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Les cent cols : un jeu olympique

Revue N° 21 Page 42

Né sur les pentes du Col du Luitel, à proximité de Chamrousse et des jeux de Grenoble, le Club des Cents Cols a été lancé officiellement en l'année olympique 1972. Il a fêté son 20ème anniversaire des jeux d'Albertville, et a retrouvé pour ce faire le Luitel, en hommage à son créateur : Jean Perdoux.

Le parallèle entre le Club des Cent Cols et les Jeux Olympiques va-t-il plus loin qu'une simple figure de style inspirée par l'actualité sportive et par une coïncidence de dates ?

Lorsque Jean Perdoux proposa de rassembler en une confrérie les cyclos ayant grimpé 100 cols différents, dont 5 au-dessus de 2000 mètres, il venait d'établir l'essentiel du règlement du Club des Cent Cols. Simple dans sa conception, facile à retenir et à mettre en pratique, ce principe librement consenti et accepté par les sociétaires n'a pas varié, à ceci près que le terme de "règlement" a été progressivement remplacé par l'expression "règle du jeu". Car c'est bien d'un jeu qu'il s'agit. Un jeu sans vainqueur, ni vaincu, sans arbitre, ni tricheur. Chacun est son propre juge et les seules victoires se remportent sur soi-même. Les chasseurs de cols selon l'expression convenue, lorsqu'ils se lancent dans des expéditions plus ou moins lointaines ou hardies et en vue de décrocher quelques cols inédits pour eux, ont bien conscience de se prendre au jeu. Un jeu prenant, envoûtant, qui engendre des passions, qui a ses mordus, ses 'accros' : ceux qui y passent le plus clair de leur temps de loisirs, l'été sur les routes, l'hiver sur les cartes !

Aujourd'hui plus de 3600 cyclos se sont pris à ce jeu. 3600 auxquels pourraient s'ajouter tous les poètes, anciens et modernes, qui grimpent des cols à longueur d'année, sans les compter et jouent sans le savoir ou sans l'avouer.

Si le Club des Cent Cols a rencontré un tel succès, c'est qu'il correspondait à une motivation profonde préexistante déjà chez de nombreux cyclos : les cols ont de très longue date attiré les cyclos et l'idée d'aller faire un nouveau col a toujours été un de leurs thèmes de randonnée favoris. Cet attrait ne s'est jamais démenti et je me suis interrogé sur son origine.

En premier lieu la beauté des paysages rencontrés joue un grand, rôle. La montagne : c'est grand, c'est beau ! Même si le béton a envahi et transformé certaines stations et si les grands axes sont passés de l'état de routes de montagne à celui de boulevards, il reste encore des routes, des chemins et des sentiers tranquilles qui mènent à des cols sauvages où l'on peut apprécier la nature, la montagne, l'espace sans risque d'être déçu.

Mais plus fondamentalement, je crois que c'est la notion de passage qui est la clef du problème. Notion qui se retrouve dans toutes les langues : col se dit passo en italien, pass en allemand, path en anglais et le français conserve encore le terme de 'pas' qui a la même origine (ce que semblent oublier tous ceux qui commettent des pléonasmes du style Col du Pas de Peyrol!) L'Espagnol parle de puerto et les pyrénéens de port, autrement dit : porte. Par définition un col est une dépression sur une ligne de crête qui permet dans la plupart des cas de passer d'une vallée à une autre. Vous attaquez un col par un versant quelconque : vous pouvez observer le paysage, les villages, les ruisseaux, la végétation qui évolue au fur et à mesure de votre ascension. A un moment donné, vous verrez apparaître l'échancrure du col. Mais comment est fait l'autre versant ? Si vous n'êtes jamais venu dans la région, vous l'ignorez, le col ouvre sur un mystère : c'est un monde caché que vous allez découvrir. Et certains cols sont justement célèbres pour la différence très marquée qui se révèle entre les deux versants : c'est le cas du Col de Rousset avec d'un côté la forêt et l'air vif du Vercors et de l'autre la végétation et le climat presque provençal du Diois.
Si par dessus le marché, vous montez le col face au soleil, vous vous trouverez dans la pénombre de la montagne, impression qui peut être accentuée encore par l'ombre de la végétation du bord de route. Dans ce cas là, le col vous fera passer de l'ombre à la lumière : c'est comme un nouveau lever du jour, comme une renaissance. La différence d'orientation s'accompagne généralement d'un écart de température qui crée des échanges entre les masses d'air : il y a toujours un peu de vent, même léger, au sommet du col. La lumière et le vent, voilà bien deux des signes extérieurs qui annoncent à coup sûr le passage d'un col.

Mais les ne marquent pas seulement un passage, ils invitent à le franchir. Et cela, ils ont une valeur dynamique. D'abord parce qu'il y a l'attrait de l'inconnu, c'est particulièrement vrai pour les cols frontaliers qui sont une porte vers un pays étranger. C'est aussi vrai pour les cols qui marquent des limites de région, de département : le Col de Fix est une barrière naturelle entre le Velay et le Brivadois, le Lioran sépare Aurillac et Saint-Flour aussi durablement que les querelles séculaires pour obtenir l'évêché ou la préfecture du Cantal !

Qui dit limite, dit aussi désir d'aller au-delà. Les cols sont donc une invitation permanente à transgresser des limites. Mais s'il n'y a guère de risque à franchir par exemple les limites de l'Auvergne au col de Saint-Thomas pour aller dans le Forez, il faut respecter ses propres limites physiques. Pour monter un col, il faut vaincre les forces de pesanteur. C'est un effort plus ou moins grand à fournir qui sollicite le cœur et les muscles. Avec l'entraînement on arrive à se jouer de ces difficultés; chaque passage de col est une nouvelle victoire : sur la pente et sur soi-même, chaque ascension est une élévation en altitude certes, mais aussi en connaissance de soi et en connaissance du monde. La chasse aux cols prend alors une dimension spirituelle.

Tout se passe comme si les cyclos en grimpant les cols cherchaient à quitter leur vallée de larmes, à faire un petit pas vers un paradis ou un au-delà qui les dépasse. Les jeux de l'Antiquité grecque séjournaient sur le Mont Olympe: je ne sais pas s'il y a un col sur les flancs de l'Olympe mais ce que je sais c'est que le Col du Luitel est resté célèbre dans les annales du Tour de France pour une échappée de Charly Gaul surnommé "l'Ange de la Montagne". A défaut d'atteindre l'Olympe, à défaut de devenir des héros, à défaut même d'être des grimpeurs ailés, contentons-nous de pratiquer notre jeu à nous, chasseurs de cols, pauvres mortels...

Claude BENISTRAND

N°284 AC Clermontoise (Puy de Dôme)


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