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Mon Marie-Blanque du jour de l'an

Revue N° 22 Page 22

J'ai l'habitude de faire du vélo le premier janvier.

Manière de bien commencer l'année, et aussi d'évacuer quelques restes de réveillon. Si je suis dans la Vienne, je me contente d'un petit tour autour de Nouaillé mais si je suis dans la maison familiale de Bidos, direction Marie Blanque : soit un simple aller-retour (46 Km), soit le tour par la vallée d'Ossau (61 km).

D'ordinaire, les conditions météo sont bonnes. Cette année, les Mourier sont venus réveillonner avec nous, Paul n'a pas encore inscrit ce col à son palmarès, alors va pour le "grand tour" ! Nous décollons de Bidos vers 13 h 30. Il a plu toute la semaine, mais la météo a annoncé un bel après-midi. Nous prendrons la N134 jusqu'à Asasp, puis passerons sur la rive droite du Gave pour rejoindre Escot en effaçant au passage le petit col de Hourat (315 m). A Escot, à gauche, les 10 km de montée jusqu'à Marie Banque (1035 m), la descente sur le Bénou, le col de Porteigt (875 m), la plongée vers Bielle, le retour par Arudy, Ogeu et Oloron.

Le rond-point de la porte d'Aspe avec sa sculpture, Gurmençon, la longue ligne droite vers Asasp. La chaîne s'étend à notre gauche, les sommets sont enneigés, on voit nettement le V qui marque l'entrée de la vallée d'Aspe, la montagne balafrée par la conduite forcée alimentant la centrale d'Asasp. Peu de circulation, donc pas trop de problèmes malgré l'absence de piste cyclable.

Asasp, la descente, un regard pour l'église entourée de son petit cimetière, et nous prenons à gauche en direction de Lurbe. Nous allons suivre pendant quelques centaines de mètres la même route que cet été au cours d'Hendaye-Cerbère. Nous franchissons le gave - boueux-, l'ancienne voie de chemin de fer Oloron-Canfranc qui a fait couler tant d'encre à voir son état, on ne peut que douter sérieusement des possibilités de remise en service. Le raidillon vers Lurbe, Paul s'en souvient bien, c'était le petit matin, nous avions traversé le Pays Basque dans la nuit, le Bager puis l'Aubisque nous attendaient... la Méditerranée était encore loin. La petite route de Lurbe à Escot est superbe: on s'élève sur le flanc droit de la vallée d'Aspe, l'horizon s'élargit, on distingue le débouché de la vallée du Lourdios qui mène vers Arette. Les près sont verts, de ce vert profond du Béarn, ils sont parsemés de ces granges grises, grises de leurs murs en galets roulés, de leurs toits d'ardoises. Certaines sont en ruines, signe d'un monde qui se meurt.

Un raidillon, la croix au bord de la route. Il faut s'arrêter faire une photo, celle du premier passage de Paul au col de Hourat. Ensuite, nous nous enfonçons dans la vallée: à gauche, la montagne qui se fait plus escarpée, à droite, en contre-bas, la voie de chemin de fer, le gave grossi par la fonte des neiges (c'est le redoux) et la N134 élargie. En face, une muraille rocheuse barre la vallée, fendue d'un étroit passage; c'est le pont d'Escot, porte de la vallée, lieu où commençaient jadis les franchises d'Aspe; l'Aspois poursuivi par les hommes du vicomte de Béarn était sauf dès qu'il atteignait ce passage. Et tous, même les plus puissants, devaient ici demander l'autorisation de pénétrer dans la vallée. C'est ici aussi qu'une inondation interdit le retour vers la "civilisation" d'une certaine Marguerite d'Angoulême venue faire ses dévotions à notre-Dame de Sarrance. Elle mit à profit ce séjour forcé en Aspe pour y écrire les plus belles pages de l'Heptaméron.

