On a pleuré une infante défunte. On a gravé dans le marbre la mort de nos héros. Le poète a chanté ce que vivent les roses... L'équilibre de la tour de Pise nous interpelle ! Mais nous a-t-on fait part de la disparition d'un modeste Col Cévenol, cette décennie ? Samedi 23 avril 1988, je quitte Bollène (84) pour rallier Pallavas les Flots. Les 200 km du parcours d'aujourd'hui doivent me permettre d'augmenter mon capital "100 Cols" de deux unités en pays de Cévennes. Le Rhône traversé, après un regard sur les Eglises Saint-Saturnin et Saint-Esprit, magnifique ensemble en encorbellement sur le fleuve, je quittais Pont-Saint-Esprit par la forêt de la Valbonne où se niche la formidable construction de la Chartreuse, étalant ses tuiles bourguignonnes vernissées sur son écrin vert. Un au revoir à la dernière léproserie de France, et c'est bientôt Goudargues, lovée sur la Cèze. Une longue montée m'amène à Mejannes-le-Clap, bizarrerie de cette soi-disant civilisation des loisirs. La pluie vient interrompre mes réflexions où s'agitent des urbanistes fous admiratifs d'Alphonse Allais et de ses villes à la campagne. J'enlève mon poncho à Saint-Ambroix. Me voilà dans ce pays minier magnifié par l'œuvre de Chabrol. Le Col de Trélis m'ouvre la Vallée de l'Auzonnet, et le ciel ses vannes... mon rabat de sacoche prend l'eau et ma feuille de route fait couler son rimmel. Néanmoins, je peux lire qu'arrivé au Pontil, je dois aller tout droit. Au bout de 500 mètres, une chaîne barre la route ou ce qu'il en reste ! 20 centimètres de terre gluante me dissuade d'enjamber le barrage. Le souvenir, vieux d'un mois, du passage du Col de Romeyère à partir de Chamaloc (26) où nous avions appris le sens du panneau "Viabilité incertaine" me revient. Les roues bloquées dans les garde-boue, les bien nommés, nous avions pataugé dans la gadoue jusqu'au sommet du col en portant nos montures qu'il nous fallut tremper dans la fontaine du village pour continuer notre route. |
Que faire ? A l'abri sous le pont, il faut bien me rendre à l'évidence : abandonner le passage, contourner la montagne du Rouvergue par le CD 128 afin d'arriver à la Grand'Combe. L'ascension entamée, je me remémore un chemin qui à partir de la nouvelle départementale, semblait rejoindre le col par le haut... "Si c'est goudronné, j'y vais !" La pluie redouble mais pas assez pour qu'à travers mes lunettes devenues translucides, je ne puisse apercevoir l'embranchement, et sous la boue, le goudron. Ce qui est dit, est dit, et Zou, tout à gauche : on y va ! 500 mètres à couper le souffle, la pluie dans les yeux, j'arrive sur un replat que ferme un portail de chantier. Sur ce dernier, des pancartes sont fixées : "Houillères des Cévennes" chantier interdit au public. Celui là je pourrai dire que je l'ai pas vu mais... "Véhicules légers allumez vos gyrophares" j'en étais dépourvu ! aussi j'avançais prudemment et là, à la place de Mon col, ils creusaient 80 à 100 mètres plus bas, une mine de charbon à découvert ! Ainsi, plus personne ne pourra plus passer la référence 30-24 de Chauvot, le Col du Mal Pertus (387 m d'altitude, à l'origine...) Les 80 km restants furent parcourus sous le déluge. Les gouttes de pluie qui coulaient sur mes joues furent certainement les seules larmes qu'on n'ait jamais versées à l'occasion du constat de décès d'un col routier... Michelin 80/07/109.209. Patrick UNGER - N° 2464 U.C. Mornas (Vaucluse) |