Metro-col

Quels bougres d'ânes ont rédigé les manuels scolaires, puisqu'ils passent généralement sous silence la raison pour laquelle Paris est né là et pas ailleurs. Rétablissons donc d'urgence la réalité historique. La Ville-Lumière a été fondée précisément là où vous pouvez la voir aujourd'hui, autour de l'île de la Cité, à cause de la présence conjuguée à proximité : (a) d'un COL, (b) et accessoirement, d'un fleuve (la Seine).

Eh oui!

Mais où ça le col direz-vous ? Entre le mont Martre et les Buttes Chaumont, dans la coulée empruntée actuellement par les tranchées des trains des Gares du Nord et de l'Est et le Canal St Martin. Antérieurement à ces aménagements, qui ont quelque peu dégradé l'environnement bucolique, passait là depuis toujours une voie de communication majeure, le Paris-Roubaix d'avant les pavés.

Son nom ? Col de la Chapelle.

Son altitude ? Une équipe de cartographes chevronnés se penche actuellement sur la question, laquelle a été rendue plus délicate du fait du creusement des tranchées sus-nommées.

Ses particularités ? Il en a beaucoup. Parmi elles, trois sont très remarquables.

1) C'est un col où passe un canal : le Canal St Martin prolongé par le Bassin de la Villette.

Devinette: quel est le deuxième col français dans le même cas ? (Réponse dans le prochain numéro).

Il parait que certains cyclos des 100 Cols ont été séduits par le spectacle, inhabituel pour eux, des péniches glissant doucement dans la campagne, à la S.F. de Roubaix. J'invite ces cyclo-poètes à venir rêver au bord du Bassin de la Villette, d'où l'on peut s'échapper de Paris par la piste cyclable longeant le Canal de l'Ourcq.

2) C'est le seul col où passe le métro aérien. Pour ceux qui ne seraient pas encore descendus de leurs montagnes, c'est aussi l'une des célèbres curiosités de Paris. Au Col de la Chapelle, expérience unique, on voit même passer beaucoup plus de métros que de cyclos.

3) C'est indéniablement le col le plus culturel de France, puisqu'un théâtre connu s'y est installé : celui des Bouffes du Nord.

En dehors de cela, c'est aussi probablement le seul col où l'on trouve à la fois : une station de taxis avec borne d'appel, une école (Lycée Colbert), une station service, une trentaine de voies de chemin de fer sur lesquelles transitent plusieurs milliers de trains par jour et je n'ose pas vous dire combien de banlieusards (c'est certainement le col de France le plus fréquenté), un hôpital (Lariboisière), une caserne de pompiers, deux squares avec des gardiens de squares, des pigeons et des bancs publics, un bureau de poste, un hammam, des aubergines, des sex-shops, un commissariat de police, une piscine, des clochards, des petits-beurs Place du Maroc, des bières belges rue de Maubeuge, de la choucroute rue de Tombouctou et du couscous rue d'Alsace. Sans compter que la rue Lépine y voisine avec la rue des Roses, que la rue de l'Evangile y aboutit sur la Place Marx (Dormoy), et qu'il n'y a peut-être jamais eu de chapelle. Par contre, des chats, oui, à la pelle.

Bref.

Paris sera toujours Paris, mais j'ai maintenant découvert qu'il n'est Paris que parce qu'il a été conçu autour d'un col. Et voilà sans doute pourquoi nombre de titis parisiens, comme moi, ont perpétuellement des démangeaisons dans les mollets, et vont fantasmer sur les cimes : nous sommes nés montagnards sans le savoir. Un dernier mot sur le côté pratique. Pour y aller, suivre plein nord à la boussole à partir de Notre-Dame, à travers la faune bigarrée de la rue St Denis, puis continuer rue du Faubourg St Denis. Quand vous passez sous le métro : Vous y êtes.

Joëlle Briot-Giraudin