25 ans après ma première montée au Granon, il me reste encore un col à franchir, sur cette large échine contre Guisane et Clarée. C'est bien là, faire durer le plaisir, si toutefois cette laborieuse grimpée en est un. En ce pays de hautes routes, on va au "muletier" comme on va à la fontaine. Ceux qui boivent de cette eau me comprendront. Pour qui détient une autre vérité, cette chronique cyclo-montagnarde (genre ou ornière dont j'ai du mal à sortir), essaiera de n'être ni "suffisante", ni "méprisante". D'ailleurs, sur ce genre de relief, je "suffis" tout juste. Seule me pousse -nous pousse - une passion qui ne demandait qu'à s'épanouir sous ce ciel lumineux des Hautes Alpes... Ce col de l'Oule, jumeau des Cibières, descend paisiblement sur Névache. En bas, les joueurs de pétanque ont annexé les chemins et je me faufile entre les boules avant de retrouver le plaisir bref du goudron jusqu'à Plampinet. Inutile de changer de chaussures pour si peu. Le chemin des Acles, livré à lui-même, est d'année en année plus pierreux. On n'en médite que mieux, en poussant la bécane, allégé du sac à dos, parmi les mélèzes. Je n'avais jamais cherché, car ce n'était pas l'heure de le faire, mais maintenant je sais : pas de gîte aux Acles, sauf la chapelle, pour qui aime dormir sur le plancher. Je me retrouve donc, à la nuit tombante, allongé dans les alpages de Dormillouse, presque dans la même herbe qu'il y a trois ans. Un col trois quart dans la demi-journée ; je m'endors content sous les étoiles. Dormillouse et la Lauze sont des cols herbus et faciles, comme la descente, sans histoire, sur Montgenèvre. Cesana, Oulx, Bardonnèche... Après Rochemolles commence le pensum, l'affreux chemin montant vers ce mythe poussiéreux - au sens propre - du Sommeiller. "Baudruche alpine" usurpant selon des dires autorisés son titre de "plus de 3000" et dépourvue de surcroît de second versant. J'en connais un qui le snobe résolument pour cette raison. Moi, j'y suis monté un jour, et ai trouvé qu'il en valait quand même la peine. Il faut savoir parfois redescendre par le même chemin. Enfin le barrage, et la fin du bain de poussière. Le dernier, car je n'aurai plus rien à faire par-là. "Vous n'avez pas un moutain bike ?" m'a-t-on demandé au col de l'Oule. Tiens, c'est vrai, on en parle beaucoup! Cet engin conférerait-il audace et robustesse, vertus que je possède moyennement ? J'en doute. Certes, le VTT est une tentative louable pour faire admettre le vélo hors de son cadre habituel puisque l'homme est censé être juché dessus, mais en ce lieu, qu'en ferais-je ? Dans ce passage bizarrement appelé col de Pelouse, car il n'a rien d'un green, ce sont les bornes de l'absurde qui risqueraient d'être franchies. Je ne me vois guère portant sur mes frêles épaules ce char d'assaut dans ces prairies abruptes et dégradées où le sentier fait ce qu'il peut pour subsister. Et puis, pour ce qui est des descentes, peu doué pour faire l'acrobate dans les prairies, je préfère jouir de l'instant, quand le terrain s'y prête. Cette pierre jetée dans les rayons du VTT, je reconnais qu'une bicyclette est ici plus encombrante qu'utile. C'est le prix à payer, et la solitude généralement préserve du ridicule. Je ne sais trop où se situent les limites du raisonnable. Au prix de quelques risques dans de rares cols glaciaires ou rocheux, j'ai connu de tels bonheurs... Vélo, instrument de liberté, élixir d'oubli, aboutissement du génie humain pour qui ne compte que sur soi ! "Vous avez peur qu'on vous le vole?" m'a-t-on demandé un jour sur un sentier de Vanoise. Eh bien, on me l'a volé quand même, voilà un an,... dans les rues de Voiron. Il m'a donc fallu vouer au martyre le moins vieux de mes deux vélos, mais il avait l'âge pour cela. Ce col de Pelouse, donc, où l'on peut toujours apporter son herbette, prix de deux heures de portage et d'une suée intense, n'offre pas à la vue de sommets sublimes, mais un versant Maurienne plus bucolique. Un long sentier en prairies puis en forêt dense, aboutit à une maison forestière vers 2000 m, d'où plonge une route au goudron souvent noyé sous une nappe de cailloux et coupée de nombreuses rigoles métalliques. A descendre "con cautela", comme ils disent en Catalogne. A Bramans, il fait nuit. Je partage le gîte d'étape avec une jeune Wallonne qui remonte, solitaire et sac au dos, de Nice vers Les Houches. Le sommeil finit par nous faire taire, vers onze heures. Pluie nocturne, aube sinistre, vallée bouchée, Saint-Pierre d'Extravache, un peu à l'écart de la route, est invisible à cent mètres, avant que la brume consente à se défaire un peu. Seuls demeurent un petit clocher, une abside protégée par un vaste portail de bois. Le Guide Bleu vous en dira plus sur cette populaire image de la Maurienne. |
