"A quoi bon jeter la pierre à Saint Martin" ! En ce jour de la fête nationale 1996, mon épouse et moi-même avions décidé de devancer les géants de la route et d'aller en éclaireur parcourir les difficultés du Béarn et du Pays basque ; il s'agissait surtout de préparer le BCMF d'Annecy, et pour ma moitié, d'atteindre les 50 000 m de dénivelées lui permettant de faire son entrée dans la Confrérie de l'Ordre des Cols Durs, en épinglant au passage quelques nouveaux cols pour sa collection. Dans ce but, j'avais, au coeur de l'hiver concocté un gentil petit circuit qui devait nous assurer une journée pénarde mais juteuse dans ces magnifiques montagnes des Pyrénées Atlantiques. Après avoir posé nos valises à Arette à l'Hôtel de la Mounia, nous étions de bonne heure frais et dispos pour attaquer les premières difficultés de la journée sous la forme des cols de Lie et d'Ichère, deux taupinières qui devaient nous servir d'échauffement et nous amener à Bedous en Aspe dans un fauteuil. C'était mal connaître les arêtes... de cette épine dorsale que sont les Pyrénées car le col de la Lie, dès la sortie du village, nous fit entrevoir ce qui nous attendait dans les heures à venir, avec des pourcentages n'ayant rien à voir avec le col de notre paisible Charente. Arrivés à Lourdios-Ichère, nous sommes interpellés par un couple d'aimables oloronais qui montent la garde dans l'attente des randonneurs d'Oloron Ste Marie dont c'est la grande sortie annuelle ; ils s'enquièrent de notre destination et nous indiquent la manière la plus facile de quitter Bedous pour le col de la Pierre Saint Martin en passant par Lées-Athas et le col de Bouesou dont la montée est plus agréable que par le col de Houratate. Après quelques considérations sur le temps qu'il va faire et des difficultés de l'ascension, nous les quittons à regret en nous demandant qui des indigènes ou des cyclos sont les plus aimables ; tout bien considéré, nous convenons que les cyclos, de surcroît Oloronais, forment une confrérie éminemment sympathique. Le col d'Ichère ne posant aucune difficulté particulière, nous voici en vallée d'Aspe à la recherche du dernier ours (ou du dernier cyclo !) avant l'autoroute; que ces messieurs les technocrates en finissent donc en consacrant le tout automobile au mépris de la nature et de ses locataires ; je prends le pari que, d'ici à une dizaine d'années, peut être moins, la vallée d'Aspe sera une vallée morte... sans ours et sans cyclo, mais avec énormément de bagnoles et de camions puants ! Les 7 à 8 km de l'ascension du col de Bouesou s'effectuent sous une chaleur bien lourde et dame cyclote donne quelques signes de faiblesse, s'accroche et parvient au sommet un peu émoussée ; après avoir poussé jusqu'au col de Houaratate afin d'admirer le paysage, nous rebroussons chemin et la courte descente dans la forêt nous rafraîchit avant d'entreprendre la montée vers le col de Labays, passage obligé vers le sommet. Heureusement, le casse-croûte tiré du sac va permettre de recharger les chaudières au bord du torrent en regardant passer les randonneurs d'Oloron qui, pour la plupart, nous saluent et nous crient quelques mots. Certains stoppent même à notre hauteur ; avec eux, nous échangeons nos impressions et tombons d'accord sur la difficulté du lieu. En pleine canicule il nous faut repartir car il ne reste pas moins de 13 km avant d'atteindre le sommet convoité et faire au passage une bonne moisson de cols, 15 au total pour cette seule journée ! jusqu'au col de Soudet, nous évoluons dans des paysages superbes et curieux composés de lapiez, de dolines et de gouffres formés par la dissolution des calcaires de ce massif que les champions du "Tour " n'auront sans doute pas le loisir d'admirer. Le Soudet est enfin atteint et un nouveau point de ravitaillement des cyclos d'Oloron nous permet de refaire le plein d'eau tout en admirant un jeune couple qui effectue une version améliorée de Cerbère Hendaye avec des vélos chargés comme des mulets, pesant sans doute plus de 30 kg à l'unité, quelle santé! Le panneau indique 3,5 km jusqu'à la frontière et malgré une furieuse envie d'aller se coucher, mon épouse décide de repartir avec courage afin de remplir le contrat moral que nous nous sommes fixé. Du courage, il en faudra pour achever l'ascension avec ses lacets à plus de 12 %. Par miracle, un énorme troupeau de moutons précédé de son bélier surgit opportunément au détour d'un virage, obligeant tout le monde à stopper en catastrophe. Le plus difficile fut alors de remonter sur sa monture sans tomber ni faire demi tour, et il faudra de temps en temps l'encouragement symbolique de la main aux... fesses pour que madame s'arrache du bitume qui menaçait de l'engluer, alors que même le soleil s'était caché pour ne pas assister à cela... |
