On entend souvent dire : "oh, vous avez de la chance de voyager à l'étranger...". Oui, mais la vie de touriste n'est pas toujours rose surtout lorsqu'il choisit d'être cyclo-campeur dans un pays aux conditions météorologiques hasardeuses, voire totalement fantaisistes, en tout cas inhabituelles et de toutes façons humides ...! Alors, direz-vous, pourquoi avoir choisi le voyage itinérant à V.T.T. en Islande ? Un coup de coeur, le choc de deux photos dans une revue feuilletée au hasard et le projet était lancé. Bien mince motivation penserez-vous ? Oui, peut-être. Ou peut-être simplement la faculté toujours intacte de s'enthousiasmer pour l'inhabituel, la nouveauté, l'attirance vers les étendues désertiques, sauvages, et toujours, toujours...l'incapacité à envisager des vacances sans vélo et sans efforts, comme si le but atteint était d'autant plus beau que la difficulté pour y arriver était plus grande. Nous étions donc prévenus, documentés. Il n'y avait aucune raison pour que l'Islande, tout d'un coup, pour nous, ne soit plus un pays froid, venté et pluvieux. Nous étions bien équipés, goretexés des pieds à la tête, et nous sommes sûrs aujourd'hui de l'étanchéité de la tente...! Si, en préambule, pour vous communiquer l'envie d'y aller, je vous dis la beauté des paysages, le contraste permanent entre le chaud et le froid, entre la mer et les glaciers dont certains viennent presque mourir dans ses eaux, la palette infinie des couleurs de toutes sortes d'étendues désertiques, c'est pour montrer, encore une fois, que, quels que soient les avatars, un voyage c'est avant tout une mine de merveilleux souvenirs. Je souris, maintenant, en me remémorant les deux épisodes les plus représentatifs des misères qui guettent le cyclo sur le sol islandais. Le premier épisode : un stage forcé de 36 heures sous la tente en attendant la fin hypothétique d'une pluie annoncée. Partant du principe qu'il est plus agréable de monter (et de démonter d'ailleurs aussi) la tente au sec, nous avions écourté l'étape et nous étions arrêtés dans l'un des rares campings que l'on peut trouver à l'intérieur de l'île. A des dizaines de kilomètres à la ronde, le no man's land, pas d'hôtel, pas d'auberge de jeunesse où l'on aurait pu bénéficier de ce qu'ils appellent "sleeping bag accommodation" bref pas d'abri en dur. C'est donc dans un désert herbeux, derrière le maigre abri de bouleaux nains que nous montâmes la tente, juste au moment où arrivaient les premières gouttes propulsées à l'horizontale par le vent. Le camping, vide à notre arrivée, se remplissait maintenant à une vitesse incroyable. Mauvais temps ou pas, les islandais partent en week end, en familles nombreuses ou en groupes, ignorant la pluie et le froid ; le camping se mit à vivre intensément. Ils chantaient , riaient et évoluaient dans le décor uniformément gris pendant que nous nous calfeutrions dans notre minuscule tente verte. La voyaient-ils seulement au milieu de la rachitique végétation ? La fin de la journée se passa paisiblement. Avec la carte et la documentation glanée ici et là, nous occupâmes le temps agréablement à définir l'étape du lendemain. Sortir semblait totalement déconseillé parce que cela signifiait réintégrer ensuite la tente avec des vêtements dégoulinants qui risquaient de mouiller ce qui était pour l'instant sec à l'intérieur, de quoi agacer... Mais il fallait bien envisager de manger. Le camping, sommaire, n'offrait que le service minimum. Il n'y avait pas, comme dans chacun de ceux que nous avions fréquentés, un local fermé faisant office de cuisine et considérablement apprécié des rares campeurs comme nous qui ne transportons qu'un matériel réduit à sa plus simple expression. Pique-niquer sur l'herbe n'était pas envisageable..., les moments les plus critiques de cet épisode furent donc les repas... Heureusement, notre organisation était presque sans faille (rodée chaque année un peu plus par l'expérience d'une nouvelle aventure). Il allait falloir sortir les bonnes sacoches (sur les 8 au total) en un temps record, le matériel et les victuailles ; puis officier depuis le seuil de la tente... inconfortable! Imaginez les délicates étapes et la tension nerveuse qui peut faire réfléchir aux joies du camping : - allumer le camping-gaz à l'abri du minuscule auvent dont l'un de nous maintenait les pans relevés pour éviter de mettre le feu à la tente (les allumettes humides peuvent déjà, à ce niveau là, engendrer un début de déprime). - déposer délicatement la casserole sur le réchaud et veiller à l'équilibre de l'échafaudage, posé à même le sol évidemment pas nivelé, pour parer au moindre coup de vent s'engouffrant là où on ne l'attendait pas (l'une des variantes énervantes, à ce niveau là, peut être l'extinction du feu par le courant d'air ou, scénario catastrophe extrême, la chute de la casserole). - une fois ces épreuves passées avec succès, verser prudemment le produit à réhydrater ou à cuire et attendre, plus sereinement puisqu'il n'y a plus de risque d'incendie. Repas durement gagnés donc, au prix d'une patience et d'un self-contrôle inouïs et tels que nous n'étions peut-être plus en mesure d'apprécier toute la saveur de ces mets délicats... |
