Le pyrénéen, déraciné à Paris que je suis, vient souvent au pied de ses montagnes pendant les vacances à la recherche de routes non parcourues, de cols inconnus. Cette année, j'ai acheté (publicité gratuite !) un petit guide merveilleux "Itinéraires cyclistes en Pyrénées Atlantique" de Georges Véron et Jacques Roux aux Editions ALTIGRAPH. A l'intérieur, on y trouve des petits circuits à faire où je trouve ce plaisir de la découverte, mais aussi de l'effort. Au sortir de la Semaine Fédérale d'Albertville, mes mollets n'étaient pas encore repus de montagne, et je décidais donc, en cette fin de mois d'Août, avant de regagner mon pays de "fumées et de cités", d'aller prendre un dernier bain d'azur et de verdure. Le circuit n°11 dit "du Baretous", long de 61 km avec 1.800 m de montées, me semblait relativement excitant, surtout le Col d'Issarbe dont le profil sur "l'Atlas des Cols de Pyrénées" avec ses 11,5 km à 8,5 % retint immédiatement toute mon attention. Parvenu avec ma voiture à Ance, je rangeais celle-ci à l'ombre de l'église, descendais ma randonneuse du toit, l'équipais et partais direction Aramits. Là je pensais à remplir mes sacoches d'eau minérale, de fruits, de pain et de fromage, avec l'intention de pique-niquer au sommet du col. Je pénétrais ensuite à Lanne en Barétous où j'avalais un pain aux raisins hyper crémeux et m'élançais vers Tardets-Sorholus. A la sortie de Lanne, après avoir traversé le petit pont de Bascoute enjambant la petite rivière dite "Vert de Barlanes", je bifurquais à gauche pour emprunter la D 632. A cet endroit, j'étais à 18 km du sommet, à 315 m d'altitude, c'est-à-dire avec un dénivelé de 1135 m à me mettre dans les jambes. Au début, sur ce petit ruban de macadam gris clair, tout était facile. Je glissais au milieu des prairies qui petit à petit se mettaient à pencher, puis à être avalées par les rochers et les bois de sapins. Autour de moi, l'air faisait frissonner les feuilles des arbres ou des buissons ; à côté, dans les taillis retentissaient les tressaillements du cours d'eau frappant les rochers, se glissant sous les souches des arbres, rebondissant d'une berge à l'autre. De temps à autre, on entendait le carillon d'une vache qui broutait amoureusement un tapis moelleux et sûrement délicieux d'herbes suintantes de rosée, ou un insecte vrombissant frôlant ma tête, ou le bruit d'un bulldozer caché plus haut dans la montagne. Et toujours ce chemin presque plat serpentant au milieu de petits champs, avec ça et là une grange abandonnée, des meules assaillies par des escadrilles d'insectes divers. A gauche, mes yeux n'arrivaient pas à se détacher de ce gros mamelon boisé vert foncé, vers lequel la route semblait vouloir s'enfermer : sûr que la difficulté allait commencer là ! Sur ma carte installée sur la sacoche, j'avais surligné le pont de Blancou : c'était là, 6 km après la bifurcation que la route montait brutalement à 10 % et ce, sur 3 km. Inutile de dire que plus on s'approche, plus le corps est tendu, plus on se prépare à affronter la pente. Soudain un pont, non ce n'est pas le bon, la route est toujours plate. Alors on avance, la vallée a disparu, maintenant la route semble vouloir se faire enfermer dans la rocaille et la forêt. Bientôt le pont est en vue. Sitôt franchi, la route devient sans transition très dure, je cherche la suite sur le versant à demi boisé en face, mais je ne vois rien. Je suis sur le 30/28 et pourtant je suis debout sur ma machine, le souffle coupé et je mets pied à terre au bord du vomissement : j'avais vraiment sous-estimé la difficulté. Je couche mon vélo, attrape le pain et le fromage et tout en regardant la paroi boisée, je mange lentement, tandis