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Izoard, Tourmalet ou le début de la fin

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Il n'est de récit de montagne qui ne se solde par une note optimiste : satisfaction, assurance pour la prochaine fois de réaliser mieux, plus loin, plus haut, plus dur. Tel ne va pas être le cas de celui-ci.

En mai, j'avais fait ce qu'il me plaît (comme d'habitude ! ne manquera pas de commenter Annie quand elle lira mon manuscrit) : du vélo ! J'avais notamment réussi à monter à l'Alpe d'Huez dont ses 10-11 % jusqu'à La Garde.

L'an 98 commençait en fanfare. C'était l'année de mes soixante-dix printemps ; terme qui s'avérait en l'occurrence bien justifié après la réussite de mai. Je tenais à les célébrer dignement, c'est-à-dire vélocipédiquement. L'Izoard et le Tourmalet version 4 ème et 2 ème édition respectivement, étaient programmés pour juillet. Je n'allais en faire qu'une bouchée.

6 juillet : le col du Montgenèvre en entrée en matière. Bien !

7 juillet : il pleuvait sur Briançon ce matin-là. J'avais connu un tel début en 1988 ; or, le temps du petit-déjeuner, le soleil avait brillé. Ce 7 juillet 98, la dernière gorgée de café absorbée, seules de maigres parcelles de ciel bleu apparaissaient dans les nuages gris ou noirs ; mais le ciel serait tout bleu avant que j'en finisse avec mon échauffement sur les premières pentes. Je partis donc, confiant sur tout, sur le temps qui allait s'améliorer, sur ma condition physique.

La vallée de la Cerveyrette, Cervières, Le Laus : j'étais en pays conquis par trois fois déjà. Tout allait bien. Trop bien. Dans la forêt - le bois de Pénémant pour l'appeler par son nom - les choses se dégradèrent, presque soudainement. La pente devient assez brutalement forte, c'est vrai ; au lieu des 5 % précédents, je croisais donc le fer avec du 8 %. Mais qu'est-ce que du 8 % pour un briscard - vieux ! - comme moi ? Un coup, je ne pus remonter la pédale ; un cycliste normalement constitué revient en arrière avec ses jambes et redonne vite une nouvelle impulsion ; je pratique ainsi en terrain plat ou semi-plat ; en revanche, dans une montée, l'incident m'est imparable : arrêt, perte d'équilibre et lourde chute puisque j'ai rarement le temps de dégager le pied du cale-pied. Je chutais donc ; heureusement, la terre grasse d'un talus m'accueillit et non le roc dur et pointu d'un précipice. Je me relevais crotté et plus que penaud, mécontent de moi ! Le bonhomme ne tournait plus rond. Comble de malheur, le ciel se noircissait vers le col. Je repartais pourtant : j'avais encore de l'énergie, que diable ! L'avatar était dû à une rêverie passagère ! Mais ce n'était plus cela, le ressort était grippé. Des cyclos redescendaient par crainte de la pluie. Je fis comme eux ; à quatre kilomètres du sommet, je rebroussais chemin.

Echec. Invoquer les éléments, l'orage qui menaçait : trop facile. La vérité, c'est que 19 ou 20 km d'ascension sont devenus trop pour moi ; tout a une fin... Non, tout n'a pas une fin ! Rendez-vous avec le Tourmalet : j'avais, rendez-vous j'honorerai ! Au cours du voyage en voiture, je ne ressentais aucune fatigue particulière ; j'avais récupéré. Je n'étais pas fini. Le temps - lui seul ! - m'avait joué un mauvais tour à l'Izoard, n'est-ce
pas ?

