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Humeurs et Humour !

Revue N° 26 Page 18

Il ne faisait pas bon sortir les randonneuses en cette fin de juin 1997 tant la météo était capricieuse. C'est pourtant ce qu'avaient décidé quatre compères et une commère du CT Angoulême. Ils avaient prévu de longue date de "se faire" la Bonette dans le cadre du BCMF du Mercantour dont le départ était fixé à Guillaumes, à près de 1000 km de leurs bases.

Il fallait en effet avoir le moral pour charger les mulets sur les voitures en ce vendredi pluvieux à souhait pour entreprendre la traversée de la France cap au sud-est, objectif montagne et grand soleil.

Dès Agen, la pluie du matin les avait abandonnés, le sud tenait ses promesses, c'était de bonne augure. Les mollets pleins d'espoir, ils filèrent à toute allure vers leur destination, via l'autoroute du sud. Après une nuit faiblement réparatrice à Annot dans un hôtel labellisé FFCT - qui ferait bien de revoir ses tablettes tant cet établissement est peu confortable - ils parvenaient sans encombre à Guillaumes, charmant village baigné de soleil au confluent du Var et du Tuébi.

Avec la température agréable de ce début d'été, la nouvelle d'un changement d'itinéraire les surprit comme une bourrasque de neige dès leur descente de voiture: la Bonette ne serait pas au menu de ce dimanche. Tant pis pour ses nombreux prétendants qui avaient fait le déplacement spécialement pour elle. La déception se lisait sur les visages, certains allant même jusqu'à accuser les pauvres organisateurs qui n'en pouvaient plus de tant de bêtises.

Qu'à cela ne tienne, on était là. Il faisait beau et un circuit de remplacement avait été mis en place, ce qui n'était déjà pas si mal. Les terrasses des restaurants furent prises d'assaut par des hordes de cyclos affamés, qui dès 13 heures piaffaient sur le macadam, attendant de se lancer à l'assaut de la Cayolle, un 2000 qu'il faut respecter à l'image de tous les 2000, même s'il n'a pas la réputation de ses glorieux aînés que sont le Galibier ou l'Izoard. Les 33 km d'ascension s'effectuèrent finalement dans la bonne humeur et sans trop de difficultés. Au sommet cependant, un soleil devenu pâlot et un petit vent frisquet ne laissaient rien présager de bon, tant et si bien que la traditionnelle photo fut escamotée faute de lumière.

Barcelonnette était atteinte vers 18 heures alors que des nuées menaçantes accrochaient les sommets, ce qui ne manqua pas d'inquiéter les plus avertis qui pensaient déjà au retour du lendemain.

Que d'eau ! Il fallut à nos cinq cyclo-baigneurs, et à quelques autres qui n'avaient pas le choix, une certaine dose d'inconscience pour se lancer au petit matin sur le chemin du retour en entreprenant la remontée de cette même Cayolle car, avec environ 10° dans la vallée, ils pouvaient être assurés d'avoir la neige au sommet. Leurs craintes étaient fondées; tous les courageux qui n'avaient pas eu recours aux taxis furent contraints d'affronter les violentes averses de pluie, de grêle puis de neige tout au long des 30 km qui conduisent au sommet. Les plus rapides bénéficiant même de ce traitement spécial dans une partie de la descente vers Guillaumes.

Certains, venus ici avec l'équipement minimum - cuissard court et K Way - grelottèrent longtemps au refuge de la Cayolle, espérant une hypothétique éclaircie ou une aide des organisateurs. Ils durent se contenter d'une tasse de thé et des bonnes paroles des préposés au service qui, eux aussi, auraient préféré un lit douillet à cette humidité glacée, pas bonne pour un moral de cyclo.

Tous durent boire la coupe jusqu'à la lie car, en plus du froid et de la neige, il y avait la chaussée, ravinée par les trombes d'eau, recelant de nombreux pièges en forme de pierres, de plaques de boue schisteuse noirâtre et autres réjouissances du même tonneau qui font les bonnes gamelles.

