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A vélo à plus de 4000 d'altitude !

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Après avoir survolé le sud du Groenland et ses icebergs, le DC 10 se pose à DENVER, capitale du Colorado. Dans ses soutes, se trouvent deux cartons, oh combien chers à nos yeux; ils renferment en effet nos vélos !

Cette année, nous avons choisi de réaliser un vieux rêve : parcourir les Montagnes Rocheuses à vélo, en cyclo-camping pendant près de six semaines ! Une bien belle destination, pour deux Urfistes, en... voyage de noces... Les Montagnes Rocheuses forment une barrière naturelle s'étendant du nord au sud de l'Amérique du Nord, depuis le Canada jusqu'au Mexique. Les plus hauts de leurs sommets se trouvent dans l'Etat du Colorado (Mont Elbert à 4 400 m) et aussi les plus hauts cols franchissables à vélo. La température, très douce l'été, permet à la végétation de pousser jusqu'à 3 500 m, et les hauts passages routiers ne sont pas fermés par la neige, même à4 000 m d'altitude!

Le Colorado est aussi le pays des chercheurs d'or, là où les premiers des pionniers se sont arrêtés dans leur conquête de l'Ouest, attirés par les prodigieuses richesses naturelles du sous-sol. Nous suivrons leurs traces, sur de nombreuses pistes, entre l'Océan Pacifique et I 'Océan Atlantique, parcourant ainsi près de 2 800 km, dont 600 km de muletier! Ici, en effet, seul le réseau routier principal est revêtu. De notre voyage, riche en événements, nous ne retiendrons ici que quelques journées parmi les plus marquantes : la visite des anciennes mines d'or, un parcours muletier dans les "San Juan Mountains" à 3 900 m, l'ascension du Mosquito Pass, col à 4 019 m et pour le final, notre montée au Mont Evans sur la plus haute route d'Amérique du Nord, à 4 348 m d'altitude!

AU PAYS DES CHERCHEURS D'OR

Cela fait cinq jours que nous avons quitté DENVER et sa plaine à 1 600 m... Notre acclimatation à l'altitude n'est pas encore complète. Nous le sentons dans les derniers kilomètres du Cottonwood Pass (3 696 m), col dont un seul versant est revêtu. La montée à petit rythme (nos vélos pèsent 40 et 33 kg) nous permet de surprendre de nombreux animaux : écureuils, marmottes et même castors et daims. La descente de ce col constitue le prologue de ce qui nous attend les trois jours suivants: près de 250 km de piste non-stop, et seulement deux villages traversés ! Notre parcours se perd à la recherche de villes fantômes, désertées depuis 60 ans par les mineurs après l'épuisement des filons d'or, et surtout du fait de la baisse du cours de ce métal précieux. Quelques baraques en bois et des entrées de mines sont là pour nous rappeler ces temps héroïques où les hommes travaillaient sous terre à près de 4 000 m d'altitude.

TINCUP et PITKIN sont de beaux petits villages d'une trentaine d'habitants qui ont gardé le style du début du siècle. Ces deux hameaux sont séparés par un col muletier à 3 720 m, le Cumberland Pass, très fréquenté au début du siècle par tous les chariots qui amenaient les mineurs en altitude et qui redescendaient, chargés d'or. PITKIN était à l'époque la gare de la plus haute voie ferrée au monde : le train franchissait les Montagnes Rocheuses par un tunnel percé à 3 600 m. Depuis un siècle, peu de choses ont changé dans la région, et en tout cas pas l'état des routes. Les campings sont très rustiques les "rangers" (gardes-forestiers) ont délimité quelques emplacements dans la forêt, pour chacun une table et un endroit pour le feu, mais pas de confort; il faut pomper pour avoir de l'eau froide, bref, il ne faut pas être exigeant... Surtout, il faut respecter quelques règles élémentaires pour éviter la visite d'ours bruns en pleine nuit; pas de nourriture dans la tente, la disposer si possible en hauteur, accrochée à 3 m dans un arbre... facile à dire! En tout cas, nous prenons très au sérieux ces recommandations: nous lirons dans le journal local qu'un campeur qui avait gardé de la nourriture avec lui, a été tiré hors de sa tente à 2 heures du matin par un ours trop gourmand!

DANS LES MONTAGNES ROUGES

Les "San juan Mountains" sont les montagnes situées les plus au sud dans le Colorado, à la limite du désert du Névada et des Réserves indiennes. Elles sont caractéristiques par la couleur rouge des roches qu'on y trouve, marque d'un sol très riche en fer et en argent. SILVERTON est l'une des villes les plus réputées de cette région: située à 2 850 m d'altitude, son accès est très délicat l'hiver, du fait de deux cols à plus de 3 400 m, le Red Mountain Pass au nord (col de la Montagne Rouge) et le Molas Pass au sud. Un train à vapeur a été construit au début du siècle pour faire la livraison du minerai d'argent à DURANGO, ville située à 70 km de là, aux portes du désert. De nos jours, il n'apporte plus que son lot quotidien de touristes et, à 17 h, après le dernier train la petite ville retrouve son calme d'antan.