Nous n'irons pas jusqu'au pont c'est déjà Escot et sa curieuse église baroque à toit "en oignon" comme disent les Allemands : on se croirait soudain transporté dans un village de Bavière. Une route à gauche, un restaurant à vendre au coin. Les villages se dépeuplent, même ici, à 10 km d'Oloron. La plupart des maisons sont des résidences secondaires. La pancarte "Col fermé" fait l'objet d'une photo, puis nous remontons tranquillement la vallée du Barescou. Les quatre premiers kilomètres sont faciles, on peut se consacrer entièrement au paysage, et quel paysage! A notre droite, presque à portée main, le ruisseau limpide saute de rocher en rocher. Les deux parois rocheuses - Pène d'Escot à droite, c'est un versant nord, sombre, qui ignore le soleil, abrupt, hanté jadis par les ours, planté de pins aujourd'hui couverts de neige, le Mail Arrouy à gauche, versant sud plus clair, mais tapissé de buis, qui accentue le côté sauvage de l'endroit. Ça et là, au bord de la route, une grange ruinée ou aménagée en maison de vacances.

Mais qui a donné l'autorisation de planter là cet horrible chalet préfabriqué aussi incongru ici qu'une paire de garde-boue dans la "Louison Bobet ? "

La vallée se rétrécit. Lorsqu'on arrive ici pour la première fois on ne sait où la route va aller : va-t-elle s'élever en lacets sur un versant ? Non, il y a un passage entre les falaises couvertes de buis. La route s'élève maintenant peu à peu, voici Cap de la Saudie, les dernières maisons, un pont qui nous mène sur la rive gauche du ruisseau. Voilà le premier transformateur, annonciateur des choses sérieuses. Il est là, sur la gauche, à demi caché par les arbres, recouvert d'un crépi ocre à peu près épargné par les graffitis imbéciles. Nous grimpons de concert, mais je sais que Paul, plus rapide, ne va pas tarder à me quitter.
Le second transformateur: à partir de là, les choses sérieuses commencent : cinq kilomètres entre 8 et 13%, sans aucun répit, sans aucun lacet pour se relancer. Je bascule sur le 32 dents, mon compteur se stabilise aux alentours de 6 km/h je vois Paul qui s'éloigne insensiblement. Je sais que j'en ai pour environ trois quarts d'heure avant d'arriver au sommet. Que j'aime être ainsi seul avec la montagne ! Les jambes tournent régulièrement, je fais par moment quelques mètres de danseuse autant pour décontracter les reins que pour relancer la machine, je me laisse envahir par le monde qui m'entoure: l'éblouissante blancheur des sommets, le mur d'ardoise sombre que je longe parfois, l'eau qui ruisselle de partout en cascades claires. En été, elles seraient prétexte à une halte rafraîchissante, aujourd'hui seuls leur chant et leur bondissement allègre m'intéressent. La montagne s'effrite, des blocs plus ou moins gros ont roulé jusque sur la route. La circulation automobile étant presque nulle, je peux les contourner sans effort.

A propos d'effort, la borne bleue indiquant le camping marque un des passages les plus difficiles. Les jambes se font lourdes, j'ai un peu mal aux reins. J'oublie un peu la nature pour m intéresser à mon souffle. C'est bon ! la route devient un peu moins pentue. Les voitures se font de plus en plus nombreuses, aussi nombreuses qu'en été. Et voilà que ressurgit mon vieux rêve de routes de montagne réservées aux vélos. Paul n'est plus qu'un point orange à l'horizon. On commence à distinguer l'échancrure du col, le ruisseau est maintenant loin en dessous de moi. Je me plonge dans la lecture des inscriptions qui barrent la route, vestiges de Tours passés. Ici, on continue à encourager Hinault! Plus discrets, des chiffres, tous les kilomètres, donnent la distance restant à parcourir jusqu'au sommet. Déjà le 3 ! Brusquement la route jusqu'ici large et bien revêtue se rétrécit, coincée qu'elle est entre la paroi rocheuse à droite et l'à-pic sur la gauche. L'avant-dernier kilomètre est assez pentu, mais je sais que le dernier est relativement facile. L'air est plus vif, des plaques de neige apparaissent sur les bas-côtés. On devine déjà le col au-dessus de la masse noire des arbres. La route plonge vers la droite, la neige se fait plus épaisse, voilà la dernière épingle du col qui précède la dernière rampe.

