots...

Mais l'on pourrait aussi bien s'extasier sur les quinze ans d'existence de la confrérie. Pensez donc ! Deux milliers et des plumes de membres, venus là sur la bonne mine d'une poignée de fondateurs, acceptés au sein de cette bande de purs parmi les purs sur leur simple bonne foi, sans l'ombre d'une collection de tampons de contrôle !

Il doit s'en trouver plus d'un à qui cette absence d'officialisation quotidienne et de contrôles administratifs a dû donné un urticaire de tous les diables ! Le cycio étant par nature un être vil, malhonnête, tricheur, prompt à toutes les bassesses pourvu qu'il décroche au bout une breloque coloriée, un encadrement policier devrait s'imposer partout.

Et pourtant, quinze ans après les premiers cris effarouchés, la maison est encore debout, havre de bonne humeur déteignant peu à peu sur la campagne environnante. A quoi bon tricher, puisqu'il n'y a pas de contrôle ni d'inspecteur à truander ?

Une autre manière de divertir vos soirées printanières consisterait à causer enfin de vélo, pour vous narrer par le menu l'épique ascension de la quarante-douzième taupinière corse d'une journée ma foi acceptablement juteuse, ou bien d'un petit muletier de derrière les fagots, où selon certains esprits terre à terre l'usage du vélo équivaut à taper sur une casserole pour jouer du Mozart... Mais chacun a déjà fait cela cent fois au moins, puisque c'est le minimum syndical pour paraître sur ces pages ! Terminons plutôt par une bonne leçon de morale cyclotouristique, comme les aimaient nos grands-pères, et quelques autres plus jeunes.

L'affaire se passa entre le 2166° et le 2167° du gars en question, celui qui pérore depuis une demi-page pour ne rien dire. Il venait de dériver en cyclocamping sur la face mongiesquement défigurée du Tourmalet, au sommet duquel il avait avec une joie indicible posée la quasi totalité de son bardas, pour s'en aller ensuite gravir deux broutilles du côté du Pic du Midi de Bigorre. Vêtu d'une flanelle légère et de son appareil photo, il grimpa jusqu'au tunnel rigolo percé dans le roc sévère. Un coup de pompe « maousse pépère » l'attendait à la sortie, pour lui faire sa fête en pas cinquante mètres et l'abandonner, flageolant, à la visite nerveuse de sa sacoche de guidon dans l'espoir d'un croûton moisi. Mais rien.

Le vide sidéral et sidérant.

Toutes les provisions dormaient dans les fontes abandonnées au Tourmalet. Erreur de débutant, et trop fier pour mendier un quignon à un quelconque « bagnoleux » venu ici salir sa voiture, il allait se résoudre à l'abandon aux Laquets lorsque les cieux (pourtant brouillasseux ce jour-là) lui furent favorables...

Un autre vélo se trouait là, piloté par une consœur de la confrérie... On est parfois heureux de n'être pas le seul dingo de la planète !

François Rieu


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