A Briançon, un thermomètre lumineux affiche moins quatre degrés. Le sol est recouvert de gelée blanche. Une fine couche de neige saupoudre les versants Nord à partir de deux mille mètres. Pas vraiment un temps pour entreprendre une ballade à vélo. Pourtant, j'enfourche mon VTT au hameau du Rosier. Les habitués de la revue diront : encore! Effectivement le Rosier est, pour moi, le point de départ de nombreuses et fameuses randonnées à thème cent-coliste. Et je dispose encore d'un beau stock d'itinéraires. On appelle cela fidéliser le lecteur. La sacoche de guidon est bourrée, les petites latérales surbaissées sont vides. Elles se rempliront, au fur et à mesure de l'ascension, de mes vêtements chauds. Du moins, je l'espère. Nous sommes déjà début octobre. Il fait froid dans cette vallée de la Clarée. Heureusement, la montée commence dès la sortie du hameau. La route longe la rivière : sympa l'été, glacial aujourd'hui. A Plampinet, je ne suis pas encore réchauffé. Un kilomètre en amont, je croise un troupeau de moutons, se préparant à la transhumance mécanique vers le Sud. C'est décidément bien le début de la saison froide. Le Col de l'Echelle me fait tomber une épaisseur de polaire. Le soleil éclaire le versant Ouest du vallon. Bientôt, je n'aurai plus froid. Au Mauvais-Pas, le justement nommé, j'aperçois le but de la journée : depuis Bardonecchia, une vallée remonte vers le Nord-Est et aboutit à une échancrure sur la crête. L'itinéraire semble assez limpide et le col très haut perché. Descente sur la future ville olympique, soleil dans les yeux. C'est très désagréable. Une épingle sur la gauche. Je roule, maintenant, face à la Vallée Etroite et au Mont Thabor. Dans ce secteur aussi, l'étude de la Top 25 laisse présager quelques itinéraires de légende. A la sortie de Bardonecchia, un panneau farfelu m'indique que je négocie actuellement une pente de 23,76 %. Je n'aurais sans doute pas su évaluer les centièmes, mais pour le 23, j'avais deviné. Une chose m'inquiète un peu : combien de temps cela va-t-il durer ? Il faut dire que l'étude que j'ai faite de cette ascension se résume à deux nombres : 1300-3000. Et puis bon, en 26x26x26, on peut grimper partout (le premier 26 étant le nombre de dents du petit plateau, le deuxième celui du plus gros pignon, le dernier, le diamètre des roues exprimé en pouces). La pente diminue un peu. La chaussée est très étroite. Le profil devient irrégulier. A Rochemolles, le goudron disparaît. Six kilomètres seulement au compteur. Je voyais cet événement se produire un peu plus haut. Après quelques lacets, j'arrive au soleil. Les mélèzes flamboient dans la lumière matinale. Et là, je me dis que le choix d'une pellicule en noir et blanc n'est peut-être pas judicieux aujourd'hui. Légère redescente aux abords d'un lac de barrage. Je dois mettre pied à terre pour franchir une large bande de glace. Un panneau indique la direction du col d'Etiache et permet de me situer précisément sur la carte. Cela remonte à nouveau. Depuis Bardonecchia, j'ai rencontré trois voitures. Je suis, maintenant, délicieusement seul. La piste emprunte un vallon jusqu'au replat du refuge Scarfiotti. Devant, un empilement de lacets attend mon passage. |
Pour bien comprendre la problématique de l'ascension, il faut se pencher sur la météo des 72 heures précédentes. Voilà trois jours, il a neigé. Puis le beau temps est revenu. Le chaud soleil a fait fondre la couche de poudreuse, imbibant la terre noire de la piste. La nuit, le sol gèle. Puis, vers dix heures, le soleil passe par dessus les crêtes et vient réchauffer les lieux de sa lumière. La terre se ramollit très vite. Malgré leur pouce et demi de largeur, mes pneus s'enfoncent de deux centimètres. Je suis le laboureur qui trace un sillon sur le sol du Sommeiller. J'ai, effectivement, l'impression de tirer une charrue. J'utilise, au maximum, les parties encore à l'ombre pour progresser. La montagne étincelle. C'est fabuleux. Je dois être à 2500 mètres et le 26x26 devient difficile à emmener. Tiens, cette brèche, là-haut, cela pourrait bien être le col. J'y serai avant midi ... Et bien non, ce n'est pas encore le but. La piste descend un peu, puis remonte un large cirque minéral. Une nouvelle série de lacets se perd dans les éboulis sur ma gauche. Je ne laboure plus. Le chemin est recouvert de cailloux. J'ai l'impression d'être ailleurs : les Andes, l'Himalaya... Plus d'herbe, seulement de la pierre : le paysage que j'aime. Une curieuse portion goudronnée me permet de rouler à 7 km/heure. Griserie de la vitesse. Je croise un jogger : short et foulée d'enfer. Des restes de congères bordent le chemin. Le Pérou, le Chili, le Tibet, j'hésite. J'opte finalement pour le Sommeiller. Et c'est pas si mal ! 2800, 2900 mètres d'altitude peut-être, le souffle est un peu plus court. En "vieux routier", je pédale "en dedans". La piste est beaucoup moins raide. On devine le col, pas loin devant. La traversée d'un large éboulis m'inquiète un peu. Il est 12h30 : l'heure idéale pour les chutes de pierres. De la neige partout maintenant. Un refuge en ruine apparaît. Cela crisse sous les pneus. Je savoure. De la glace : pied à terre. Après le bâtiment, je remonte sur le vélo et roule sur le bord d'un petit lac. Une chaise abandonnée là me permet de prendre mon repas confortablement. Puis, je vais voir, à vélo, ce qu'il y a de l'autre coté du col ; sur la gauche, 300 mètres en dessous, un lac. Sur la droite : le glacier du Sommeiller. Une bonne épaisseur de neige recouvre déjà les crevasses. 13h30. J'entame une folle descente. J'ai mis près de deux heures pour atteindre Bardonecchia. Deux heures pour 26 kilomètres ! Plus tard, l'ascension du Col de l'Echelle me semble une plaisanterie recouverte de velours. André PEYRON N°317 de CHABEUIL (Drôme) |