Dans la descente sur l'Italie du col de Malaure, le sentier remonte lentement sur quelques hectomètres, vers ce qui peut passer pour un col. C'en est un : le colle Boina, 2412 m. Un panneau l'atteste, au ras du sol, comme pour minimiser encore cette conquête qui a demandé cinq bonnes minutes. Ce n'était pas Malaure, mais le col Bouchet. Voilà où cela mène de partir avec la 77 pour tout viatique. Quel vent mauvais (mal aure ?) m'a fait perdre le sentier, et où l'ai-je perdu ? Si j'ai vu au retour mon erreur sur la carte au 50 000ème, le Guide Bleu me laisse perplexe, qui affirme : " Col Bouchet, ouverture étroite dans une arête aiguë en très forte pente ". Rien de semblable sur le terrain pourtant, c'est un col bien honnête, et nulle mention du petit refuge ouvert, sis quelques mètres en contrebas. Le refuge Nino Socanti, m'a écrit le gardien du refuge du Roux. Erre et tique, toi qui apprends tout trop tard. J'ai mis deux heures depuis Valpreveyre, la durée de jour qui me restait hier soir quand je me suis arrêté. Il est vrai que le ciel était bas, le Guil boueux, le moral flottant et mes os encore humides se souvenaient des frimas pyrénéens de ce début août, et des orrhys de Carla (pas de Carla, et pour reposer son échine, que dalles, sentant fort le mouton). Pour couper court, il pleuvait et comme le refuge G.T.A. commençait à manquer de clients... Merveilleux Queyras, j'ai failli douter de toi. Il fait grand beau sur ce col frontière - un de plus - et les brumes qui noient le Val Pellice finiront bien par s'en aller. Longue descente routinière, coupée de petits portages, suivi par le doux regard des vaches. En aval de l'Alpe Crosenna, le sentier court sur des encorbellements, offre au regard des cascades, des granges isolées, des petits coins à sieste. On arrive sans s'en rendre compte sur le chemin du col Lacroix, vieux souvenir, et Villanova, et l'asphalte retrouvée. Est-ce bien le même qui plonge aujourd'hui sur Bobbio ? Peut-être en 56 ne me serais-je pas arrêté pour lire à loisir les banderolles hachurant l'espace à hauteur d'immeubles qu'ont déployées les défenseurs de la nature. Photos et instant de méditation devant la phrase d'Einstein au sujet de la quatrième guerre mondiale " qui se fera avec des pierres et des massues ". Est-ce pour cela que les Alpini ont déserté leur immense caserne de Villanova ? J'avais eu là un bon public... Le Chisone est plus plaisant à remonter par la petite route de la rive droite, qui vous évite, jusqu'à Pomaretto, les affres de la circulation. Chemin faisant, j'aurais appris une chose intéressante : que tout est fermé le mercredi après-midi. J'achète à Fenestrelle cette triste chose appelée pain de mie, résigné d'avance à vivre de privations demain sur la route des crêtes. Enfin, j'avais fait d'amples provisions à Abriés. Bonne suée pour finir l'étape dans la fraîcheur de la roide côte des Finestre, mais la route est belle maintenant, jusqu'au pré Catinat, où ma roue libre essaie, pour la troisième fois de l'été, de cracher ses billes. Je renonce à grimper au refuge Selleries, au diable dans la montagne et pas du tout sur mon chemin. Deux fermes isolées, deux refus, un fort ceinturé de précipices infranchissables. Tant pis, il faut redescendre 150 m, tenter sa chance au sanatorium Agnelli, énorme bâtisse abandonnée, en cours de restauration, semble-t-il. Les abords ont reçu un revêtement plastique luxueux alors que les carreaux brisés montrent à l'intérieur un spectacle de désolation. Dehors, partout, des squelettes de lits enchevêtrés, des chaises longues déglinguées. Je hisse une de ces épaves en haut d'un escalier extérieur, sur un petit palier abrité, revêts le sommier de tombées en plastique et voilà qui sera mieux que le préau de l'école de Montségur, les gîtes néolithiques du haut Vicdessos déjà cités et les nœuds du plancher dans le hameau fantôme de Mongarri. Ici, au moins, pas de rats, ils ont dû fuir, découragés. De toute façon, ce n'est pas ce genre de bête, M.A., qui peut effrayer un oiseau nocturne, de l'Aveyron ou d'ailleurs. J'ai assez bien dormi , merci. Un peu oublié, ce col de l'Assietta, en sens inverse il y a quelque vingt ans. Cette fois je le " compterai ", bien que ne l'ayant pris qu'à la côte 400, malgré le conseil narquois du cartographe de la confrérie. Mais pas plus que jadis, ne compterai la litanie de passages qui s'étire jusqu'au col Basset (dire que celui-là je l'ai grimpé deux fois, un mauvais plaisant me l'ayant fait gravir par surprise et par Sauze d'Oulx, comme si la vie était si longue...). Mieux vaut se garder des prétextes pour revenir et faire aussi cette route mystérieuse qui fuit vers le ciel depuis l'Assietta... Erre, éthique ! Ce mot vient de l'Est (signé D.F.), me plait bien, et remet innocemment les choses en place. Il s'adresse à qui se pose des questions ou ne s'en pose pas assez. Aux coupeurs de cheveux en quatre et à ceux qui font flèche de tout bois. A ceux-dont je suis-qui, " à force de s'appuyer sur les principes arrivent à les faire céder ". Merci Alphonse Allais pour cette sentence où finit par sombrer toute philosophie. |