Amoureux de beauté simple, en route pour le Petit Mont Cenis, le Clapier, Etache voire Ambin, faites le détour. Moi, je n'avais pas encore trouvé le temps. L'hôtelier avait raison : le ciel se dégage et mes espoirs se raniment de trouver une trace pour le col des Lacs Giaset, via les granges ruinées de Savine. Je prends donc le large chemin du Clapier et je cherche, mais vainement, la moindre empreinte de sentier. Je suis bon pour une réédition du Petit Mont Cenis, avec la découverte de la rive droite du lac, point trop cahoteuse, et du départ du chemin du Malamot, où je monterai peut-être un jour... en VTT ! En attendant, garde ton mystère, col des Lacs Giaset ! Il faut bien se casser le nez de temps en temps sur l'obstacle. Et c'est Suse, et la barbante remontée de la Doire, en moulinant petit pour cause de vent descendant. A Chiomonte, on danse. Tournez, guibolles qui ne savez faire que ça, à part mettre un pied devant l'autre et recommencer. Vous qui ne savez point vous déplacer en cadence au son de la musique, ni même vous trémousser dans le bruit qui en tient lieu. Qui n'avez jamais compris à quoi servait de courir après un ballon. Rudes handicaps sociaux, qui sans doute, me font courir d'un versant à l'autre, comme d'autres sont motivés par l'amour de la nature (c'est d'un banal !!!) . Ce mouvement circulaire, bête et patient m'a conduit jusqu'aux épiceries d'Oulx d'où s'élancent de raides lacets pour la Madonna Cotolivier (et non Catolivier). Le cœur cogne, remplaçant le bruit des moteurs, le goudron cesse à Pierremenaud, et à Vazon il est temps de chercher un abri. Pas évident, dans un hameau d'estivage, aux granges vides et aux maisons souvent fermées. Mais qui cherche trouve, en étant poli, et même plus qu'il ne veut. Un certain Gusto, dont le chien voulait me goûter, me prête un hangar où traînent deux vieilles couvertures molletonnées, tandis que, chez une dame, m'attend une grande écuelle de petits pois. On converse en français. Il y a parfois d'épatantes fins d'étape. Et le dévidage du 28/26 reprend sous le ciel pur, le regard courant de Césana tout en bas jusqu'aux falaises du Chaberton. Second détour - un km AR - pour rendre visite à la Madonna, sur son promontoire. Bel endroit où l'on resterait bien. Une petite plaque émaillée conte la légende bien connue de l'hospitalité refusée et du châtiment divin qui s'ensuivit. Ceci ne concerne pas les braves gens de Vazon. Le chemin continue en paliers pour mieux s'achever à l'entrée d'un grand désert blanc et pierreux. Un peu de portage dans un beau décor calcaire. Le versant ouest de ce col de Désertes est moins plaisant au niveau du torrent. Pour plus amples détails, relire "Joies de la forêt", page 8 du n° 15. L'alpage des Acles possède une belle fontaine, bienvenue dans ce pays sec. Il en part un sentier de grande randonnée dont on perd vite les traces dans ce paysage en proie au ravinement. On débouche dans des prairies, départ d'un beau parcours panoramique : vallée de Bardonnèche, trilogie Vallée Etroite, Roue, Fréjus : au loin, moins recommandables, pelouse et Etache ; puis un ressaut conduit près d'une roche ruiniforme qui doit donner son nom au col : la Pertusa. Longuet ensuite, le cheminement dans les ruines militaires et les lacets dévalant sur le col de l'Echelle, mais tellement plus intéressant que la descente caillouteuse sur Plampinet. Oui, joli parcours que cette liaison Oulx - col de l'Echelle. Je rejoins les Guibertes, près de Monêtier les Bains, où ma voiture m'attend, près d'une maison amie. Village cher à mon cœur, d'où je partis jadis à la conquête des cols du Briançonnais et du Queyras. Les rues maintenant ont des plaques, des immeubles ont poussé alentour, il faut ouvrir les yeux du souvenir. J'arrive à l'heure tardive où l'on refuse mollement les offres de gîte et de couvert. Il y aura des petits pois. Comme j'ai dit être parti pour cinq jours, je laisse l'auto à Guillestre pour me hisser à Vars-Sainte Catherine d'où part le chemin du col de la Cou lette. Qu'on se le dise, c'est presque un col routier, non goudronné, à trente minutes près. De l'autre côté, sans trop redescendre, se trouve une belle source en haut du Val d'Escreins d'où l'on grimpe tranquillement au col de Serenne, quelque 500 m plus haut. Côté Ubaye, d'amples lacets permettent de contempler à loisir les sommets frontaliers. Les granges s'effondrent, la vie pastorale meurt, mais St Paul est pourvu d'un libre service. Je remonterais bien cette haute Ubaye que j'aime beaucoup, mais il faut opter pour le col de Vars et son méchant raidillon sous Mélézet. J'ai trimballé mon duvet pour rien. Dernière suée, dernière plongée avant de reprendre le volant comme tout le monde. Cap sur le Trièves. Y aura-t-il des petits pois ce soir ? Marcel BIOUD 38500 VOIRON |