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De quelques interdits...

Revue N° 26 Page 68

La chasse au col interdit représente pour nous, semble-t-il, un raffinement et un attrait supplémentaire dans l'exercice de notre passion. Comme si, blasés devant nos listes, ayant vaincu nombre de difficultés de progression, nous n'ayions que ces défis supplémentaires à relever pour sortir de l'"accoutumance". Ajoutons qu'il est souvent difficile (à moi tout au moins) de mettre un paysage, dix ans après, sur les noms de cols passés. L'interdit, lui, se rappelle en général aisément à notre souvenir. Finalement, le col interdit en deviendrait un but en soi. De là à créer un Club des "Cent Interdits"... mais n'exagérons pas tout de même ou je vais tomber sous le coup de la loi pour incitation à délit... D'ailleurs, ce n'est pas toujours volontairement que l'exploit "interdit" survient...

Comment se présentent donc ces interdits..? Observons tout d'abord que le Chauvot, sans doute très permissif, ne les indique guère explicitement. Au plus en trouvera-t-on trois dotés d'une mention nette : "route privée". Les observateurs remarqueront qu'ils se trouvent tous dans les Alpes Maritimes. Je n'en tirerai aucune conclusion, ni sur la qualité du renseignement dans ce département (il y a des experts...) ni sur le caractère plus ou moins sociable de ses habitants.

Abordons maintenant le genre "militaire". Je passerai rapidement sur certains "pseudo" interdits comme le col de la Chamboîte (63). Il y a bien un panneau, mais qui s'en préoccupe? Les routes stratégiques ne sont plus ce qu'elles étaient et la menace ennemie est loin... Plus sérieux par contre, est le fameux col de la Glacière (83). Là, on ne plaisante pas, et le panneau "danger de tir d'obus permanent" est bien plus dissuasif et, sans jeu de mot, refroidissant, qu'un mur de trois mètres.

Et c'est vrai : je me souviens d'être allé il y a une quinzaine d'années interroger le commandant du camp, l'air de rien, sous un prétexte de travaux cartographiques sur le plateau : sa réponse était un non catégorique, jamais de trêve des canonniers (toutes les armées de l'OTAN venaient s'y entraîner), comme en témoignait d'ailleurs le bruit quotidien, diurne ou nocturne, dans la zone. Mais finalement c'est un dimanche de Pâques, tôt le matin, que j'ai pris mon courage à deux pédales, en côtoyant tout au long de la route, pour ajouter à l'ambiance dramatique, des débris d'obus épars de ça et là. Inutile de dire que la pause en haut fut brève... Mais j'imagine que la détente Est-Ouest, liée aux compressions de crédits militaires, en rend maintenant l'abord moins impressionnant.

Plus récent, le genre "écolo" maintenant. Je veux parler des restrictions qui s'étendent sur les cyclomuletiers des Parcs Nationaux. Quelle est la part réelle de la protection de la nature et quelle est celle de l'agacement des autorités face aux comportements idiots et irresponsables de certains Vététistes dans cette réglementation contraignante ? Je ne sais pas au juste! Par contre ce fait nouveau nous prive d'admirables terrains de chasse, du moins officiellement.

On sait que les Américains sont en général en avance sur nous. Et c'est déjà en 84 (le VTT venait d'être inventé en Amérique) que j'ai découvert, en pleine montée d'un cyclomuletier du Parc National "Glacier" au nord des USA que le "ranger" moyen ne transigeait pas avec le règlement. Me croisant sur un sentier interdit, il m'a renvoyé en arrière sans pitié et sans discussion (le montant de l'amende en dollars faisait réfléchir). En plus il avait sa radio et des collègues un peu partout. Force a été de descendre ce qui avait été monté. A la route revêtue en bas, le petit panneau "interdit aux cyclistes" que j'avais dédaigné, prenait sa revanche.

Même mésaventure il y a deux ans au barrage de la Grande Sassière, au nord de Tignes : "vous n'avez pas l'intention de monter au col (le passage de Picheru) avec votre vélo, bien sûr ? ", me demande la (charmante) garde de la Réserve naturelle, bien équipée (sac à dos, radio encore !). "Mais non, sûr que non " dois-je répondre. Autour de Chamonix et dans bien d'autres endroits le droit de passage est maintenant refusé.
Bref, il faudrait maintenant ruser, se cacher, adapter ses heures et ses parcours. Évidemment un vélo de randonnée (vous savez la "randonneuse" comme les anciens l'appelaient juste un peu après l'époque du Grand-Bi), est loin de faire les mêmes dégâts à la végétation en descente qu'un VTT à pleine vitesse, mais qui s'en soucie ?