Nous ne repartîmes pas le lendemain. La pluie ne cessa que tôt, le surlendemain matin. Etonnés, nous n'entendions plus le crépitement fourni de la pluie dont nous guettions l'arrêt depuis 36 heures... Engourdis, mais craignant de voir s'installer une nouvelle perturbation, nous pliâmes notre paquetage et, sans trop long regard pour ce lieu maudit, nous partîmes sans demander notre reste. Le camping était aussi désert que lorsque nous étions arrivés, comme s'il ne s'était rien passé, comme si cela n'avait été qu'un mauvais rêve... Le deuxième épisode, à quelques jours de là, nous donna la juste mesure de ce vent islandais dont parlaient les guides. Pourtant, tous les jours nous avions roulé ou marché, aidés ou gênés par le vent mais ce soir-là, il déploya une force qui faillit avoir raison de notre bel optimisme. Nous redescendions d'un site de montagne fabuleux, Landmannalaugar, la tête pleine encore (et pour longtemps) des paysages irréels au parfum étrange et entêtant de soufre. Ils baignaient dans des fumerolles qui s'élevaient, de loin en loin, au-dessus des multiples mamelons comme autant de signaux, sous un ciel aux couleurs métalliques, au milieu des glaciers bleutés si proches, au-dessus du bouillonnement inquiétant des eaux qui crevaient, ici et là, comme un couvercle qui cède , sous la pression, la croûte d'un sol multicoloré par une chimie incessante. Nous avions pris un bus jusqu'à retrouver la route N°1, seul grand axe qui dessert le pourtour de l'île. Nous abandonnions les pistes pour le goudron et avions estimé à trois heures le temps nécessaire pour rejoindre Vik, à cinquante kilomètres de là. C'était sans compter avec le vent dont nous prîmes conscience en descendant du bus. Mais nos forces étaient encore intactes et puis, nous en avions vu d'autres, la dernière flèche vers la Provence, par exemple, gagnée contre un mistral intraitable.. Nous remontâmes sur nos vélos rechargés de leurs sacoches respectives. Il était 18h45. La route, en apparence plate longeait la côte au milieu d'un désert noir, tout en ondulations quasiment nues. La vitesse instantanée qui s'affichait sur nos compteurs variait entre 10 et 12 km/h. C'était la cata ! Je roulais derrière Alain, il arrivait qu'il fît écran un bref instant et mon coup de pédale devenait alors incroyablement facile. Mais s'abriter durablement et efficacement était pratiquement impossible. Les rafales étaient d'une telle violence qu'il fallait toute la route, involontairement, pour maintenir un fragile équilibre avec, à deux ou trois reprises, une peur bleue ressentie à l'aspiration des quelques camions qui nous doublèrent. Nous avons roulé ainsi une heure ou plus, je ne sais, tout devenait flou, intemporel. Puis il se mit à pleuvoir. Nous lui avions prêté peu d'attention, mais le ciel mouvant s'était chargé dangereusement. La suite logique était là : une pluie horizontale, abondante, cinglante, aveuglante. Elle cessa, puis recommença et ainsi à plusieurs reprises. Heureusement le vent nous séchait entre temps ...! Que nous restait-il à part le fatalisme ? Nous avions la chance d'être en vacances, nous en avions choisi destination et modalités, nous aurions eu bonne mine de nous plaindre... "Bien sûr nous eûmes des orages", la fatigue, l'agacement, l'inefficacité, la faim peuvent engendrer puis exacerber la mauvaise humeur, mais elle n'a pas vraiment de prise si le moins atteint des deux arrive à trouver les mots d'apaisement qu'il faut. C'est vrai, le temps passait, nous avions du mal à maintenir un ridicule 10 km/h. La nuit allait finir par tomber, c'était inéluctable. Incrédules, nous n'avons rien vu sur ces 50 kilomètres, qui ressemblât à une habitation, une grange, un bâtiment quelconque, un abri bus... Pas un arbre, pas la moindre haie, seules quelques herbes faméliques courbées et vaincues d'avance s'accrochaient à ce sol de laves. Que faire ? Camper là au milieu du désert ? Impensable ! Nous avons donc roulé. La nuit vint vers 23h. Seuls quelques courlis, fidèles compagnons au long bec tournoyant au dessus de nos têtes, faisaient diversion. Nous étions seuls, plus gênés depuis longtemps par le moindre véhicule. Et puis, tout à coup, quelques lumières sur le fond noir de la nuit apparurent au détour d'une falaise que nous avions finalement atteinte après l'avoir eue pendant une éternité en point de mire. Un village, enfin...! Mes yeux se fermaient et ces derniers kilomètres furent les plus terribles. Vik semblait ne jamais se rapprocher. La plaisanterie avait duré cinq heures et il nous a semblé que la route montait sans arrêt. Les discrets islandais qui nous accueillirent si gentiment n'ont certainement pas compris comment l'on pouvait se retrouver ainsi en pleine nuit, à vélo, sous la pluie et dans le vent. Cette petite maison modeste, coquette, chaude et... habitée valait tous les quatre étoiles du monde ! Il fait beau parfois en Islande, mais le ciel tout bleu lui va moins bien. C'est plutôt lorsque le soleil joue avec les nuages, juste avant la tempête, que le spectacle est le plus saisissant, le plus somptueux, le plus enchanteur. Je me souviens de cette lumière, magique, vers laquelle il faudra bien que je retourne un jour, si j'ai le temps... Chantal SALA N°3674 de MURET (Haute-Garonne) |