Pour beaucoup, l'Equateur est synonyme de chaleur, de milieu du globe, de pays sous-développé, voire de trafic de drogue. Pour nous cyclistes, c'est le synonyme de montagnes, la Cordillère des Andes et de cols élevés. Durant les dix-sept heures de vol, nous aurons tout le loisir d'apprendre quelques mots d'espagnol, pour satisfaire à nos indispensables besoins matériels. L'Equateur n'est pas synonyme de grosse chaleur comme le laisse supposer sa situation géographique. Un courant marin, le Humblolt, remonte la côte pacifique, et donne à la région un climat de printemps. En fait, on peut rencontrer tous les types de temps dans la journée, surtout en altitude. Mais, un temps idéal pour pédaler, lorsque le vent qui balaye les plateaux souffle dans le bon sens. C'est aussi à l'inverse de ses voisins (Colombie et Pérou), un pays calme et sûr. La vie semble bien paisible. Seuls, les nombreux chiens en liberté viennent troubler la quiétude du cycliste. C'est enfin un pays aux deux visages. D'un côté, une population très occidentalisée, voire américanisée (le coca-cola est partout) d'un niveau de vie correct, sans plus. De l'autre côté, tout là-haut sur les plateaux, ou dans les bananeraies de la plaine, la population indienne qui survit en silence, est dans un autre siècle. Nous ne parlerons pas des Indiens qui vivent en Amazonie. C'est là encore un autre monde que nous n'avons pas abordé. On le voit, ce pays est en train de se développer à deux vitesses, grâce à une richesse qui jaillit de sa partie amazonienne: le Pétrole. Pour des impératifs techniques, nous atterrissons à Guayaquil, principale ville du pays, au bord du pacifique, la capitale étant Quito, sur la Cordillère. Guayaquil n'ayant rien de pittoresque, nous n'y passerons qu'une journée, le temps de s'adapter à de nouvelles coutumes. Le lendemain matin, après avoir affronté le flot d'une circulation intense, nous voici en rase campagne, sur une route à péage (gratuite pour nous) et au milieu des bananeraies. Passés les premiers instants de dépaysement total, la monotonie et l'absence de villages nous gagnent, d'autant qu'une chaleur lourde tente de nous assoupir. La fin de cette première étape est la bienvenue. Pour demain, c'est l'incertitude absolue. Il n'y a pas un hébergement à moins de 100 km, et il faut s'élever de 3000 mètres dans la journée pour l'atteindre. Avec le poids de notre chargement, c'est risqué. Après 14 petits kilomètres et dans le doute, nous prenons le bus, vélos sur le toit, Canar sera notre étape. La seule averse de notre voyage, c'est pour aujourd'hui. Après le sommet du premier col (3440 m) de notre périple, c'est aussi la première crevaison. Du col à Cuenca, ville coloniale et terme de la journée, nous descendons une longue vallée qui ressemble par endroits à nos Alpes, les cactus en plus. Deux jours dans cette ville nous permettront d'appréhender davantage la vie et les coutumes de ses habitants, coiffés des fameux chapeaux "Panama". Amateur de souvenirs locaux, nous négocions dans un magasin de cycles, pour 100 sucres, l'affiche officielle des championnats du monde de cyclisme junior qui ont eu lieu cette semaine à Quito (100 sucres = 25 centimes). Sur la carte et le profil, la route de Canar à Chunchi ne semble pas présenter de grosses difficultés, puisque nous passons de 3000 m à 2000 m. Ce sera l'une des étapes les plus difficiles. La route évolue en corniche, allant de sommets en fonds de vallées, parfois entrecoupée d'éboulements, et laissant libre cours aux caprices des chiens. Les 68 km seront suffisants pour aujourd'hui. La route qui nous conduit à Alausi est belle et large, pendant 10 km ! Ensuite, nous avons à faire, durant 8 km, à une infâme déviation sur une piste de