Enfin les "privés" constituent le dernier genre, plus ou moins bien défendus, plus ou moins cocasses. On les rencontre au hasard des explorations plus banales, mais en règle très générale hors des routes goudronnées. Comme ce col de Corse de Vetricelle (NO de Cargèse), pourtant bien tentant si près de celui, routier, de Curratoju. Oui, mais voilà, il est défendu par une solide, haute, clôture de barbelés flambant neufs. Pas la moindre faiblesse dans l'obstacle. J'ai fini par renoncer : dans un autre département passe encore, mais on dit tellement de choses sur cette fière population... Ou comme ce col du Haut Var, (le Collet, 06-40a). L'astuce absolue dans l'art de la dissuasion. Imaginez un chemin qui part à droite en montée vers le col, avec en guise de bienvenue les inscriptions du genre "route privée", "accès interdit", mais surtout : "chiens méchants", etc, etc... Rien en vue, ni âme, ni maison. Fallait-il essayer ?

Et enfin mon dernier en date, dans les sauvages solitudes des Cévennes. Je viens du Bleymard, de bon matin et je descends le col routier des Tribes avec entrain. Mon projet est de revenir par la crête du Goulet après avoir grimpé la petite route au dessus du hameau du Cros, qui passe un autre col de Tribes, et qui se hisse ensuite en quelques lacets de piste vers la forêt qui surplombe. Il est tôt, avant huit heures. Au village, pas une âme réveillée, et guère d'indications du passage indiqué sur la carte. Je reviens sur mes pas et découvre une route en terre bien roulable, qui semble la bonne. En la prenant, cela commence mal : "Privé, accès interdit" proclame un panneau bien visible. En habitué qui en a vu d'autres, je néglige l'avertissement et commence une montée assez ardue, toujours seul à la ronde. Cette quiétude n'a pas duré, et, un bon kilomètre après, le bruit d'un 4x4 se fait entendre. Il monte dans ma direction. Je n'ai guère de doute quand le véhicule me double et s'arrête quelques mètres devant moi : c'est moi qu'il est venu chercher (en plus pour le mettre de bonne humeur si ça se trouve je l'ai tiré de son petit déjeuner !) - "Savez pas lire ??? - Euh... vous savez je pensais que... - Vous redescendez, et vite...!! - Mais j'ai vu une route sur la carte, et... -...."

Le ton est hargneux, sans réplique. Deux gros chiens sont dans la voiture, d'ailleurs, que l'individu a pris soin d'embarquer avec lui, en cas... (vous avez vu des chiens qui dormaient dans des voitures, vous ?) Je redescends en montrant de l'agacement (mais pas trop), pendant que le 4x4 va faire demi-tour plus loin. Mais je ne vais tout de même pas me laisser faire comme ça. Et faisant une dernière tentative, je profite tout de même de son éloignement temporaire pour esquisser un vaste contournement de l'obstacle à travers les champs clôturés, pour retrouver la route plus haut, hors de vue. C'est tellement gros et visible que la réaction est brutale dès que l'homme m'aperçoit. "Dehors, ou je lâche les chiens..." J'ai évidemment obtempéré en restant très, très poli. Après tout il est dans son droit. Je paye simplement pour les randonneurs imbéciles qui sont passés avant, effrayant ses veaux ou je ne sais quoi. Non seulement le col est à rayer du programme (dans la série "Club des 100 cols ratés, un de plus), mais de surcroît j'ai le plaisir de m'offrir la remontée intégrale des Tribes (l'autre). Il y a des jours comme ça... Amateurs qui tentez le passage, bonne chance ; et essayez plutôt la nuit et sans bruit, ou plus prudemment par les crêtes.

Avouons quand même que le souvenir reste plus vivace que celui d'un col réussi parmi des centaines d'autres, non ?

Philippe GIRAUDIN N°142

de CLERMONT-FERRAND (Puy de Dôme)


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