Ainsi donc la prochaine revue de la confrérie des Cent Cols aura un caractère exceptionnel, pour marquer le passage à l'an 2000. Fort bien, il faut coller (!) à l'actualité ; toutes les occasions de sortir de la routine, de faire émerger des idées neuves et originales, et d'élever la qualité de la revue, doivent être saisies. Seulement le Comité de rédaction va se trouver devant un dilemme : cédera-t-il à la "tyrannie de la communication" selon l'expression d' Ignacio Ramonet, directeur du Monde Diplomatique, en anticipant d'un an le changement de siècle et de millénaire ? Ou bien laissera-t-il au temps, le temps de s'écouler tranquillement jusqu'à la fin du 20 ème siècle qui n'interviendra que le 31 décembre 2000 à minuit ? Une telle affirmation n'aurait, me semble-t-il, soulevé aucune objection au temps de l'école primaire, lorsque je reçus mes premières leçons d'histoire et d'arithmétique. Pourtant aujourd'hui, la pression médiatique, commerciale et publicitaire, est si forte que les repères les plus solides en sont ébranlés : je sens bien qu'il me faut argumenter pour convaincre l'interlocuteur ou le lecteur qui ne sait plus dans quel siècle il va réveillonner ! Et rappeler qu'il n'y a pas eu d'année " zéro "au début de notre ère : lorsque le moine Denys le Petit proposa de bâtir un calendrier à partir de l'année de naissance de Jésus-Christ, c'était en 532, le zéro n'était pas encore connu en Occident. Rappeler que le concept d'année zéro n'a d'ailleurs pas de sens en chronologie : sur l'axe des temps, le point origine n'a pas d'épaisseur, c'est un instant qui n'a pas de durée, c'est un top de départ : dès qu'il est donné, les premières secondes s'écoulent. Il n'y a pas de seconde zéro pour le sprinter qui court un 100 m, il n'y a pas de jour zéro au début du mois ou de l'année. Pourquoi y aurait-il une année zéro ? Et pourquoi pas un siècle zéro ou un millénaire zéro ? La culture informatique s'y retrouverait, celle du système binaire 0 et 1, celle des séries de nombres à un chiffre de 0 à 9, ou 2 chiffres de 00 à 99 qui nous vaut l'épineux problème du bogue . Ainsi serait en effet effacé le décalage entre le rang du siècle et le nombre de centaines énoncé en désignant les années : le 1er siècle correspondrait aux années 100, le 2 ème aux années 200...Il n'y aurait plus de question à se poser dans le style : le siècle des lumières, le 18 ème ? Ah oui les années 1700. Mais il faudrait s'habituer au changement de convention : en 1999 nous ne serions encore qu'au 19 ème siècle et au 1er millénaire ! Rappeler encore que la 1 ère année de notre ère ayant été l'an 1 après J.C., il y a identité parfaite entre le rang qu'occupe une année dans notre calendrier et son millésime : l'année 1999 est la 1999 ème année de notre ère. C'est par pure commodité de langage et d'écriture que l'on désigne une année par un nombre cardinal, ce qui a pour effet de hacher le temps en intervalles d'une année, au lieu d'utiliser un nombre ordinal qui exprimerait mieux la continuité du temps, comme cela se fait pour les siècles : on parle de 20 ème siècle et non de siècle 20. Il est amusant de noter que, pour les jours du mois, on utilise un nombre cardinal à l'exception du 1er du mois qui est seul désigné par un nombre ordinal : faut-il y voir une réminiscence d'une habitude ancestrale de fêter tout ce qui est nouveau, une analogie avec notre manière de nommer les monarques : François Ier ou Henri IV, ou simplement un héritage des Romains qui distinguaient le 1 er du mois sous le nom de calendes ? Les germanistes vous diront que les Allemands ont conservé l'usage du nombre ordinal pour les jours du mois, ils l'ont abandonné pour les années qu'ils désignent comme nous d'un nombre cardinal. Ils écriront donc "31 ème décembre 1999". |
Rappeler enfin qu'un centenaire se fête, comme tout anniversaire, à l'échéance de la 100 ème année écoulée , et non pas au lendemain du 99 ème anniversaire qui n'est que le premier jour de la 100 ème année. Le 1 er siècle de notre ère s'est achevé le 31 décembre 100, et le suivant a commencé le 1er janvier 101. Il en va de même pour les millénaires. Le 1 er janvier 2000 sera simplement le premier jour de la dernière année du 20 ème siècle, il faudra patienter encore 12 mois avant d'entrer effectivement dans le 21 ème siècle et le 3 ème millénaire. Tout ceci pourrait s'illustrer par un symbole : celui du double mètre, gradué, comme en utilisent les charpentiers ou les maçons sur un chantier. Si on imagine que la longueur d'un millimètre correspond à une durée d'un an, et que le zéro est la date de naissance de Jésus-Christ, ce double mètre représente toute notre ère jusqu'à l'an 2000 inclus. Chaque graduation millimétrique marque le terme d'une année, chaque décimètre un siècle et chaque mètre un millénaire. Le 31 décembre prochain, nous en serons à la graduation 1,999m, il restera encore un millimètre, le 2000 ème, pour atteindre le double mètre. Me serais-je éloigné du thème qui nous est cher : la Confrérie des Cent Cols" ? Pas tant que ça ! Il n'est pas d'éditorial de notre revue qui ne rappelle, avec raison, la nécessité de rester fidèle à notre règle du jeu commune, qui consiste à franchir à vélo 100 cols différents, dont 5 à plus de 2000 m d'altitude. Encore faut-il que tout le monde compte de la même manière. Or si on se réfère aux journaux, aux créateurs d'événements et autres grands communicants qui nous rebattent les oreilles avec l'entrée dans le 21 ème siècle et le 3 ème millénaire dès le 1er janvier 2000, il faut admettre que parmi les 20 siècles écoulés, l'un d'entre eux, on ne sait pas lequel, n'a compté que 99 ans. Et admettre aussi que notre bimillénaire n'a compté que 1999 années. Avec de telles références, Henri DUSSEAU sera contraint de délivrer des diplômes au vu d'une liste de 99 cols. A moins que René POTY ne rétablisse la situation en homologuant le col zéro ? Quant au critère des 5 cols à plus de 2000 m, il risque d'être battu en brèche par le col à 1999m, qui cache peut-être quelque part dans son profil un double mètre, comme le bimillénaire de 1999 années dissimule une année qui compte double. Je vois déjà les routiers lorgner vers les flancs du col de Sarenne, et les adeptes du muletier scruter la piste du col de Raus ( R1 - Alpes Maritimes) ou le sentier du col de Planchamp d'Oche ( S 4-5 Haute Savoie). Au secours Jean PERDOUX, ils vont devenir fous ! Il est urgent de rétablir l'orthodoxie, de revenir à l'authenticité et au sens des valeurs qui cimentent notre Confrérie. Il est indispensable de prévoir dès à présent une manifestation d'envergure nationale qui marquera en 2001 l'entrée effective dans le nouveau millénaire. Le site du Port de Pailhères dans l'Ariège me paraît tout indiqué : une porte, une vraie, un passage à 2001 m, altitude certifiée sans double compte, où nous pourrons vivre l'odyssée de la planète vélo, dont les chants sont déjà composés par notre Homère local qui réside à Limoux. Claude BENISTRAND N°284 de CLERMOND-FERRAND (Puy-de-Dôme) |