Il pleut. 8 heures du matin. Coincé dans la petite chambre d'hôtel de Briançon, j'attends. J'avais prévu d'aller recueillir le sacro-tampon de l'Izoard, un tampon sacré BPF de légende, mais voilà, nous sommes en plein nuages, il pleut à torrents, à 1200 m d'altitude... alors à 2360 m... Midi, il ne pleut plus. Le plafond céleste ne rampe plus à ras de terre mais a repris sa place au-dessus des têtes. Les nuages prennent forme et blanchissent, c'est encourageant. 13h.30, le soleil brille de tout son éclat, le ciel est du bleu le plus pur, nous sommes le 21 juin, c'est le premier jour de l'été. Il n'a pas fallu deux heures pour transformer une ambiance de novembre en un temps radieux. Il aurait fallu trois jours pour arriver au même résultat sur mes terres champenoises ! 14h. J'attaque les premières pentes cahotantes qui m'extraient de Briançon. La route de la vallée de la Cerveyrette apporte la preuve des dernières intempéries : larges bandes de graviers boueux, rigoles d'eau courante, plaques de cailloux et par-ci par-là, blocs de roches de la grosseur d'une cocotte-minute. A Cervières, la route abandonne la Cerveyrette pour suivre le cours de l'Izoard et ne plus le lâcher jusqu'à sa source près du col. Le petit torrent roule des eaux grises tumultueuses. Il roule plus fort que moi qui ai adopté le 30x28 ; j'ai tout mon temps et surtout les moyens limités de l'homme de la plaine qui n'a plus 20 ans. A propos, c'est hier soir que j'ai rencontré une dame cyclo effectuant en solo, toute seule si vous préférez, son tour de France (le vrai, celui de l'U.S. Métro). Elle m'a tout raconté, ses combats, ses aventures, sa ténacité : vélo, bagages et cyclo(te), elle hisse le tout et vient à bout de toutes les pentes avec un 26x30. Non, je ne me suis pas trompé : plateau de 26, pignon de 30. Du coup ça élargit le champ de mes possibilités. Bref, je grignote. Deux jeunes allemands m'ont doublé, puis un retardataire, mais quelques centaines de mètres plus loin, je les ai rejoints ; ils font la pause sur le bas-côté de la route. J'atteins le Bois de Péméant. Un couple prend le frais installé sur le bas-côté, table de camping, fauteuils, voiture à portée de main. Quand je dis le frais, je pourrais dire le mouillé, tout est trempé, herbes, arbres, pierres, terres. Bref, voici les virages routiers signalés par un double chevron sur la Michelin. Devant moi, un couple de marcheurs coupe au plus court par le sentier ardu qui monte tout droit tranchant toutes les courbes du ruban de bitume. |
Dernier virage aigu, derniers sapins, souffle court, coup d'oeil au-dessus, pas de doute le plus dur est derrière ; alors à mon tour petite pause sur le bas-côté. L'herbe brille de mille vifs petits éclats, les fleurs de toutes couleurs parsèment de taches multicolores le tapis verdoyant. Mais qu'est ceci ? Là , posé sur l'herbe, à portée de main de la roue avant de mon vélo, déchet incongru dans cette pure nature, un petit carré de papier plié, ça ressemble... oui l'aspect, la couleur... ça ressemble à un billet de banque plié et replié. La curiosité l'emporte. Je ramasse le papier. Il est trempé, détrempé, dégoulinant, plus mou qu'un chiffon, et ce que j'en vois ressemble vraiment à un billet de banque plié en huit. Je déplie doucement et c'est... mais c'est bien sûr... un billet de cent francs. Tiens, voici le couple de marcheurs croisé tout à l'heure. Ils passent près de moi, on se salue, on se sourit, mais la trouvaille, c'est trop tard pour eux. J'étire précautionneusement le cadeau de l'Izoard et l'étends à l'abri d'un envol impromptu dans le sac de guidon où je pense qu'il va pouvoir sécher en toute quiétude. Tiens, voilà mes trois cyclos allemands qui passent près de moi ; pas de pause cette fois-ci, pas de trouvaille non plus. Faut pas rêver... Voici le Chalet Napoléon. Le vent glacial des cimes règne en maître, il a chassé les derniers miasmes du matin, le bleu-roi céleste règne en souverain incontesté. Tout de même un petit café sera le bienvenu et l'occasion de demander le sacro-tampon. (de toute façon, au col tout est fermé, aussi, méfiant, j'ai photographié mon vélo au pied de la Stèle-souvenir, sous les yeux étonnés d'automobilistes emmitouflés). Et c'est l'occasion de tester mon beau billet de cent francs. Il est là, tout sec, tout beau, tout craquant, tout aplati dans mon sac de guidon. Le cafetier l'a pris sans hésiter, il a tamponné sans hésiter et il m'a dit sans hésiter : "Ce matin vous ne seriez pas venu jusqu'ici, il y avait de la neige et une bonne épaisseur ! " J'en suis resté éberlué". J'ai repris mon tampon, ma monnaie, mon vélo et me suis lancé dans la descente. Doucement... quelquefois que... Mais faut pas rêver ! un cyclo qui grimpait m'a crié : "c'est bon là-haut ?" "Oui" lui ai-je hurlé. Peut-être que lui aussi, sur le bas-côté... faut bien rêver... De toutes façons, quelle que soit la forme qu'elle revêt, c'est sûr, la Fortune vient en grimpant. Gabriel BARILLET N°2959 de REIMS (Marne) |