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Comment passer d'un col à une prison...

Revue N° 16 Pages 7 et 8

Que ne suis-je un colvert pour pouvoir aisément survoler les cols ! Donc je me les coltine loin des champs de colza. Rassurez-vous, je ne souffre pas de colmanie. Lorsqu'ils sont durs, j'aurais même besoin d'un colorimètre en cols pour mieux les voir de loin. Dans les rares montées en ligne droite, je regarde, pour ne pas être découragé par le spectacle démoralisant, les collerettes des petites fleurs du bas-côté, au lieu de contempler la difficulté à venir. Dans ceux, les plus nombreux, en colimaçon, avec ou sans collègue cyclo, j'ai la désagréable sensation de sentir mon pneu arrière coller à la route. Il y a, hélas, peu de collets. Le col de cygne de France a pour nom, col de Belle Barbe, à 45 mètres, dans le Var. La belle barbe, quels excellents prémices. La France métropolitaine comprend 15 cols de moins de 100 mètres. J'ai réussi à passer celui de l'Esquillon, prés de Mandelieu, à 83 mètres, parce qu'on me l'a signalé au passage. A cette altitude, on peut les apercevoir sans collyre, les avaler sans collutoire. Je ne ferai pas un colloque sur le sujet, avec ou sans transition. Je suis, en passant, un de leurs colocataires temporaires. Comme ils ont pour moi la couleur de la gêne, je ne serai jamais un des colonels de la colonie du club des Cent Cols, qui incorpore bon nombre de colosses, dont l'étonnant Pierre ANSEL. Il avait à son palmarès, fin 1986, 1033 cols dont 544 à plus de 2000, 53 % de son total, comme s'il avait collectionné les autres en allant les chercher vers le titre de champion des + de 2000. Le second était à 365, loin de lui. En somme, je n'ai pas le coloris voulu, avec mes 'largement moins' de 200 cols, dont tout de même La Bonette, proclamé à tort le plus haut d'Europe à 2802 mètres, et la Lombarde à 2350 mètres, enchaînés le même jour.

Je connaissais l'existence du club depuis huit ans, lorsque je me suis décidé à chercher à établir le bilan de mes escalades depuis 1975, année de mon arrivée en France, de retour du Maroc, depuis le premier, le col de la République en journée Vélocio, en 1 h 09' 03'', par précaution. Mais comment les récapituler ? La solution a été simple : un mauvais exemple à ne pas suivre. Je descends tous les ans, depuis Vichy, vers Pâques en Provence, à travers l'Ardèche. Et, toujours depuis Vichy, je pars en randonnées permanentes. Je suis donc allé trouver le capitaine de route des fêtes pascales ; un autre ami, également membre du club, auquel j'ai remis les cartes tracées de mes randonnées permanentes, sur des Michelin au 200000ème. A l'un comme à l'autre, j'ai demandé de répertorier les cols que j'avais escaladés sans en prendre note. Tous deux m'ont remis leur liste un peu plus tard. Voilà comment j'ai été crédité de mes 75 premiers cols. Je me souvenais d'avoir réalisé avec l'A.S.G. Vichy, un Audax Vichy-Le Galibier-Vichy, par le Lautaret. A 77 dont seulement 2 + de 2000, je devais compléter par mes descentes en Provence et mes randonnées permanentes, mais en établissant l'état moi-même, cette fois. Et puis, pour engranger quelques 2000 supplémentaires, je suis allé en 1986 chez un ami cyclo à Grasse, fouiller une partie de l'arrière pays de Cannes et Nice, prodigue en la matière. C'est ainsi que j'ai adhéré au club, avec 158 cols dont 10 + de 2000. Je continuerai par ces trois sources, sans ambition, compte tenu de mon âge.

Je trouve passionnant de découvrir la France, progressivement, grâce aux randonnées permanentes. Au moment de la rédaction de ces lignes, j'en ai effectué 29, totalisant 25619 kilomètres plus 12673 km d'approches : 27606 en tout ; sur 113000 km en cyclo, c'est déjà un bon pourcentage. J'ai tracé, petit à petit, sur une Michelin au 1.000.000ème, avec un feutre noir, mes différents parcours. Cette carte est devenue spectaculaire. Je l'ouvre tous les ans, vers les mois de Mars-Avril, pour choisir le secteur encore inexploré, où je vais aller, les beaux jours arrivés. Je vais encore l'améliorer, car à la retraite désormais, je partirai deux fois l'an, au lieu d'une. Quoi de plus astucieux pour visiter la France, en vélo, que les randonnées permanentes ? Entre 13 (les Cévennes d'Anduze, Alés, à Pradelles, au-dessus de Langogne) et 23 de moyenne, selon les difficultés du jour, avec 8 kilos de bagages. En débutant éventuellement le B.C.N. ou en faisant les B.P.F.

Mais je ne vais pas résister à l 'envie d'évoquer mes deux souvenirs extrêmes de randonnées permanentes.

Dans le tour des Abbayes Normandes, en 1981, où les photos personnelles, c'est très astucieux, font office de contrôle, je devais trouver, à Saint-Sauveur le Vicomte, dans le Cotentin, une abbaye de nones en activité, ce qui est rare. On m'indiqua, dans le village, la route à suivre : vous la trouverez en haut de cette côte. Arrivé au point indiqué, je ne voyais rien. Miraculeusement passait sur la route un piéton égaré, à un kilomètre du village. Regardez ce mur d'enceinte, me dit-il, il entoure l'abbaye que vous n'apercevez pas ; elle est en contre-bas. Effectivement, je trouvais la porte, commençais à visiter les extérieurs, pour terminer par la chapelle moderne, de la dimension d'une église.

