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J'ai prié St JUBARU

Revue N° 26 Page 45

Il est encore tôt, 8 h, l'heure du petit-déjeuner, je le rencontre adossé à l'ombre d'un arbre alors que le soleil commence déjà à darder ses rayons ; quoi de plus naturel pour un cycliste ? Son Vélo-T-T est à ses pieds, il se restaure. Nos regards se croisent, nous nous saluons et je ne sais pour quelle raison, je m'arrête.

Je suis en route depuis 5h du matin au départ de Lanslebourg ( Savoie ), j'ai assisté au lever du soleil au col du Mont Cenis,(2.081m) ensuite descendu sur l'Italie à Susa (Italie-503m) et j'ai l'intention de remonter à Sestrière (2.033m) par la piste afin d'augmenter ma collection de 8 cols supplémentaires au-dessus de 2.000 m . Un article dithyrambique signé par le responsable territorial pour la Belgique, André Tignon, paru dans la revue "Le Cycle" m'avait enthousiasmé au plus haut point.

Et la suite ? j'ai prévu le retour à la case départ avec nouvelle ascension du Mt Cenis par l'autre versant. C'est ce que j'explique à mon sympathique bonhomme, qui tout de suite, additionne mentalement les dénivellées et les kilomètres et me propose tout de go de me ramener le soir au col du Mt Cenis si besoin est. Il me renseigne sur l'état de la piste et du profil de la randonnée car j'ai oublié le topo et les lires italiennes expressément achetées pour l'occasion. Pour celui qui connaît le trajet Susa-Sestrière, on n'a guère l'opportunité de dépenser ne fut-ce qu'une lire. Je le remercie chaleureusement et continue ma route vers le col de Finestre (2.176m). Etant plus âgé (67ans) et en VTT, il ne veut pas que je l'attende.

En cours d'ascension je ne peux résister au plaisir de mettre pied à terre pour jouir du panorama en toute sécurité car le macadam a vite fait place au chemin de terre, à la caillasse, aux ornières. Au sommet, alors que j'immortalise sur la pellicule le panorama, j'ai comme l'impression qu'une minuscule fourmi se promène sur la lentille du Nikon. Pas tant que ça ; à y regarder de plus près, car la fourmi grandit de plus en plus au point de devenir un minuscule cycliste, je reconnais mon compagnon de rencontre que je décide d'attendre afin de lui offrir une photo souvenir devant le panneau signalant le col.

Lui aussi est membre du Club des 100 cols (N°3891 - 22 cols nous séparent) et nous fraternisons de plus belle. De nouveau, il m'invite à continuer sans lui. Le revêtement exigeant une conduite prudente surtout dans les descentes, il ne faut guère de km pour qu'apparaisse "une grosse soufflette" sur le côté du pneu arrière suite à une accélération non contrôlée parmi la pierraille. Je suis encore en contemplation du spectacle au col de l'Assietta (2.472m) quand mon regard tombe sur cette excroissance qui exige une réparation immédiate. Par souci d'économie du pneu de réserve, une rustine fera l'affaire pensais-je ingénument !

Guère de km plus loin et plus bas, de méchants cailloux ont raison des 2 pneus en même temps. A l'autopsie : double crevaison à chaque pneu dont un déchiré. Je suis au km 36, il en reste 20 sur la piste. Heureusement, tout est prévu : pneus et nouvelles chambres à air font rapidement l'affaire. C'est sans oublier l'adversité qui peut parfois s'abattre sur un cyclo au-dessus de tout soupçon ; car de nouveau, de traîtresses aspérités cisaillent les innocents pneus. La dernière chambre à air de réserve ainsi qu'une demi-boîte de rustines viennent à bout de cet incident. Je reprends la route prudemment; mais inconsciemment, mon regard est de temps en temps attiré vers l'arrière comme si une force mystérieuse m'y entraîne.
Il eut été plus sage de regarder devant moi, inutile d'en dire plus, les lecteurs auront compris. Le reste de la boîte de rustines y passe. Nouvel essai, le pneu se dégonfle aussitôt. Je regarde désespérément autour de moi. 10 km plus tôt j'étais en admiration devant le paysage grandiose m'entourant, maintenant, à 10 km de Sestrière, il est déjà 16h., pas un chat, encore moins de cyclos. Je suis à plus de 100 km de mon campement avec 30 km de remontée pour 1700 m de dénivelée et je commence à perdre les pédales.- un comble! -

Je m'agenouille et mains jointes, je lance un appel désespéré à Armand JUBARU dont on vient de commémorer le 100ème anniversaire de la mort . Un petit mot d'explication pour les lecteurs curieux : c'est en mémoire d'Armand JUBARU qui trouva la mort un 14 juillet 1897, en dévalant à bicyclette le Mont Saint-Aubert que l'on doit l'appellation de ce lieu. Ce lieu sera rendu célèbre pour les cyclistes à partir de 1985, date à laquelle, sur proposition de l'Union Audax de Tournai, avec l'appui de la ville de Tournai, il est reconnu officiellement col, matérialisé par un panneau et figure sur la carte Michelin. Situé géographiquement entre le Mont-Saint-Aubert (149m) et un autre mont anonyme culminant à 108 m, le col de la Croix Jubaru revendique une altitude de 99 m.

Je ne sais combien de temps je suis demeuré prostré, mais un coup de sonnette suivi d'un chaleureux "besoin d'un coup de main?" me tire de ma torpeur. Si vous êtes perspicaces, vous aurez deviné de qui il s'agit. Bien sûr, ce n'est pas Jubaru lui-même, mais le compagnon de rencontre de la matinée qui termine paisiblement sa balade sans problème. Avec calme et expérience, il prend en main la direction des opérations ainsi que l'ultime rustine retrouvée dans le fond de la sacoche et assure une réparation temporaire qui permettra la liaison avec Sestrière.

Sestriere, haut lieu du sport alpin ne regorge guère de vélocistes, car mon St -Bernard, c'est ainsi que je l'appelle maintenant est parti à la recherche de chambres à air. Il revient bredouille. Qu'à cela ne tienne, il prendra de l'avance lors de la longue descente de 45 kms vers Susa à la recherche de la membrane salvatrice. Le pneu est complètement à plat ayant renoncé à le regonfler tous les km, j'aperçois au loin un bras agité dans tous les sens et exhibant quelque chose que je devine être le matériel tant désiré. Le visage heureux, il m'annonçe fièrement avoir enfin trouvé un magasin d'accessoires vélocipédiques.

C'est ici que les lires oubliées auraient été utiles pour rembourser mon Touring Assistance occasionnel qui a avancé l'argent. Je le rembourse en francs français avec un cours des plus avantageux.

Il est 18h ; enfin le moral revenait au beau fixe, mais de gros nuages noirs pointent le bout de leur nez dans la direction du Mt Cenis à 1700 m plus haut. Un rapide calcul me fait envisager une arrivée vers les 10h du soir là-haut, soit 23h30 au camping. De nouveau le doute m'envahit et alors que nos routes vont se séparer, lui vers sa voiture, moi vers les cimes ténébreuses, mon St Bernard me propose de me ramener à la frontière, m'évitant ainsi 20 kms d'ascension. Je ne sais pas refuser ! Merci St Jubaru et surtout merci à mon nouvel ami Jules Dejace.

Marcel LEFEBVRE N°3760

de BOIS d'HAINE (Belgique)


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