Cent cols... pour des saucissons !

En bon lecteur de la revue fédérale "Cyclotourisme" j'avais bien entendu parler de ce club des "Cent Cols" sans y prêter une grande attention, considérant sans doute que cette association était plus réservée aux habitants des régions montagneuses qu'au cyclotouriste originaire du plateau de Langres que j'étais. Et puis même si mes ascensions répétées du Mont Lassois et des "bosses" du Châtillonnais me donnaient l'impression d'être un grimpeur, les grands cols ne restaient que des petits points mythiques sur des cartes où nous rêvions d'autres exploits. Jusqu'à ce jour-là lorsque je rencontrai un apôtre discret du club, Jean-Louis Borach de l'ASPTT Lyon.

C'était un samedi, le 20 février 1988 pour être exact. Avec quelques camarades de promotion, nous avions pour habitude d'organiser des sorties dans les Monts du Lyonnais, notre école vétérinaire à Marcy nous servant de camp de base. Là, j'étais seul. Adoptant mon rythme "grand père" (il parait que je donne l'impression de reculer dans les montées !), je pouvais apercevoir à la sortie de Craponne un petit point dans la ligne droite qui mène à Maison Blanche. Ce cycliste semblait avancer régulièrement. Avant d'entamer l'ascension du Col de Malval, plus je me rapprochais, plus le personnage m'intriguait.

Il faut dire que les garde-boue se faisaient déjà rares sur les routes du Lyonnais, mais cette fois la bicyclette s'apparentait à la randonneuse label FFCT. Elle arborait même une énorme sacoche à l'avant et une belle sacoche de selle "made in USA" comme j'en cherchais depuis longtemps, sans doute excentrique, le bonhomme semblait abordable. Arrivé à sa hauteur je n'avais plus qu'à lancer un banal "Salut' qui trouva écho. A l'entrée de Maison Blanche je venais de recevoir en pleine face la réponse et le sourire illuminé de ce cyclotouriste visiblement heureux de pédaler.

Sécurisé par mes dix années de fédération je me hasardai à relancer le dialogue : "Vous êtes licencié à la FFCT ? ". Diantre, la réponse fusa et la conversation alla bon train. Il se rendait à Saint-Martin-en-Haut, content d'avoir trouvé un interlocuteur, je préférais poursuivre la randonnée en sa compagnie.

Jean-Louis nous fit quitter la D489 pour emprunter un petit chemin vicinal plus propice à notre conversation et qui nous permettait de rejoindre Yzeron par sa cascade. Intarissable, ce grand bavard n'arrêtait pas d'évoquer ses randonnées cyclo-camping, les Brevets Montagnards Français, le Club des "Cent Cols". Il glissait dans la conversation des noms déjà rencontrés ici et là au détour d'un article de la revue fédérale : François Rieu (Laplume), Robert Chauvot...

Cette montée sur Yzeron ne fut pas son chemin de croix, mais un beau parcours initiatique. Le Val d'Yzeron était splendide sous le soleil et je commençais à découvrir l'utilité du troisième plateau à l'avant. Tout amusait ce grand enfant, sa crevaison, la mine des promeneurs comme les roues avant soulevée dans le dernier raidillon avant le village. Je pensais redescendre sur Lyon, mais avec un bon accent lyonnais il m'invita à le suivre: "Je vais chercher des saucissons à Saint-Martin, c'est à côté". Décidément j'étais de plus en plus intrigué par ce chasseur de cols à la quête de son Graal : les saucissons de Saint-Martin ! "J'en ai jamais trouvé d'aussi bons à Lyon et j'en descends pour toute la famille".

A Croix Perrière (col ou pas col messieurs ??) nous décidons de passer par Dueme, histoire de récupérer de la montée précédente. A Saint-Martin, après avoir acheté ses saucissons il sortit du magasin en me tendant un paquet: "Tiens, ils sont pour toi". Je ne savais pas quoi répondre; rêve ou réalité ce geste me touchait énormément. Je venais tout simplement de découvrir les "Cent Cols": monter au dessus parce que le spectacle sera magnifique, monter au dessus pour dire "J'y suis passé", monter au dessus parce que ce petit chemin sera agréable, monter au dessus parce qu'une randonnée partagée vaut bien quelques "Pour cent" de trop, monter au dessus parce qu'il est plus drôle d'aller chercher ses saucissons à bicyclette plutôt qu'en voiture !

Modeste enfant des plaines et des plateaux, j'ai pu rejoindre péniblement le mythique club des "Cent Cols" le 8 décembre 1990. Certains y entrent parce qu'ils naissent chasseurs de Cols ou parce que des amis ou des membres de la famille y poussent, ou tout simplement parce qu'un "Cent cols" va chercher ses saucissons au sommets des monts du Lyonnais.

Merci Jean-Louis pour les moments passés ensemble sur les routes de la région Rhône-Alpes. Un modeste Véto-cipède

Eric LASTENET N°3191

Lyon (Rhône)