En bas, la brume traîne le long du Chisone pour s'évanouir à la hauteur de Pragelas. Dans le soleil et le vent aigre se déroule le chemin ocre et cahoteux, qui lentement conduit vers Sestrière. L'œil et la pensée volent vers le col d'Ambin, impossible vu de là, et de toute façon fort malaisé. De droite et de gauche, des arrivées de chemins, itinéraires futurs, des vestiges militaires... Sestrière, Cesana... que ça a l'air bête, hors saison, une station de ski, et triste une bourgade vouée à la vente du vermouth sans ses gogos. Rien d'ouvert, pas plus qu'hier. Le pauvre hère étique qui grignote comme il peut son Montgenèvre sur un 28/26 encore trop grand, sent poindre le coup de barre. Le sac est vide et le muscle faible. Sa seule consolation est de ne faire attendre personne. Il perd son temps dans le supermarché du col et cherche le départ du G.R. où il n'est pas. Finalement le sentier qui démarre en contrebas finit par le rejoindre et dans les lacets, courant parmi pins et mélèzes, je me retrouve enfin. Il fait bon, l'œil se repose sur du vert plus gai que ces chaumes roussis du Genevris. Heureux moments vespéraux alors qu'on a l'estomac garni, qu'on a trouvé son second souffle, et que l'espoir tenace de rencontrer un gîte permet de lutter contre le temps qui file... Brisant l'euphorie, à l'aplomb de Val des Prés, il faut tout de même signaler un passage dans un couloir d'érosion à franchir d'un pas précautionneux, sans faire le malin. Après, c'est le pas de la Fanfare, col inattendu et beau nom que j'apprendrai au retour, d'où un sentier en dévers file vers le col de Dormillouse, à perpète en contrebas. Au col de la Lauze, une croix où un panneau accroche un peu des derniers feux du soleil. Vaste paysage à admirer au pas de course, vu l'heure tardive. J'aurai encore le temps de passer le col, puis d'épierrer et d'écrotter un coin d'herbe tendre pour contempler à loisir les étoiles. On ne dort pas trop bien dans un alpage et le froid aux pieds empêche de goûter pleinement la poésie des constellations, mais il y eut des nuits plus rudes. Rien n'a servi de courir, il m'a manqué quarante cinq minutes pour descendre aux Acles, le temps perdu hier à Montgenèvre... Un jour, si le chemin le permet encore, je remonterai aux Acles pour faire Dormillouse et la Lauze " du bon côté ". Beau principe quelque peu piétiné voilà quelques semaines puisque j'ai épinglé sans vergogne col de Raus, Baisse Cavaline et Pas du Diable, le premier conquis après 150 m de dénivelée depuis la Baisse de St-Véran et servant de marchepied au second. Aucun " remords " par contre concernant le troisième. Je referai peut-être, géographiquement, un jour le col de Raus, tout comme, un jour, B.M., on finit par " régulariser " avec le Télégraphe quand le B.R.A. tourne du mauvais côté. Ce col fut mon premier débat de conscience, il y a trente trois ans. En 1950, je m'étais même fixé une altitude minimum de 500 m. Puis, voici quinze ans, remettant à jour certaine liste, le col de Lava-un col corse !!! - et ses 498 m m'avait " fait regret ", m'ayant coûté beaucoup de sueur en juillet sur le coup de midi. Derechef, j'avais ramené le seuil à 400 m et m'y suis tenu depuis.. Très arbitraire, tout cela, sans aucun doute, mais on ne peut être totalement infidèle aux exigences pures et dures de sa prime jeunesse. Et ce petit comptage enfantin est un des moyens de la préserver, n'est-ce pas, chers confrères qui vous posez des questions du même ordre. 42 cols au moins dans l'Esterel. Paul, tu m'auras fait comprendre que les compter était une façon radicale de ne pas se prendre au sérieux. Dans le pas d'Escalière (Aude), n'oubliez pas de renvoyer le censeur, vous dira Philippe qui place le débat sur un terrain où on ne peut le contredire. C'est vrai que le relief est ce qu'il est, et que la joie ressentie n'est pas en liaison directe avec l'altitude, ni avec l'effort fourni. (L'âge venant, j'aurai même envie de dire : au contraire !). C'est égal, on a beaucoup polémiqué sur de l'irrationnel, et chacun parlant son langage, il était fatal qu'on (se) disputât . Reconnaissons que les adorateurs du Monde que nous sommes, à des degrés très divers, ont fait ce qu'il fallait. Classement, quand tu nous tiens... Chacun sa vérité. Pour moi, ce ne sera que trois cols nouveaux en quatre jours, car je vais, ce matin du 31 du mois d'août moins glorieux que celui de la chanson, me casser le nez sur le col de l'Oulex, faute d'avoir trouvé le bon départ et ayant erré sur des traces sans issue. Un peu de flair n'aurait pas nui, mais les marques avaient disparu et j'ai entendu de l'habitant une belle diatribe anti jeune. Il faut bien des coupables... Le soleil était trop haut. Je suis allé tourner à Briançon où m'attendait un steack immangeable et bien cher. Me restait le Lautaret pour dissiper ma mauvaise humeur, encore que le vent de travers n'incline pas à la sérénité. Marcel Bioud 38640 Claix |