montagne à base de sable et de cailloux, où le risque d'enlisement est présent à chaque tour de roue. Heureusement, la fin sera plus stable, et la descente sur le village-étape vertigineuse. Un village où, surprise, on rencontre les premiers touristes depuis trois jours. Pas étonnant, car il y a ici une petite gare, style western, où passe l'unique train équatorien. L'emprunter vaut 100 pesants de sucre (la monnaie locale). Dépêchez-vous, la S.N.C.F. locale parle de le supprimer pour cause de non-rentabilité. Autre pays, mêmes moeurs. Déjà au réveil, dans le fond de mon lit, je l'entendais, mais à ce point... Ce matin c'est la tempête sur les plateaux, et comble de malchance, sinon on n'en parlerait pas, elle souffle dans le mauvais sens. Comme un malheur ne vient jamais seul, sur le papier, le profil de l'étape s'avère redoutable. Cela se confirme dès le premier col, avec ses virages du style "Alpe-d'Huez". Ensuite ce sera une lutte sans merci avec Eole, pour avancer et ne pas tomber (voire reculer). Les 20 premiers kilomètres sont couverts en 4 heures...! Le changement de vallée nous soulagera, et nous bivouaquerons à Guamotte, dans un hôtel en construction. La petite fête du village viendra changer les esprits après cette journée agitée. Aujourd'hui, le relief est moins tourmenté. Départ à 3000 mètres, montée à 3300 mètres, puis longue descente vers Riobamba à 2700 mètres. L'allure est décontractée par rapport à hier, et demain c'est la journée de repos. Alors que nous prenons le temps d'admirer le paysage, les indiens aux travaux des champs, une pointe blanche apparaît furtivement au milieu des nuages. C'est Chimborazo, le Mont Blanc local, qui culmine à 6310 mètres au-dessus de la mer. Il parait que par rapport au centre de la terre, il est plus haut que l'Everest. On n'a pas vérifié! Pour rester dans les records, peu avant la fin de l'étape, je sors du peloton pour aller m'offrir, en solitaire le col plus élevé du pays: le Camel Tingo à 3850 mètres d'altitude. |
Après l'escalade pédestre d'une partie du mont Chimborazo, nous voici de nouveau sur la route, celle de Ambato distant de 55 km. Au programme, une montée longue et régulière qui nous mène (en vélo) au sommet de la Providencia (3560m)? avec toujours en toile de fond le Chimbo et, surprise, des lamas. On s'inquiétait de ne pas en voir avant la fin du voyage. Ils se font rares. Là, il y en a quatre, broutant, attachés à un pieu. Dans la descente, Cyrille frôle miraculeusement la catastrophe. Une sacoche se décroche, et pan les rayons ! Et notre jeune cycliste parvient à s'arrêter on ne sait comment. Nous sommes quittes pour une belle peur, et une roue voilée. Pas de problème les mécanos équatoriens sont habiles, et bon marché. L'étape du jour nous conduit à Latacunga, à 40 km (seulement). Dès que l'on approche de la capitale, les propriétés sont plus grandes et plus cossues. Sur notre droite apparaît maintenant le Cotopaxi, autre volcan enneigé lui aussi, mais quelquefois en éruption. Il culmine à 5897 mètres, et domine toute la région. Encore un bon dénivelé aujourd'hui, avec la montée du Ministrak qui atteint 3550 mètres. Les premiers kilomètres de faux-plat nous conduisent au pied d'une rude pente. Vers le sommet, la route s'adoucit et permet de faire la course avec un camion un peu poussif. C'est le vélo qui l'emportera. Au bas d'une descente très rapide, et pour terminer une étape de 54 km, nous nous offrons une suite à l'hôtel Mejia de Machachi. Vraiment pas cher (15 000 sucres -moins de 40 francs !), mais très sommaire. Nous arrivons à Quito. Le trafic des bus et des camions est là pour nous le rappeler. L'infrastructure routière n'étant pas toujours à la hauteur, un comble compte-tenu de l'altitude, nous