J'y étais depuis une dizaine de minutes, regardant de droite à gauche, de haut en bas, lorsque tout à coup, j'entendis l'orgue attaquant du Bach. Me retournant, j'apercevais alors au pupitre, mon piéton égaré ; c'était le titulaire de l'orgue. Il a joué pour moi seul, pour faire plaisir à un solitaire de l'effort, durant une bonne demi-heure. Quel repos de seigneur ! Inutile d'affirmer combien je l'en ai remercié.

L'autre souvenir date de 1986. j'étais dans le Raid Cyclo du Midi : 1010 kilomètres, pas faciles bien entendu, comme toutes les randonnées permanentes, sauf la plus belle à mon sens : celle des châteaux de la Loire-18 châteaux visités en une semaine et 710 kilomètres. A 62 ans, je couche dans les petits hôtels dont la France est truffée sur les routes secondaires. Lorsque je décide de m'arrêter, entre 18 h 30 et 19 h 30, je trouve très souvent un hôtel dans les 10 à 20 kilomètres qui suivent. Je n'ai jamais eu de problème pour me doucher à l'étage, dîner et dormir en payant ma note avant d'aller me coucher et repartir le lendemain, à la pointe du jour. Même à Camaret, en Bretagne, dans le Tour du Littoral Breton en 1980, le 14 juillet. Un hôtelier a téléphoné pour me faire attribuer une chambre d'hôte en ville.

Donc, le vendredi 13 juillet 1986, je me décidais, profitant d'une longue descente, quelques kilomètres après le col de Quillan, à parcourir l'étape Montlouis-Sète, 219 kilomètres, terminée à 19 h 45, à temps pour commencer, sans risque dans mon esprit, la quête d'une chambre d'hôtel. Une tentative, deux, trois, cinq, bientôt dix. Au dixième hôtelier, je demandais que faire. Il me répondit : mon pauvre monsieur, les chambres d'hôtes n'existent pas ici. Nous avons plus de 600 chambres à Sète, mais pour en avoir une à cette époque de l'année, il faut avoir retenu au moins deux mois plus tôt.

Moi qui le matin en partant, ne sait pas où je serais le soir ! Que puis-je faire ? Allez voir au commissariat de police si l'on peut quelque chose pour vous. Bon enfant, le commissaire me reçut gentiment, tenta alors, en vain, de téléphoner aux hôtels de Frontignan-plage distante de quelques kilomètres de Sète : mon pauvre monsieur, je ne peux rien pour vous ; passez la nuit dans la salle d'attente de la gare, à 200 mètres d'ici. Je me présentais poliment au guichet de vente des billets pour en demander l'autorisation : Impossible, la gare est vidée et fermée de 23 heures à 5 heures du matin.

Pour quelle raison ? Parce qu'avec les bateaux Sète-Tanger, les Marocains la transformaient en terrain de camping. Patatras ! nouvel échec. N'ayant pas dîné, j'allai au buffet de la gare, pizza et hot-dog seulement, je narrai ma mésaventure à la serveuse. Mon pauvre monsieur, j'ai peut-être une solution pour vous dépanner. Mon père est directeur du camping de Frontignan. Il loue trois caravanes à la nuit, je lui téléphone. Ce qu'elle fit, sans plus de succès que le commissaire. Et si je couchais sous une table, dans un coin " Ca ne va pas marcher : la patronne ferme elle-même. En faisant le tour, elle vous verrait ". Me voilà derechef au commissariat, dont le responsable, navré, impuissant, me dit alors : Ecoutez, tout ce que je pourrais faire pour vous, c'est de vous mettre en tôle, si vous me disiez avoir volé votre vélo. Quelle bonne idée ! J'enchaînais aussitôt : en avez-vous une de libre ?

" Oui, mais je vous avertis : ce ne sont que d'étroites geôles provisoires, avant transfert dans une prison centrale. On couche par terre ; le banc, de la largeur de la cellule, est trop étroit ; il n'y a qu'une simple couverture, à mettre sur le dallage. Elle donne sur un couloir allumé en permanence. La radio fonctionne haut et fort, et n'importe quand, au milieu de la nuit. Nos équipes changent toutes les quatre heures. Chacun raconte sa vie de la journée en arrivant, à proximité ".

Réveillé, je l'ai été une bonne douzaine de fois, me rendormant de la fatigue du juste cyclo cependant, et c'était le but recherché, à l'abri de l'humidité de la nuit en bord de mer. Je sortis le lendemain, ma porte était, bien sûr, restée ouverte, sous les yeux rieurs des nouveaux visages. Pour entamer tranquillement 158 kilomètres, malgré un fort vent contraire, dénommé l'Eze.

Voilà pour les souvenirs extrêmes de mes randonnées permanentes, de Bach à l'orgue de Saint-Sauveur le Vicomte, à la prison de Sète qui reste finalement un bon souvenir par sa drôlerie inattendue. A ceux qui me disent : comment faites-vous pour voyager seul, je réponds : on m'a affirmé que je ne trouverai jamais de fou pour m'accompagner. Mais, rassurez-vous, en réalité je ne suis jamais seul. Outre Dieu qui m'aide et qui me guide, j'ai toujours les mêmes deux fidèles amis avec moi. Nous roulons de concert, côte à côte. Ils ont pour nom, Courage et Volonté. N'avez-vous pas les mêmes compagnons, ami lecteur, que vous pédaliez en groupe ou en isolé ? Sur les rares portions plates de France et de Navarre ou dans un Col.

Géo ALLEGRE

A.S.G. Vichy


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