Finalement, le sommet nous apparut dans la brume au moment où on ne l'attendait plus et, comme par enchantement, le sourire éclaira à nouveau nos visages, synonyme de satisfaction après l'effort, lorsque l'on découvre que, malgré tout, il en reste encore un peu sous la pédale. " Maintenant, il n'y a plus que de la descente jusqu'à Arette ?" s'enquit mon épouse. Je confirmais avec malice et c'est le coeur léger que nous nous élançons dans la pente en direction du col de Suscousse et de la vallée de Saint Engrâce... que nous ne prendrons pas car j'avais prévu de rentrer par Lanne en Barétous en épinglant au passage les cols de Sainte Gracie, de Lataillade et de la Hourcere, détail qu'elle n'avait pas mémorisé car elle me fait entièrement confiance lorsqu'il s'agit de tracer des circuits. Allais-je devoir déployer des trésors d'imagination pour la convaincre de grimper sans rouspéter les dernières difficultés de la journée ? je résolvais cet épineux problème en partant courageusement à l'avant, la laissant se débrouiller seule avec ses manivelles pour attendre au sommet avec un bidon d'eau fraîche; une fois passées les dernières difficultés, elle sera toute entière à savourer sa réussite et ne pensera même plus à m'engueuler... c'est ce qui arriva ! C'est ainsi que, en ce jour du 14 juillet 1996, une cyclote anonyme devint membre de l'Ordre des cols durs en épinglant de nombreux cols nouveaux sur un tableau de chasse déjà bien pourvu après seulement deux saisons. Mon épouse s'étant, en ma compagnie cela va sans dire, couchée de bonne heure et ayant dormi comme un bébé, j'en déduisais que Larrau afin d'effectuer en avant première du tour, l'escalade du col d'Erroymendi et du port de Larrau classés hors catégorie, soit 10 % de moyenne pendant 7,5 km à partir de Larrau, puis à nouveau 4,5 km jusqu'à la frontière, dont 2 km à 8 %. Le départ de Larrau par une grosse chaleur alors qu'il n'est pourtant que 9 h 30 du matin s'avère très difficile. Il s'agit de trouver la bonne cadence, celle qui nous amènera au sommet. L'air est encore cristallin et les hauteurs du plateau d'Hirraty se découpent parfaitement, si proches en apparence qu'on en distingue les moindres détails. Sur le bord de la route, les premiers spectateurs, déjà en place dans l'attente de la grande étape du surlendemain, n'en croient pas leurs yeux et sortent de leurs caravanes afin d'applaudir les échappés... de l'asile. Il faut bien être un peu cinglé pour entraîner sa moitié dans une pareille aventure au lendemain d'une sortie qui comportait 2300 m de fort dénivelée sous la canicule. Mais quand on aime, on ne compte pas, contrairement à ceux qui passeront dans quelques jours qui, eux, comptent. Dire que ce fut dur serait un euphémisme, et le compteur dépassa rarement 6 à 7 km/h jusqu'au col d'Erroymendi ! Que ceux qui se moquent (ils seront certainement nombreux) aillent donc promener leur triple plateau (obligatoire) du côté de Larrau ! Rejoindre le port de Larrau constitue une formalité lorsqu'on est venu à bout de son petit frère, ce qui fut fait sous les encouragements d'autres touristes venus attendre les gros bras, un peu étonnés de voir une faible femme sur ces pentes abruptes (ils ne doivent pas être assez attentifs). La récompense était au bout, avec de superbes paysages et une faune riche de nombreux grands rapaces qui devaient être des vautours avec leurs cous déplumés. Après avoir longuement profité du point de vue, il nous restait à regagner Larrau par le même chemin, à près de 70 km/h - un peu moins pour mon épouse qui préfère remplacer ses patins plus souvent - et à faire un brin de toilette dans la fontaine du village. Une fois rafraîchis, l'heure était venue pour nous d'aller reconstituer les réserves au restaurant du coin. Quant à dame cyclote, elle se montra à la hauteur tout au long de cette première escapade de la saison et, le BCMF des Aravis passé avec aisance, elle ne songe même plus à jeter la pierre à Saint Martin ! Bernard et Marie-Claude FAURE N°3874 de BOUEX (Charente) |