Un dernier effort, l'horizon s'élargit à chaque tour de pédale. Paul m'attend près du panneau. Il n'est pas seul : cinq ou six voitures, dont l'inévitable 4x4 rutilant plus habitué aux boulevards bordelais qu'aux chemins de montagne. Quelques enfants font de la luge. Il y a aussi le crétin de service. La soixantaine bedonnante et satisfaite, il a réussi à rouler jusqu'ici dans la BX conduite par Bobonne. Il s'extrait péniblement du véhicule, et éructe, à la cantonade: "c'est toujours la même chose! Il y a des pancartes "route du fromage", et on ne trouve pas de fromage à vendre!" Il s'attendait sans doute à rencontrer ici en plein hiver, un berger gardant son troupeau dans la neige. Voyant que le quidam vient du Lot et Garonne, j'ai envie de lui demander pourquoi, en janvier, on ne vend pas vers chez lui de prunes au bord des routes.

C'est sans doute en hiver que Marie Blanque est le plus beau, le manteau neigeux corrigeant le côté un peu pelé des estives. Photo, lent regard circulaire, veste et K-Way, et nous nous engageons prudemment dans la descente vers le Bénou.

Nous sommes maintenant côté Est, Côté Ossau, et le vent marin ne passe pas. La neige est plus épaisse, et il en reste des plaques sur la route. Nous descendons prudemment jusqu'au plateau. En cette saison, c'est calme: pas de troupeaux, à l'exception de quelques chevaux, peu de promeneurs, pas de famille qui pique-niquent. Nous franchissons, presque sans nous en rendre compte, le col de Porteigt, regrettons de ne pouvoir pousser, faute de temps, jusqu'aux cromlechs de Lous Couraux, vestiges d'une très ancienne présence humaine, saluons au passage la petite chapelle de Houndas. En descendant, il faut absolument laisser aux voitures les larges lacets qui descendent sur Bielle, et préférer l'ancienne route qui traverse le village de Bilhères, village typique d'Ossau avec ses maisons dont certaines, comme l'indique la date gravée au-dessus de la porte, ont plus de 400 ans. Vitesse modérée: la voie est étroite et sinueuse, mais cela vaut le détour.

A la sortie de Bilhères, nous lâchons les freins et rejoignons en quelques instants la vallée d'Ossau. Il s'agit maintenant de regagner Oloron avant la nuit, qui va vite tomber. Nous avons le temps de jeter un coup d'oeil au château de Castet, ancienne résidence des vicomtes d'Ossau, à la carrière de marbre d'Arudy, à la magnifique maison construite par un artisan à l'entrée de Buzy. Nous accélérons l'allure jusqu'à rejoindre la N134 à Herrère. Encore un petit raidillon, et Oloron est en vue, la vieille cité de Sainte-Croix blottie autour de son église se découpe sur notre gauche. La nuit tombe. Nous traversons les deux gaves (Ossau puis Aspe) dont nous avons relié les vallées, et rejoignons Bidos où un bon feu nous attend, près duquel un verre de Jurançon ranime nos muscles fatigués.

Nous avons fait les 61 km en 3 heures 20, à 18 km/h de moyenne. Paul est ravi : il a ajouté trois cols à son total, mais surtout il a découvert un endroit splendide. Quant à moi, j'ai la satisfaction d'avoir encore une fois bien commencé l'année, d'avoir encore un peu plus apprivoisé ce col qui n'est pas des plus faciles, d'avoir rempli mes poumons de l'air pur des montagnes.

N'hésitez pas ! Si vous passez dans la région faites le détour par Marie Blanque ! Et Si c'est au jour de l'an, nous nous rencontrerons peut-être au sommet. Prévoyez de petits braquets; il se mérite!

Jean-Louis ACIN N°3543

Nouaille (Vienne)


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