Nous séjournons deux nuits à SILVERTON, notre itinéraire prévoyant en effet une boucle en muletier, vers une haute piste à plus de 3900m d'altitude! Seuls les véhicules 4 x 4 peuvent accéder au sommet, alors à vélo, avec une seule roue motrice, à plus de 15% sur la piste empierrée, nous obligent à la "marche à pied". La rudesse de l'effort est vite oubliée devant le panorama au sommet de "'Engineer Pass", 3932 m ! Jamais nous ne sommes montés aussi haut à vélo (mais quelques jours plus tard, nous aurons l'occasion de dépasser les 4 000 m...) Malgré l'altitude, il n'y a pratiquement pas de neige et la température est douce. L'hiver, par contre, les -20° sont chose courante, c'est ce qu on appelle un climat continental !
la descente est un véritable calvaire, surtout pour le matériel : nous ferons même du stop et effectuerons quelques kilomètres de la descente en jeep, les vélos solidement fixés à l'arrière. Une fois en bas, il ne nous reste plus qu'à essuyer la poussière sur la chaîne et le dérailleur, derniers signes de notre ascension.

LE MOSQUITO PASS, col à 4019 m

Une semaine après notre ascension à l'Engineer Pass, nous arrivons à la plus haute ville des Etats-Unis, à 3 100 m, et pourtant située dans une vallée ! LEADVILLE est certainement l'une des villes du Colarado les plus fréquentées par les cyclos français chercheurs de nouveaux cols, à en croire le nombre de récits que j'ai lus sur cette région, avant notre départ.

LEADVILLE est en effet le point de départ vers le Mosquito Pass, unique col des Etats-Unis à plus de 4 000 m, muletier bien sûr! La mise en garde des habitants et le souvenir de notre ascension pénible à l'Engineer Pass nous poussent à louer des VTT. Nous ne le regretterons pas.

La montée est longue de 12 km, pour 900 m d'élévation, rien de bien difficile à priori. Le problème est qu'au début, la pente reste faible. Les derniers kilomètres par contre, entre 3 500 et 4 000 m d'altitude dépassent les 12% de moyenne. L'oxygène se raréfie, le coeur est soumis à rude contribution ; cela ne facilite pas notre ascension. Après deux heures d'efforts et d'arrêts "repos" ou "photos", nous atteignons le sommet à 13 186 pieds (4 019 m). Un panneau en bois nous apprend que ce passage d'altitude était fréquenté depuis très longtemps par les Indiens, puis par les mineurs qui, en plein hiver, y trouvaient souvent la mort. La traversée entre LEADVILLE et FAIRPLAY, sur l'autre versant, demandait plus de 12 heures pour les charrettes. Nous imaginons aisément les conditions hivernales dans ce lieu battu par le vent. Nous ne nous y attardons pas.

C'est sous la grêle que nous regagnons notre tente à LEADVILLE, heureux d'avoir réalisé un vieux rêve.

TOUJOURS PLUS HAUT: MONT EVANS - 4348 m

Le Mont Evans est l'un des plus hauts sommets du Colorado, à 4348 m. Une route, revêtue (ouf!) en atteint le sommet après 40 kilomètres d'ascension à partir d'IDAHO SPRINGS, ville située à 2 300 m d'altitude. Il est fortement conseillé d'être accoutumé à la haute altitude avant de tenter cette "expédition à vélo. Pour notre part, après quatre semaines passées à plus de 2 500 m, cela ne nous pose aucun problème.

Le départ s'effectue très tôt, de manière à éviter les orages qui éclatent vers 13 heures. Nous aurons, en effet, presque tous les jours, notre ration de pluie mais jamais plus d'un quart d'heure durant.

La montée est très régulière (environ 7% de pente) et, au fur et à mesure de notre progression le panorama devient de plus en plus vaste. Vers 3 600 m d'altitude, nous trouvons les derniers arbres, pins vieux de plus de 1000 ans qui ont pris des formes très tourmentées sous le vent de ces hauteurs. La luminosité devient éclatante. Nous sommes parmi les premiers au sommet, où nous resterons plus de 40 minutes, ne nous lassant pas du paysage et savourant notre plaisir d'avoir gravi la plus haute route d'Amérique du nord ! Le panorama est fantastique : tout est dégagé depuis le Parc des Montagnes Rocheuses à 100 km au Nord, jusqu'à COLORADO SPRINGS au sud. Nous avons du mal à réaliser que nous ne sommes que 350 mètres plus bas que le sommet du Mont Blanc. C'est dans cet endroit exceptionnel que nous rencontrons deux jeunes cyclos australiens, et c'est à quatre que nous passerons les dix derniers jours de notre beau périple, très heureux de partager notre passion du voyage à vélo et d'échanger nos expériences. Eux-mêmes connaissaient bien la France, pour y avoir effectué quelques randonnées, et même PARIS-BREST-PARIS, l'année précédente. C'est à notre tour, d'aller en Australie...

Voilà donc, brièvement résumé, notre périple de 2800 km dans le Colorado et les Montagnes Rocheuses. Plus que les 74 cols franchis (tous à plus de 2000 m et même 50 à plus de 3000 m!), il nous reste surtout le souvenir de nos rencontres avec les habitants, des vastes étendues sauvages et des forêts superbes des Montagnes Rocheuses. Un seul regret : nous n'avons pas aperçu... d'ours! Nous y retournerons !

Hélène et Dominique FARCY

Lille (Nord)


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