Qu 'est-ce qu'il n'a pas fallu développer comme arguments pour convaincre Denise, ma cyclotouriste de femme... en plaine, de m 'accompagner à la chasse en automne et... en montagne ! D'après elle, c'était le moment de la fermeture... des routes, la neige devait commencer à tomber, il devait faire froid là-haut. Il n'y aurait plus de fleurs à cueillir mais des nuages partout et on pourrait se perdre. Quelle idée aussi de chasser les cols à la Toussaint ! Et pourtant je ne pouvais me résoudre à un voyage en auto jusque dans le Queyras en laissant encore une fois inexplorée cette pointe sud-ouest du Vercors où de nombreux gibiers attendaient depuis des années que les hasards de la route me permettent de les ajouter à mon tableau. Surtout que la barre de la septième centaine était là à portée de quelques coups... de pédales. Comment la convaincre qu'une halte au gîte de l'abbaye de Léoncel serait tout à fait indiquée pour rendre le voyage plus agréable ? Alors j'ai vanté les influences du climat méditerranéen qui retardaient les rigueurs hivernales dans cette région. J'ai vanté les charmes de l'été indien quand les feuillages montagnards deviennent mordorés et que les mélèzes flamboient sous les rayons du soleil. Et puis j'ai ajouté qu'on pourrait emmener aussi son vélo. Comme cela, elle pourrait m'accompagner un peu. D'ailleurs, je ne monterais pas vite, on admirerait le paysage ensemble. De plus, en partant de Léoncel, les cols ne sont pas très longs et les pourcentages tout à fait dans ses cordes. Et je lui ai mis la carte sous les yeux. Vaguement dubitative, elle y a promené son doigt, se disant sans doute que son homme était fou de vouloir lui faire gravir tant de chevrons. Soudain, le doigt s'est arrêté, et, avec un grand sourire, elle m'a dit "Voilà celui que je veux grimper, il n'y a pas de chevron et son nom me plaît !" Elle venait de trouver le col de Bacchus. |
Quinze jours plus tard, le dieu Bacchus faisait la connaissance d'une cyclotouriste, servante de son cousin Dionysos, dans une vie antérieure remontant à la mythologie grecque. Ce qu'ils se sont raconté, je ne pourrais vous le dire, ma Denise étant arrivée avant moi à son rendez-vous, la montée étant dépourvue de tout chevron. Peut-être même en ont-ils profité pour boire un petit coup parce que, ensuite, elle a voulu me suivre dans le col des Limouches qui, lui, était bien agrémenté de ces chevrons dont elle a horreur. Et seule la nuit qui tombait l'a dissuadée d'escalader le Tourniol. Ce ne fut d'ailleurs que partie remise au lendemain car, après avoir conduit la voiture pendant que j'allais à la chasse au lion sur les pentes de la Bataille, elle était partante pour un morceau de choix à la pointe sud-Vercors, le petit col forestier de Vassieux. Heureusement, le dieu Bacchus veillait sur sa servante. Ce col non plus n'avait pas de chevron mais, là, c'était manifestement une regrettable omission du cartographe de service qui n'avait jamais dû le gravir à bicyclette. Pourtant, elle n'a pas traité son homme de fou, même après avoir mouliné son 30x26 à le faire rougir et usé ses chaussures dans le raidillon des galoches. Non, elle avait plutôt l'air satisfaite du paysage grandiose qu'on découvre là-haut tout au bout du chemin muletier qui domine les vallonnements du Diois, satisfaite de son exploit. Sans doute ne s'en croyait-elle pas capable. Peut-être qu'une nouvelle vocation pour la chasse à vélo en montagne est née ce week-end-là par la grâce de Bacchus. L'an prochain, l'ivresse dionysiaque la portera sans doute au sommet de son premier 2000. Mais ce sera une autre histoire sur la longue escalade vers le Club des "Cent Cols". Bruno FRILLEY N°2806 MONTGERON (Essonne) |