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Un col cyclo-muletier dans le Colorado - Le Mosquito Pass : Pour les moustiques de cyclistes !

Revue N° 15 Page 37

Ce matin, 29 juin, je me réveille de bonne heure : 4 h ! D'accord, le soleil se lève dès 5 h, mais quand même... Bon, las de me retourner dans mon duvet, me sentant en pleine forme, je finis par bondir et lève le camp un peu avant 6 h. direction Fairplay dans un premier temps, puis la Guanella Pass et Georgetown ensuite.

La route passe au pied des sommets dominant le vaste plateau sur des miles et des miles carrés, essentiellement fréquenté par des vaches (yes, limousin cows !). Tout en roulant, j'observe ces sommets neigeux, sur ma gauche ; je sais qu'il s'y niche deux cols sur des pistes se rendant à Leadville : le Weston Pass et le Mosquito Pass, permettant un circuit d'une journée. Le Mosquito, depuis que j'ai décidé de venir rouler dans le Colorado, je rêve de me le " farcir ". A plus de 4 000 m, c'est un des rares cols accessibles, certes difficilement, par certains véhicules. Mais depuis que la neige m'a, en plusieurs occasions, posé bien des problèmes, j'ai rayé ce col de mes possibilités pour cette année. Pour une autre fois peut-être...

Et puis, et puis... Ce serait, à quelques jours de la fin de mon périple Denver-Denver, une petite joie supplémentaire, un point culminant de mon séjour (c'est le cas de le dire !), si c'était possible d'empocher ce pass. J'essaie bien d'en distinguer le seuil dans le fatras des créneaux de cette muraille montagneuse qui barre l'horizon ; tout ce que je constate, c'est qu'il reste encore pas mal de neige.

Mais l'idée s'est progressivement infiltrée dans mon cerveau de bien piètre volonté, pour un être aussi peu doué pour le sens du raisonnable que pour la cuisine et le bricolage ; rien du vrai bon Français moyen, je vous dis ! Y'a pas, il faut que je sache si c'est faisable ou non. A Fairplay, je m'informe dans deux gas stations (stations service) ; le col devrait être ouvert, mais il pourrait bien subsister de la neige. De toute manière, à vélo, vous n'y pensez pas, c 'est une piste pour 4 roues motrices ! Le Ranger station de la Forêt Nationale est encore fermé à 7 h 30, mais ma décision est prise, je vais tenter le coup. Je plante ma tente dans un bosquet à la sortie de la ville.

Après une erreur d'aiguillage, j'emprunte enfin la bonne piste, qui longe le Mosquito Gulch, puis s'élève, pénétrant rapidement au cœur de la montagne. Une piste à droite, une piste à gauche, laquelle choisir ? En ce samedi matin, il n'y a personne à la mine, proche. Je prends celle de droite, moins bonne, mais qui continue à grimper, et je vitupère contre ma stupide idée de la veille de m'être débarrassé de mes cartes des Forêts Nationales qui ne m'auraient pas laissé ainsi dans le doute.

Pour me rassurer, je vois non loin de la route un groupe de " mountain-bikers ". Parmi eux, deux Vénézuéliens parlant un excellent français, chose rare par ici ! Il faut dire que leurs pères sont Français. Enfin d'autres fous sur deux roues, je doutais un peu d'en rencontrer aussi loin de toute agglomération d'importance - qui plus est, sur une mauvaise piste de haute, haute montagne -.

Si mon vélo, certes un robuste " touring bike ", est théoriquement moins adapté que les leurs pour un parcours aussi rude, j'ai par contre un avantage qui se révèlera (malheureusement) décisif : je n'ai exceptionnellement pas de bagages, sauf " bien entendu " la sacoche de guidon bourrée d'outils et de pièces de rechange, de victuailles pour la journée ; enfin sur le porte-bagages arrière des vêtements de pluie. Ce qui finit quand même par nous faire dans les 10 lbs (en pounds, dix livres, soit 4,5 kg) !