sommes en permanence sur nos gardes. L'entée dans la capitale est infernale, surtout à midi. Heureusement, nous trouvons rapidement l'hôtel signalé par le "Routard", l'inséparable guide du voyageur. La ville s'articule en deux quartiers bien distincts, le Quito colonial, et le Quito moderne. Deux mondes bien différents séparés par un vaste parc, et reliés par quantités de transport en commun. Notre séjour dans la capitale sera entrecoupé d'un aller et retour en bus à Ottavalo, à 100 kilomètres de là. Ottavalo, c'est le plus grand marché d'Equateur, certains disent d'Amérique Latine c'est à vérifier. Ce vaste déballage a lieu tous les jours, mais le point fort c'est le samedi. Dès 6 heures du matin, les paysans et marchands affluent de toute la région. Les touristes sont quelquefois arrivés la veille. C'est un régal pour les yeux, et aussi les oreilles, que de déambuler parmi les animaux, les fruits, légumes, tissus et autres objets, tous plus ou moins colorés. On trouve de tout et on peut même y échanger et vendre ses propres vêtements. C'est vrai, je l'ai fait. La sortie du dimanche matin nous verra traverser toute la ville de Quito (véritable parcours du combattant), puis rejoindre en rase campagne la Mittad del Mondo, le milieu du monde ! Au-delà d'une randonnée de 60 km, il ne faut y voir qu'un symbole, doublé d'un véritable piège à touristes. Ceux, comme nous, qui se font photographier, un pied dans l'hémisphère Nord, et l'autre dans l'hémisphère Sud, se font avoir: la ligne ne passe pas au bon endroit. Elle serait située à 4 kilomètres de là. Ne le répétez pas à ceux qui projettent de s'y rendre. Après une dernière visite de la ville, de ses églises, de ses marchés, nous voici de nouveau sur nos machines, pour une étape qui devrait être bien agréable. Une montée de 8 km nous conduit au sommet de notre dernier col à plus de 3000 m (le l2eme), ensuite une descente de 90 km nous ramène dans la plaine, à 500 m. Au fil des lacets et grâce a la douceur de la pente, on peut voir évoluer la végétation et le relief. Nous allons ainsi, en trois heures, passer de l'aridité des plateaux, aux gorges profondes, puis aux cultures tropicales (ananas, bananes, mangues, etc...). Les moustiques nous rappellent aussi avec voracité que nous avons perdu de l'altitude. Santo Domingo sera notre étape au bout de ces 100 kilomètres de rêve. L'hôtel n'aura rien d'un paradis, mais quand on veut vivre comme les locaux, il faut parfois supporter le bruit des soirées tardives et des levers matinaux, voire les attaques de fourmis dans le lit ! Oui, c'est vrai, on les a rencontrées. La journée de repos sera consacrée à la visite d'un village d'indiens Colorado dans la "jungle", accompagnés par des étudiants locaux, transformés pour l'occasion en interprètes. Car si on ne parle pas l'espagnol, ce n'est pas pour engager des conversations dans le dialecte local. Ces indiens ont la curieuse particularité de se teindre les cheveux en rouge et de donner à leur chevelure la forme d'une casquette: une sorte de protection en fait. Côté chiffres, nous avons parcouru 730 km en 12 jours de randonnée, franchi 16 cols, dont 12 à plus de 3000 m. Si le réseau routier goudronné n'est pas très dense, il est globalement d'assez bonne qualité. Les aléas climatiques, surtout lors de la saison des pluies (hiver), dégradent parfois les routes pour une durée indéterminée. La circulation, sauf aux abords des villes, n'est pas trop intense et les chauffeurs sont dans l'ensemble bons. Notre présence a souvent fait l'effet d'un coup de klaxon plutôt admiratif que réprobateur (le contraire de chez nous). Normal, nous étions les seuls cyclistes sur la route ! Adios... Daniel LAPRUN N°348 FERE-CHAMPENOISE (Marne) |