Grand traqueur de cols devant l'éternel, la Bible Chauvot sous le bras, je m'apprêtais une fois de plus à sanctifier le Seigneur Vélo, en déposant quelques modestes offrandes (en l'occurrence des gouttes de sueur) au sommet de ces prestigieux sanctuaires que sont les cols à plus de 2000 m d'altitude. J'avais, une fois de plus, choisi pour lieu de pèlerinage, la Lourdes des cyclotouristes montagnards : la magnifique cité de Barcelonette. Nous étions 3 à vouer un culte sans retenue au cyclotourisme de montagne : Sœur Marie de l'Ordre des Cols Durs, et Mère Supérieure du Club des Cents Cols, Frère Richard et moi-même, tous membres des mêmes confréries. Sœur Marie et Frère Richard venaient là chercher les quelques sommets qui manquaient à leur palmarès (Cayolle, Allos,Vars, Champs...) et moi-même pour accrocher les quelques réticents qui m'avaient échappé lors de précédentes retraites. C'était non sans fierté que le 14 juillet, nous avions gravi le fameux Parpaillon, signé le livre d'or de Crévoux, et franchi le non moins difficile col Agnel. Bref, la sérénité régnait dans nos âmes et dans nos corps. Aussi, c'est plein d'espoir et de foi, que nous nous apprêtions à célébrer un nouveau culte, en effectuant le pèlerinage suivant : Barcelonette (1132m), Col de Restefond-la-Bonette (2800m), Saint-Etienne de Tinée(1144m), et retour, avec, pour Richard et moi, une variante quelque peu muletière par le Col de la Moutière. Mais revoyons plutôt le film de cette journée. Quand nous attaquons à Jausiers, la montée vers le Col de Restefond, le temps est beau mais sans plus : quelques nuages se profilent là-haut sur les sommets. Cela n'entame en rien notre moral et nous prenons tranquillement notre rythme dans la longue et parfois difficile montée vers cette cime à 2800 m. Les torrents clairs, les prairies, puis les flancs caillouteux des montagnes qui sont notre décor quotidien depuis quelques temps, ne cessent de nous enthousiasmer par leur beauté sans cesse renouvelée. Nos amies les marmottes continuent de nous accompagner de leurs cris stridents que nous prenons pour des encouragements. Le temps ne s'arrange pas, et le ciel devient même carrément menaçant, mais on grimpe toujours. A deux kilomètres du sommet, on abandonne Marie qui n'affectionne pas particulièrement le cyclo-muletier . Rendez-vous à Saint-Etienne de Tinée, de l'autre côté du col. Nous redescendons par un chemin dans un vallon caillouteux. L'état du sol nous oblige de temps en temps à porter nos vélos, mais, tant bien que mal, nous arrivons à l'embranchement de la route qui mène au col de la Moutière. Et là, ô miracle, on retrouve le goudron, tout frais, même un peu trop car les Ponts et Chaussées n'ont pas plaint le gravillon. Le col est franchi sans encombre. Et 2454 mètres dans la poche. Photo, et on repart. La descente, que nous pensions être un chemin " Parpaillonesque ", est une très belle route gravillonnée de frais, ce qui la rend dangereuse, mais très praticable par tous ceux qu'effraient les routes non asphaltées. Nous rejoignons le petit village de Saint-Dalmas le Selvage, puis la route du col de la Bonette et dévalons jusqu'à Saint-Etienne de Tinée où Marie nous attend. Une sympathique pizzeria nous accueille et, après nous être sustentés, nous repartons à l'assaut de la Bonette face Sud. Ah oui ! le temps... : et bien, ça s'était plutôt arrangé, et nous pensions avoir échappé à l'orage. Mais la montagne est facétieuse, et les gros nuages qui nous avaient effrayés ce matin, semblent revenir en force là-haut sur les sommets. |
On dirait même qu'ils ont amené des petits copains avec eux. De toute façon, on n'a pas le choix, il faut passer. Les premiers kilomètres ne sont pas trop difficiles. Quelques gouttes annonciatrices nous mouillent bien un peu mais rien de dramatique. Le soleil refait même quelques timides apparitions. Pourtant, là-haut, comme c'est noir ! Tant pis, on continue, on s'abritera s'il le faut. A mi-parcours, on passe le village de Bousieyas, qui, d'après la carte, semble être le dernier avant le col. Et là, tout commence. Nous n'avons pas fait un kilomètre que le tonnerre se met à... devinez quoi ? : tonner, comme il ne sait le faire qu'en montagne, c'est-à-dire en se répercutant de vallon en vallon. Et puis la grêle se met à... devinez quoi ? : grêler, pas des œufs de pigeon comme on dit très souvent, mais de petits grêlons fins qui nous piquent douloureusement les jambes. Nous serions bien tentés de nous abriter, mais c'est le désert complet par là. Rien. Pas la moindre cabane de berger, pas le moindre abri de cantonnier, alors quand on y est, on continue, mouillés pour mouillés, picorés pour picorés. Et ça va durer pratiquement 3/4 d'heure. On continue à rouler dans l'espoir de trouver un abri, mais rien. Et le tonnerre de gronder, et la grêle de tomber. Dieu que ce spectacle est grandiose et lugubre dans ces montagnes sauvages. Nous croisons un troupeau de moutons quelque peu affolés par l'orage. Puis la grêle cesse de tomber, mais elle ne fond pas et reste en une pellicule de 3 à 4 centimètres sur la chaussée. Quand nous traversons l'ancien camp militaire, sinistre alignement de baraquements abandonnés, il ne pleut ni ne grêle plus. Nous avons hâte d'en finir alors nous poursuivons. Il reste huit kilomètres avant le sommet. La neige que nous apercevions sur les hauteurs commence à apparaître et à tenir sur la route. Plus nous progressons, plus l'épaisseur devient importante et nous roulons dans les ornières formées par les voitures. Il fait froid et nos doigts crispés sur les guidons s'engourdissent. Le sommet approche malgré tout. Mais dans ces conditions, sera-t-il possible de redescendre sur Jausiers ? Ça pédale dans nos petites têtes... Il y a bien l'ami Pierre, qui est resté à Barcelonette, et qui est au courant de notre randonnée... S'il avait l'idée... Mais... Mais..., cette voiture là-bas, codes éclairés, avec un porte-vélos, c'est... mais oui, c'est bien lui. C'est bien ce cher Papy. Il arrive à notre hauteur, avec un grand sourire qui nous réchauffe le cœur, mais ne fait pas fondre la neige. Il reste 4 kilomètres avant le sommet, et nous sommes au col des Granges Communes à 2513 mètres. Maintenant que Pierre est là, plus de problème pour la descente, alors nous continuons jusqu'au col de Restefond et là, transis, nous laissons Pierre charger les vélos sur le toit de sa voiture, dans laquelle nous nous engouffrons en grelottant. Nos doigts, qui se réchauffent, nous font terriblement souffrir, et les larmes nous viennent aux yeux : joie et douleur mélangées, on est heureux, réconfortés par cette chaude ambiance d'amitié. Là-haut, à la cime de la Bonette, 2 autres cyclos qui effectuent le Tour de France, ont trouvé refuge dans une estafette-bar, et nous demandent de prévenir la gendarmerie de Jausiers, pour qu'on vienne les chercher, ce que nous faisons au passage. J'espère pour eux que leur aventure s'est aussi bien terminée que la notre. Ah ! on s'en souviendra de ce 18 juillet et de cette balade pour quelques " 2000 " de plus... R. Jonac ASCU Lyon |