Rassuré sur l'itinéraire (en fait, les deux routes étaient bonnes !), je repars.

En un " switchback " (lacet) très pentu, la piste s'approche d'une première brèche dans la montagne. Des passages pierreux m'obligent parfois à continuer, pied à terre, tout comme cet autre mountain biker devant moi. Me voyant toujours tenir debout sur ma machine lorsque je le dépasse, il me lance un " you're incredible ! ". Pas le moment de s'arrêter, je lui donne rendez-vous au col à lui aussi.

Mais voilà : un peu plus haut, une première plaque neigeuse, toute fondante, barre la piste ; qu'à cela ne tienne, je la contourne par les pâturages, espérant qu'il n'y en ait pas trop par la suite. J'arrive au premier col, où je me repose un grand quart d'heure à admirer le paysage de haute montagne qui m'entoure : à cette altitude (3 500/3 800 m), la montée a vraiment été rude, et j'ai besoin de reprendre mon souffle ! D'autre part, j'attends les autres cyclistes, qui en fait n'apparaîtront pas. Ils ont du penser qu'il y avait de la neige jusqu'au sommet, et ont probablement abandonné, ne voulant pas s'engager imprudemment avec leurs vélos chargés.

Bon, mais je n'en ai pas terminé, il reste encore bien deux miles (3 km) jusqu'au col, et une seconde barre neigeuse, que, cette fois, je dois traverser, la neige jusqu'aux genoux, projetant mon vélo en avant ; heureusement, cela ne dure qu'une cinquantaine de mètres. Deux motards tout aussi tenaces arrivent derrière ; ne pouvant traverser la neige comme moi (ils ne sont pas moustiques, eux !), Ils cherchent, à travers les alpages, par un itinéraire parfois acrobatique, un passage jusqu'au col. Ils seront contraints eux aussi à l'abandon.

Un dernier passage enneigé, encore plus long, mais enfin, m'y voici. Pour l'honneur, je me remets en selle pour les 300 derniers mètres à parcourir. Mosquito Pass, 13 186 pieds, 4 030 m ! Mal d'altitude, ou plus sûrement émotion, j'explose de joie, je rigole tout seul, comme stupidement ; je n'ose y croire, jamais je ne m'étais engagé si haut, encore moins à vélo.(1) Par cette belle journée très claire, un panorama immense se découvre vers l'ouest, sur la rangée splendide des sommets de la Division Continentale ; partout, des pics à perte de vue. Derrière, la vallée à pic que je viens littéralement de grimper ; devant, celle descendant sur Leadville, encombrée de deux jolis lacs. Au loin, au pied de lointaines montagnes, le très beau Turquoise Lake dont on devine la couleur...

De cette vallée arrivent deux autres motards, puis une Land Rover : tous devront remettre à une autre fois le franchissement de ce col, encore fermé par trois bouts de neige... Cette incroyable piste " fréquentable " pour les deux miles de part et d'autre, seulement par les Jeeps, est l'ancienne route de Fairplay à Leadville, deux centres miniers de la fin du siècle dernier. Accès le plus direct, il était même fréquenté par les diligences. Il fallait en avoir, du courage, à l'époque ! En cette fin juin, la neige obstrue encore le passage, ce qui explique qu'on a finalement décidé de valoriser d'autres passages, tel le Hoosier Pass au Nord et le Trout Creek Pass au Sud, qui certes, obligent à un grand détour pour relier ces deux centres. Après deux miles d'une raide descente caillouteuse, qui me voit arc-bouté sur les poignées de freins, j'arrive enfin sur une portion meilleure descendant sur Leadville. Une petite ville bien conservée, restaurée, avec même une église, naturellement en bois, et son clocher. Un monument, ici ! Mais la journée n'est pas finie : la route de retour comporte trois cols, le Weston Pass, le Blackneak Pass et le Browns Pass, tout cela à 3 300-3 500 m d'altitude...

(1) par la suite, je monterai au Mt Evans (4 348 m), mais par une route !

Auteur inconnu.


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