que la sueur inonde mon visage. Je remonte sur mon vélo et lentement j'enroule, m'élevant à 5-6 km/h sur une route jonchée de petits cailloux, de graviers, de débris végétaux divers. Les lacets succèdent aux lacets et le premier kilomètre est accompli difficilement, très difficilement. La pente parfois se durcit encore, j'aperçois la route où j'étais il y a quelques instants. Le mamelon boisé vu de la plaine commence presque à être en dessous de moi ; en bas j'entends le moteur d'une voiture qui monte et qui force à chaque virage en épingle. Bientôt elle arrive sur moi, me dépasse et, à l'oreille, au bruit du moteur, je sais que le calvaire n'est pas encore terminé : il me reste encore 9 km à grimper et c'est toujours aussi dur. Je suis totalement enfermé dans la forêt, les rayons du soleil dansent entre les branches feuillues, exécutant sur le macadam de la route de rapides arabesques lumineuses. |
A chaque virage, la forêt se déchire pour laisser une trouée par laquelle on aperçoit les collines environnantes au pied desquelles j'étais il y a quelques heures à peine. Car le temps s'écoule vite, ma moyenne est réduite à la portion congrue, au compteur j'ai du mal à dépasser les 7 km/h, parfois 10 mais c'est dans les replats offerts par les virages en épingle à cheveux. Ces passages presque plats, on les déguste ; et parfois, les trouées dans la forêt, à ces endroits-là, laissent passer un souffle frais qui vient caresser un visage inondé de chaleur et de sueur. Bientôt à la forêt succèdent les pâturages, la route est plus visible, mais elle monte toujours autant, cependant le pourcentage s'est réduit et les jambes s'en réjouissent. A un virage, j'aperçois les petits baraquements de la station de ski de fond d'Issarbe et un panneau m'indiquant 1425m, le sommet est proche. Je longe la crête qui précède le col. La route devient plus facile. Tout autour de moi la montagne étale ses tapis de verdure qui contrastent avec les rocailles argentées enserrant en face le Pic d'Anie. La station de la Pierre Saint Martin est au-delà de ces crêtes herbeuses. Le bleu du ciel est maintenant tout autour de moi, il éclabousse de lumière les herbes scintillantes des bourrelets de terre qui, comme des cols de vertes fourrures, enserrent le ruban grisâtre du macadam. La brise qui caresse les sommets m'enveloppe maintenant, asséchant mon visage et transportant des effluves d'écorces et de troupeaux de bovins invisibles. Parfois mes roues font craquer des nappes fines de graviers dont les vaguelettes viennent s'échouer sur des berges poilues d'herbes et de fleurs. Il est midi et quart quand, ayant atteint le sommet du col, je décide de m'arrêter pour déjeuner. Mon vélo est couché dans l'herbe rase humide à côté de moi, je suis assis sur un tapis de mousse dont l'humidité se répand à travers mon cuissard. Le pain craque entre mes doigts, je le porte à ma bouche, tandis que ma main sépare la pâte moelleuse de ce fromage suintant de chaleur. Dans ma bouche il a le goût salé de la sueur qui parfois se faufile à la commissure des lèvres durant l'effort. Le vent fait voltiger papillons et brindilles et mes yeux se perdent sur les crêtes blanches qui encerclent le pic d'Anie. Des moments comme cela, alors que le corps tordu par l'effort retrouve petit à petit sa sérénité, son calme, des moments comme cela il faut savoir les vivre, les goûter, les disséquer pour en extraire toute la puissance tranquille qu'ils sécrètent en eux. Quand il faut repartir, on s'ampute un peu de ce bonheur purement terrestre. Et c'est pour cela qu'invariablement, on revient au sommet pour ces moments d'azur et de verdure. Jacques TOUSTOU N°3172 d'EAUBONNE (Val d'Oise) |