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A propos de cyclo-muletade

Revue N° 26 Page 19

Relater pas à pas le cheminement d'une randonnée est la plupart du temps une entreprise aussi fastidieuse que peu captivante tant pour le lecteur accidentel que pour un cyclo accro.

Je vous épargnerai donc mes salades. Toutefois ! Il est des précisions qui se doivent d'être soulignées. Celles ayant trait au balisage des sentiers et aux vices cachés du parcours sont des témoignages qui ne manqueront pas d'intéresser l'excursionniste méticuleux d'une part, et le néophyte candidat à la cyclo-muletade d'autre part. En effet, le randonneur chevronné, à la base du tracé d'une balade, omet parfois de mentionner, par excès de routine, des situations épineuses qui ont pour effet de déboussoler l'aventurier occasionnel. Même le baroudeur intrépide qui s'écarte sur des chemins ignorés de la civilisation du bitume risque, peut-être, de se poser des questions.

Au cours du circuit vosgien Al (cf. Guide Cyclo Muletier Topo 1 page 12 - 1990 Club Cent Cols) qui s'articule de part et d'autre de la vallée de la Plaine située au pied du Massif du Donon, j'ai relevé plus d'une clairière - souvent l'aire d'un col - qui m'a donné du fil à retordre à dénicher les repères directionnels. Mais n'anticipons pas !

Mon entrée en matière ne sera ni plus ni moins qu'un coup de chapeau à l'égard des initiateurs du projet. Le col de Roulé-Bacon, dont l'accès pentu exige de bonnes jambes entraînées, prend son origine au centre de la petite bourgade de Raon-lès-Leau. Il suffit de suivre les panneaux qui renseignent le site de la "Voie Romaine". Le balisage est parfait. Cette spectaculaire chaussée, vestige insolite de l'Antiquité blotti au coeur d'une vaste forêt domaniale, s'en va mourir dans l'éclaircie du col de Roulé-Bacon. Pavé d'énormes blocs de grès rouge, ce témoignage du passé constitue le clou de la randonnée. Vaut une poussée d'adrénaline. Ensuite, de cette clairière, il n'y a qu'à suivre le marquage des croix bleues, balisage géré par le club vosgien, qui matérialise les sentiers entre les cols de Roulé-Bacon et de la Chapelotte. Il n'y a qu'à..... Oui, mais !!!!! Mais, il arrive que le balisage soit logé aux abonnés absents. En débroussaillant une sente, il se peut qu'un forestier ait scié malencontreusement un arbre portant les précieuses indications. A moins que celui-ci fasse tout simplement partie d'une coupe réglée. J'en ai fait personnellement les frais au carrefour des "Collins" avec le "Haut des Planches". Mon guide bardé de ses insignes bigarrés gisait lamentablement en contrebas du chemin. Ces petits riens qui ont la faculté de corser l'aventure acculent alors le randonneur dans ses ultimes retranchements en matière d'orientation !!!! Quant au néophyte, s'il est seul...???

Ainsi, malgré une constante attention, le sentiment de m'être fourvoyé me renvoya à la case du col de la Borne. Ô heureuse initiative ! Sans ce magistral coup de pifomètre, j'eusse escamoté, à l'instar de confrères qui m'ont avoué n'être jamais passés sous le pylône de l'ORTF, l'unique tronçon non cyclable de l'itinéraire. A cet endroit, d'imposants blocs de rocher obstruent le sentier et imposent de courtes séances de portage. A défaut de lynx qui défraient la chronique forestière ou du coq de bruyère qui hante ces sombres forêts, je me retrouvais là face-à-face avec Maître Renard, qui trop occupé à engloutir son repas, mit une éternité - lisez quelques secondes - avant de me fixer avec terreur et de prendre ses jambes à son cou.
Autre observation ! Les affaissements de la ligne de crête - c'est à dire les cols - sont ici souvent à peine perceptibles et sont cernés par une luxuriante végétation qui bouche la vue de tout panorama ou échappée sur la vallée. Ils se situent la plupart du temps à la croisée d'une multitude de routes et de sentiers forestiers qui sont ravinés et défoncés par le débardage des bûcherons. Ces derniers sont aussi à l'origine de la création de nouveaux chemins qui, à l'heure actuelle, ne sont pas repris sur les cartes topographiques. Un casse-tête supplémentaire pour le randonneur.

Le col du Coquin en est un cas typique. M'étant conformé rigoureusement au circuit décrit par les auteurs, je vous passerai ma stupéfaction quand, après un minutieux examen de la clairière, je découvris que la voie du Chemin des Bannes - l'étape suivante de ma ronde - me renvoyait proprement d'où je venais. En outre, la direction du col de Ferry - l'étape précédente - était fléchée dans les deux sens opposés de l'aire. Bref, un dilemme à en perdre les pédales. En réalité - ce qu'il faut savoir - c'est que le col du Coquin, en venant du col de Ferry, décrit à très peu de choses près une boucle presque parfaite. Ce contretemps ébranla quelque peu mon bel aplomb. Dame solitude profita de ce moment précis pour se manifester afin de mettre un terme à mon outrecuidance. Les senteurs des sous-bois abondant de myrtilles, de brimbelles et de fougères, les chemins confidentiels et les murmures discrets de la forêt auraient dû me transporter au royaume des bienheureux. Mais... même la course alerte d'un chevreuil me laissa impassible. Haro sur moi. Je m'en vais vous avouer le comble de la vexation : " C'est le retour de l'asphalte, à proximité du col de Prayé, qui mit du baume sur mon optimisme défaillant".

Sans plus me formaliser, je poursuivis sur ma lancée jusqu'au col de Donon. De ce point culminant qui sépare l'Alsace de la Lorraine, le point de vue sur la ligne bleue des Vosges a ravi mes sens et m'a tout bonnement requinqué pour la suite de mon escapade. A mon avis, cette digression est une excellente alternative au programme initial. En outre, on franchit sur ce tronçon un vrai col entre la Corbeille et la Tête Mathis qui - je ne sais pas pour quelle raison - est boudé par le Grand Maître de la Confrérie des Cent Cols.

Remarque ! Cyclo pressé abstiens-toi. C'est une balade dessinée pour les épicuriens.

En résumé, cette ronde cyclo-muletière ne développe en fait que deux véritables ascensions et - si l'on s'en tient strictement au tracé du guide - comme le cyclo a du mal à se positionner par rapport aux sommets qui l'entourent, je conclurai par une perle relevée dans "La Foire aux Cancres", le best-seller de Jean-Charles : "La montagne comprend trois parties : la plus haute, la moins haute et la partie entre les deux". Indiscutablement, les deux tiers de ce circuit vosgiens se déroulent dans la troisième partie et tout compte fait, cette sortie m'a permis d'inscrire une belle page de cyclotourisme en cette radieuse journée de fin d'été.

José BRUFFAERTS N°1997

de BRUXELLES (Belgique)


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