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S'asseoir sur la "Cadière"

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Et puis, comme dans un rêve, il est là, le 1000 ème col et ce moment que j'attendais depuis si longtemps.

Après plus de 20 ans de balades en montagne, après tous ces cols escaladés (dont 55 à plus de 2000m. d'altitude et de nombreux franchis plusieurs fois), les yeux pleins à jamais de tous ces paysages, la peau salée par la sueur des efforts gratuits, halée par vents et soleil, et tannée par l'air vif des sommets, la chair meurtrie par de vagues chutes dont je ne me souviens même pas, le coeur riche de l'amitié de copains d'escalade, j'ai presque envie de pleurer au sommet du col de la Cadière (241m).

N'allez tout de même pas croire au sentimentalisme exacerbé que l'on prête si facilement aux poètes, noble catégorie dans laquelle on me fait parfois l'amitié de me classer. Je viens plus simplement de passer un cap significatif, d'atteindre l'un de mes objectifs de longue haleine et il va m'en falloir impérativement fixer de nouveaux car la vie n'a de sens que lorsqu'on va de l'avant. L'une des composantes les plus riches du bonheur c'est l'espoir de l'obtenir, c'est la quête toujours recommencée, et le vin est d'autant meilleur qu'on a su l'attendre longtemps.

Je pourrais laisser là mon récit et même, pourquoi pas, charger le vélo sur la voiture, car le but de la journée, de l'année même est atteint. Mais je pédale sur un nuage et la petite rampe (83 m de dénivelée) qui m'emmène par la route goudronnée au col Notre Dame (324 m) me semble toute plate.

La mer disparaît dans la brume tandis qu'à vive allure je fonds sur le col des Lentisques (261 m), richement doté d'un panneau sommital puis remonte brièvement sur la baisse des Sangliers (250 m). La descente sur le col de l'Evêque (159 m), le 16 ème et dernier de la journée est rapide et tortueuse et le revêtement de la route est à peine plus confortable que les pistes empruntées au long de la sortie.

Je souhaite, en conclusion à mon petit récit, "philosopher" un petit instant sur le Club des Cent Cols, premier responsable de ma passion dévorante pour les cols et vous faire part de quelques réflexions.

Au début, jeune (ou moins jeune) cyclotouriste, on souhaite y parvenir pour rejoindre une Confrérie prestigieuse, en se lançant à soi même un défit qui peut paraître insensé, en particulier à ceux qui ne font jamais de sport. C'est alors une période intense où chaque col nouveau est savouré comme autant de victoires et je connais des cyclotouristes qui en sont restés là, s'estimant satisfaits de ce résultat.
Puis, les cent premiers cols franchis, on se dit qu'après tout, on pourrait faire beaucoup mieux; qu'il y a encore tout près de chez soi (et en particulier en Ardèche et dans la Drôme) tant et tant de cols à franchir; qu'on est jeune et qu'il faut en profiter pour se mesurer aux grands cols qu'on ne pourra peut être plus franchir quand on s'avancera dans l'âge... On progresse alors très vite dans le nombre de cols escaladés chaque année, période sportive avant tout.

Ensuite, on se met à regarder d'un peu trop près le "Tableau d'honneur" de la revue du Club des "Cent Cols" et arrive alors une période moins conforme à l'éthique fédérale pendant laquelle l'objectif majeur semble être de doubler le copain de club ou cet inconnu qui se trouve juste devant vous au "classement" et qu'on se jure de voir derrière sur la prochaine revue annuelle. On en vient alors à privilégier le nombre de cols franchis au détriment de la convivialité et de la découverte ce qui, convenez-en, est plutôt dommage.

Et puis, l'expérience aidant, la sagesse vient. On franchit peut être moins de cols, mais on les apprécie d'autant. On se met à vouloir faire des adeptes et à partager la joie que procure un effort gratuit, sans supporter ni spectateur, sans adversaire autre que soi même et la route, sans récompense, sans drogue ni argent, en se disant qu'on est sans doute les derniers représentants du véritable esprit olympique.

Alors, quand le soir descend et qu'on arrive au terme du voyage qu'on s'était fixé, quand le millième col se profile, on choisit pour le franchir non pas le plus grand, le plus haut et le plus difficile mais, peut-être par dérision et parce qu'on ne se prend pas au sérieux, de s'asseoir pour ce grand passage au col de la chaise, ou si vous aimez mieux, et en provençal s'il vous plaît, sur la "Cadière" !

Rolland ROMERO N°1269

de la VOULTE (Ardèche)


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