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La Goutte

Revue N° 16 Page 38a

Une goutte, une belle goutte, une énorme goutte vient s'écraser sur la sacoche de guidon comme une prune bien mûre. Elle est immédiatement suivie par une autre puis encore une autre, puis par des milliers d'autres qui s'aplatissent en étoile au terme de leur voyage.

Parmi les gouttes, il y a LA goutte. Elle est là, devant mes yeux, lumineuse, argentée, limpide. Elle se balance, gracieuse, sur le rebord de la visière de ma casquette.

Elle est née spontanément d'une infime parcelle de ses mille compagnes qui ont suinté jusque là. A peine née, elle s'anime, prend vie. Elle se met à courir comme guidée par un rail invisible sur le fil de la visière, en épousant parfaitement la courbe. Arrivée à une extrémité, elle marque un temps d'arrêt très court, puis repart aussitôt dans l'autre sens, vers l'extrémité opposée.

Imperturbable balancier, elle va et vient ainsi au rythme de son grossissement.

Et c'est bien là le drame, car à chaque allée et venue, elle grossit, s'alourdit. Elle court moins vite, s'empêtre dans ses rondeurs. Le vide l'attire de plus en plus au fil de ses voyages et, épuisée et vaincue par sa masse, elle finit par lâcher prise, pour aller rejoindre le flot anonyme de ses congénères.

Aussitôt tombée, une autre prend sa place, lumineuse, argentée, limpide. Elle glisse à son tour, fluide et aérienne sur ce rail invisible, puis s'enfle, hésite et tombe.

Une autre alors apparaît, infime perle d'un ballet sans cesse renouvelée le temps d'une averse.

Pierre MOUNIER

ASCUL - LYON


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