La randonnée de ce jour semblait s'annoncer sous de meilleurs auspices que la veille. Un parcours dans la jolie cité d'Ammerschwihr en guise d'échauffement me mena vers la Porte Haute avant d'entamer l'ascension, sur Labaroche. Des claquements de becs ponctuèrent mon passage sous l'édifice : un couple de cigognes me surveillait. Un timide soleil éclairait les vignobles que je quittais par une route serpentant lentement au fond d'un vallon, puis au milieu de bois et de pâturages. Les maisons fleuries et le vert profond du paysage sentaient bon le printemps, mais des gros paquets de nuages me rappelèrent rapidement que les giboulées en mai étaient toujours possibles. Au sommet de la route en lacets, un aller retour sur un chemin forestier très agréable me permit de glaner le Col du Herrenwassen (68-708). A la sortie de Labaroche je me laissais glisser dans une belle descente vers le vallon de Tannach, puis sur la cité d'Orbey. Les gouttes de pluie commençaient à faire leur apparition, accompagnées de petites rafales de vent. En traversant Orbey, je ne pouvais pas résister à la tentation d'épingler le Col de Bermont (68-642) à ma collection; mais la fin de parcours, vent de face, me fit bien peiner. De retour à Orbey l'ascension jusqu'au Col de Wettstein (68-882) s'effectua dans une atmosphère de plus en plus lugubre ; les paysages étaient certes jolis, la route étroite et peu fréquentée pouvait paraître agréable, mais le ciel n'arrêtait pas de s'assombrir. Le vent redoubla d'intensité ; il commençait à faire de plus en plus froid. Un crachin continu s'abattait sur les crêtes vosgiennes et je ne prêtai aucune attention au cimetière qui précédait l'accès au col, et ce malgré les centaines de croix alignées. La route s'éleva un peu plus en direction du Collet de Linge (68-983). La brume gagnait l'ensemble des sommets et le souvenir de quelques randonnées dans la Meuse revenait à la faveur d'un monument aperçu sur le côté de la route. Un silence lourd et glacé s'imposait progressivement. J'étais le seul voyageur sur cette route et quelques hectomètres plus loin, un mémorial se dessina dans la pluie. Le site me glaça encore plus. A l'évocation de la guerre de 14-18 des noms reviennent inévitablement: Verdun, la Meuse, la Marne, la Somme... mais j'avais oublié que de sanglants affrontements avaient eu lieu ici, dans les Vosges. Au milieu des tranchées creusées à même le grès, un parcours de croix en croix me ramena quelques mois auparavant, lorsque je ralliais quelques sites BPF de la Meuse et l'unique col de ce département : l'abri du Kronprinz, le musée de Varennes en Argonne, la Butte de Montfaucon, la Côte 304... un parcours rythmé par les cimetières et les villages fantômes. Tout évoquait les combats tragiques qui s'y déroulèrent. La terre, les rochers et la végétation pourtant avaient repris leurs droits. En pénétrant dans la forêt d'Argonne, tout semblait tranquille, comme ici dans le massif vosgien. Mais la route de la "Haute Chevauchée" qui devait me conduire jusqu'à Clermont en Argonne (d'où l'accès au Col des Etots (55-196) est rapide et relativement aisé par Beaulieu en Argonne) dévoilait à chaque coup de pédale les cicatrices indélébiles de la monstruosité humaine. Je retrouvais au Linge le même sol tourmenté, les mêmes morceaux de fer enchevétrés dans les racines des arbres, les mêmes stigmates laissés par les tranchées. Le vent continua de se renforcer tout comme la pluie. Je quittais les lieux ... presque soulagé d'être bien vivant, sur ma bicyclette et en pleine forme. Il me fallut ensuite rejoindre le Lac Blanc pour y déjeuner... en paix malgré l'atmosphère toujours aussi glacée. |
Au Col du Calvaire (68-1144) je retrouvais un brouillard épais qui ne me gêna pas pour rejoindre le Col des Immerlins (68-1165). Par contre, en avançant de plus en plus sur la Route des Crêtes il se fit de plus en plus dense jusqu'au Collet du Lac Vert (68-1225). Je voyais à peine la roue avant du vélo et je fus obligé de sortir le baudrier de sécurité ainsi que les feux avant et arrière. Je préférais réserver alors le col de la Schlucht pour des jours meilleurs. Frigorifié je rejoignis le col du Calvaire avant de fondre sur celui de Louschbach (68-977). La pluie cessa peu après et l'accés au Col du Bonhomme (68-949) ne posa guère de problèmes. Il me semblait retrouver la fin du 20 éme siècle au bruit des voitures franchissant ce col. Le vent continuant de souffler, les nuages commençaient à se désagréger. Je pouvais alors poursuivre un peu plus sereinement sur la Route des Crêtes en passant le Col du Pré des Raves (68-1067). Enfin une belle descente s'offrait à moi, d'abord sur le Col des Bagenelles (68-903) avec une vue splendide sur la vallée de la Lièpvrette, puis vers le Bonhomme où de belles vosgiennes me regardaient passer sans pour autant interrompre leur rumination. Le soleil revenait et s'installait de nouveau ; les vêtements chauds et les équipements retrouvèrent le fond de la sacoche. Avant Lapoutroie, une bonne montée me mena au Col de Châmont (68-681). Le reste de la randonnée n'était plus qu'une succession de plats et descentes jusqu'à Ammerschwihr. En traversant Kaysersberg je pouvais alors savourer cette belle randonnée pleine de cols et de dénivellation. Les altitudes mentionnées au décimètre près sur certaines bornes kilométriques et les secteurs pavés du Col du Haut de Ribeauvillé (68-742) m'avaient fait sourire la veille ; là par contre, j'avais du mal à oublier ceux qui s'étaient cruellement battus... pour quelques mètres de plus. Eric LASTENET N°3191 de PRIVAS (Ardèche) |