Cela pourrait entamer une chronique du temps qui passe sur les cols, en addition du récit de Philippe Degrelle, "L'abominable Bagargui" de la revue 1995 et qui décrit son ascension en 1994. J'attends d'ailleurs avec impatience la revue 97 pour y chercher un "40 ans avant" que l'un de nous voudra bien nous relater. Dieu sait quel abominable homme des Pyrénées s'y rencontrait en 1954... mais n 'anticipons pas ! Temps qui passe sur les cols, qui y change bien des choses et en particulier le nom. Mais je ne suis pas assez savant en langue basque pour apprécier la nuance du passage, sur la Michelin, d' Orgambideska à Bagargui. Le nom précédent avait au moins le mérite d'être récupérable dans un slogan adapté : "Orgambideska... plus jamais ça !" Temps qui passe sur les cyclistes aussi, puisque celui qui écrit était alors à l'affût de sa première centaine de cols (le club avait un an !) et roulait, terrible novice, sur un vélo de course équipé de boyaux et d'un plus petit (!) développement de 42x28 ! Et en cet automne pluvieux de 1974, nous étions quatre, Guy, Patrick, Christian et moi, en expédition pyrénéenne de quelques jours, avec le même matériel, plus adapté aux côtes d'île de France, et la même inconscience que nous donnait notre forme de 20 ans. Partis de Capbreton le matin, le parcours de Bayonne à Tardets avait été rapidement avalé, malgré ses nombreuses bosses, en puisant négligemment dans nos capitaux énergétiques respectifs. Il est vrai que nous avons dû reconstituer nos forces à midi à Tardets, avec un repas de spécialités régionales dont les qualités ne sont plus à vanter. C'est sur la digestion que nous avons entamé, dans une petite bruine peu encourageante, la vallée encaissée qui amène au pied de Larrau. C'est à ce pied que tout s'est gâté : le temps, (pluie persistante), la pente (l'utilisation des chaussures a commencé !), le matériel (une première crevaison a entamé le stock de boyaux de rechange), le moral. La découverte du "trou béant" dans lequel il faut dégringoler à la sortie de Larrau après avoir chèrement payé l'altitude gagnée, est d'un effet déprimant garanti (depuis, j'ai découvert que c'était la règle quasi-générale des petites routes des Pyrénées Atlantiques!). |
Et nous voici tirant, poussant, ahanant dans la montée, caillouteuse de surcroît à l'époque, de notre Bagargui. Interminables, décourageants dix kilomètres, émaillés de profondes rigoles d'écoulement des eaux plus ou moins franchissables, ponctués de nouvelles crevaisons diminuant chaque fois le stock de boyaux, avec l'agréable opération de collage sous la pluie battante et froide. Il y a toujours un sommet, même s'il est atteint en débandade. Le premier travail a été d'y chercher, dans le brouillard sinistre et glacé, un quelconque débit de boissons chaudes. Au premier abord, point de présence humaine. Guy finit pourtant par dénicher une apparence d'auberge en contrebas de la route, frappe à la porte et requiert avec insistance de quoi nous réchauffer. Quelques rudes montagnards sont là-dedans, qui discutent, mais "c'est fermé" nous est répondu, sans aucune compassion visible. Guy s'énerve alors, devant la porte à nouveau close, et à bout d'arguments fait retentir un vigoureux "S....ds". Tel un diable sortant de sa boite, un petit basque râblé et un peu patibulaire jaillit, empoigne Guy et commence à le secouer, se maîtrise brusquement avant d'avoir commis l'irréparable, le lâche, avise son vélo, s'en empare et l'expédie valdinguer plusieurs mètres plus bas dans la pente, sans plus d'efforts que pour une brindille, tout en grommelant des mots (basques) sûrement choisis. La porte se referme. Ça a duré cinq secondes. Nous battons en retraite. Le contact avec l'autochtone et sa franche rudesse qui signifie bien "ne pas déranger" nous suffit pour aujourd'hui, à défaut de l'ours des Pyrénées... Sans la boisson chaude espérée, nous poursuivons par la descente glaciale dans la forêt d'Iraty, et la remontée, heureusement plus facile, du col de Burdincurutcheta. Quelques péripéties jalonneront encore le retour à Saint-Jean-Pied-de-Port: ma chute dans un lacet glissant, quelques crevaisons supplémentaires dont une manifestement de trop puisque Christian terminera ses derniers kilomètres sur la jante, faute de ressources pneumatiques ! Le petit train bien chauffé nous ramènera enfin à Bayonne dans la soirée, en nous permettant de sécher, et de rire de nos aventures. La découverte des Pyrénées s'est conclue mémorablement. "Orgambidesa, plus jamais ça !". Philippe GIRAUDIN N°142 CLERMONT-FERRAND (Puy de Dôme) |