Pendant ce temps, Nicole le chauffeur de l'équipe qui nous rejoint aux étapes, rallia Guillaumes par le col d'Allos afin d'éviter les éventuels cyclos qui auraient pu entreprendre la randonnée. Bien lui en prit car, durant notre pénible retour, nous dûmes nous rendre à l'évidence : de rares fadas avaient prit la route ce matin. Ils descendaient le col au ralenti, visiblement transis.
Tu vois, dis-je à mon épouse en pleurs qui me reprochait cette aventure, il n'est pas que deux fêlés! l'eus-tu cru au moment de partir. Cet humour de cabaret après boire n'eut pas le don de la consoler car l'arrivée était encore loin, les nues chargées. Tiens, voilà le vent de face, il ne manquait plus que lui.

C'est à ce moment là qu'une voiture avec un vélo sur le toit, dans laquelle avaient pris place un cyclo en tenue et son épouse, s'arrêta à notre hauteur. Voyant que le moral de la cyclote était au plus bas, il s'enquit de son état, se proposa de mettre un terme à ses souffrances. Celle ci refusa poliment, ravala ses larmes et déclara qu'au point où on en était, qu'un peu plus ou un peu moins...

Peu convaincue, la voiture s'éloigna lentement. Quelques kilomètres plus haut, elle nous attendait, mine de rien, au bord du chemin. Comme nous approchions, le chauffeur, les yeux rivés dans son rétroviseur, observait notre ascension. Il s'enquit de l'état des troupes et constata qu'à l'évidence dame cyclote "s'était refait la cerise" ce qui sembla le rassurer. Je le remerciais chaleureusement car je venais de constater que les valeurs d'entraide sont heureusement encore bien présentes dans notre sport. Il attendit encore un peu et nous rattrapa près du refuge, sûr que nous étions maintenant à l'abri d'une défaillance. Nous ne l'avons plus revu.

Nos quatre compères et notre commère se tirèrent finalement plutôt bien de cette galère. Bernard, Jeannot, et notre bon vieux Roger - le plus jeune d'entre nous bien qu'il ait largement dépassé l'âge de la retraite - arrivèrent malgré tout frigorifiés et rassasiés à Guillaumes, bien avant l'autre Bernard et son épouse Marie-Claude. Ces derniers, qui s'étaient changés au refuge près du sommet grâce au contenu de leur sac à dos, eurent la chance inespérée de pouvoir profiter d'un soleil retrouvé une fois le col franchi, et parvinrent au but tout secs et tout chauds, prêts à repartir. Ce qu'ils auraient fait si nos trois cyclo-amphibies, écoeurés comme tant d'autres, n'avaient capitulé en même temps que nos amis de Ruelle, craignant que cette fantasque montagne nous "remette le couvert" l'après midi. Plus sûrement, ils préférèrent un autre couvert, celui de l'auberge de la grand'rue, loin des frimas et des flocons car, dit-on "où il y a eu neige il n'y a pas de plaisir".

ÉPILOGUE : "Aux niçois* qui mal y pense". On se sera tapé 2000 bornes en bagnole pour un seul 2000 mètres, dommage que la Bonette ait joué la star pudique devant tant d'empressement, se couvrant de son bonnet de laine blanche afin sans doute de passer inaperçue.

Quant à l'organisation, parfois critiquée, elle a frisé la catastrophe, car elle aurait bien pu se retrouver le dimanche matin avec 300 cyclos sur les bras, à rapatrier de Barcelonnette ou de Jausiers. Sans parler de ceux qui, insuffisamment préparés, auraient pu se faire coincer par le mauvais temps dans la Cayolle ... ou dans la Bonette. Ils ont bien du mérite! (les organisateurs).

Aucun accident grave ne s'est fort heureusement produit. Seule la déception se lisait sur tous les visages, tant ceux des organisateurs bénévoles fatigués par plusieurs jours de lutte, d'incertitudes et de modifications à gérer au dernier moment, que ceux des participants qui pensaient maintenant au long chemin du retour.

Comme il fallait bien continuer à vivre, avec ou sans Bonette, on s'est tapé la cloche à la santé du BCMF du Mercantour, tout en considérant que la route de Jausiers à St Etienne de Tinée serait toujours bonne à prendre lorsque la grande dame serait consentante.

Deux jours plus tard, elle était à nouveau accessible, mais nous étions repartis. Comme quoi, c'était juste pour faire c...!

Bernard FAURE N°3874

de BOUËX (Charente)





* Club de Nice organisateur de ce BCMF, que l'on ne saurait honnir pour cet échec.

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