9 juillet : le Tourmalet, côté Ste-Marie-de-Campan, le village à la forge !
Rendu méfiant par la gifle reçue à l'Izoard, je décidais de réduire la distance et pour cela, de partir de Gripp, ne laissant que douze kilomètres sur les dix-sept de montée. Les deux premiers furent d'une facilité enfantine. Les deux suivants, bien que corsés, étaient vivables ; j'attaquais tout juste mon capital force. Les neuf autres au delà, furent proprement infernaux, odieux. Ils commençaient par du 10 % au niveau du paravalanche ; un édifice généralement court, mais celui-ci est long, terriblement long. Je pestais contre sa longueur, comme si longueur et pente avaient un commun rapport ! La couverture de béton passée, la pente ne s'adoucissait pas. J'arrivais exténué sur le parking de la station, et ce parking qui n'est même pas plat !
Heureusement, il est vaste, et pour repartir - le gros problème, je vais y revenir souvent - je pouvais biaiser, ne pas attaquer la pente de front. Dans le village, le pourcentage persistait. Et bien, moi aussi ! La fierté était mon doping ; je me maintenais sur mon vélo par peur du ridicule devant les estivants. J'attendais la sortie de la station, moins d'yeux, pour capituler. J'avais roulé sur moins d'un kilomètre, une honte, un scandale. Ah, la terrible Mongie...!

Capituler, capituler... Vite dit ! J'avais assez de réflexes pour déposer les armes, ma pauvre Noire, devant un ouvrier qui s'activait autour d'une machine récalcitrante. Je savais en effet que sur la pente présente, sans aide je ne pouvais repartir ; je n'étais donc pas totalement inconscient. Je récupérais mon souffle et appelais au secours :
- Monsieur, s'il vous plaît, pouvez-vous me pousser sur un ou deux mètres ?

On ne peut refuser à une âme si en peine. Et je pédalais à nouveau sur une pente devenue un peu plus douce. Dans cette partie, le Tourmalet rompt avec la monotonie des lignes droites qui sévit de part et d'autre de la Mongie. La route présente des tournants, mais ceux-ci, sont loin de valoir les lacets alpins ; le malheureux cyclo en perte de vitesse, à la recherche de plat pour se refaire une santé, ne peut trouver aide et assistance : pas la moindre baisse de pente dans les virages pyrénéens ! Dans les Alpes, la route franchit des parois verticales et chaque changement de direction impose un méplat sur le côté extérieur. Ce foutu Tourmalet est autrement insidieux ; il ne barre pas le paysage, tel un mur comme l'Izoard. Il se présente comme une prairie débonnaire avec une route tracée au cordeau et le résultat en est la constance de la pente. Ces changements de direction à angle largement ouvert ne sauraient se glorifier de porter des noms de virages, encore moins de lacets ; ce ne sont que d'ignobles tournants antipathiques sans chaleur, sans la moindre compassion.

Heureusement, la pente était tombée, il me fallait cette diminution pour mon organisme, fatigué au point qu'il demandait de plus en plus de pauses. Sur les trois derniers kilomètres, combien de fois devais-je m'arrêter ?
Ce n'était plus du vélo : c'était du gâchis.

Je ne m'en rendis pas compte tout de suite au sommet du col, que j'avais fini par atteindre, j'oubliais assez vite mes angoisses et je bombais peut-être trop le torse : Tourmalet vaincu ! Le lendemain, j'enchaînais Hourquette d'Ancizan et Beyrède ; deux cols champêtres et peu encombrés. Le surlendemain, je me présentais au pied du Peyresourde, croyant avoir à faire à un maigre 7 % ; or, panneaux avant chaque km et un développement forcé de 28x32, m'apprirent l'inanité de mes calculs. Alors que je mouillais maillot et bandeau, j'eus aussi des sueurs froides et la peur de caler.

Mais que la vue est belle, idyllique au-dessus de Val Louron !
Difficultés d'avant-hier, d'hier et d'aujourd'hui... Je réalisai : mon temps de grand cyclo montagnard est révolu. Mon champ va se rétrécir, mes horizons se limiter ; je ne serai plus qu'un cyclo de basse montagne. Et pour combien de temps encore ?

Enfin, ce mélange si particulier, si excitant, si palpitant, de grande joie et forte émotion, je l'aurai connu sur ces monstres que sont Izoard (premier nommé, car, premier à tous les égards), Tourmalet sur lequel j'ai fini, Allos, Cayolle et autre Bonette, Galibier ou encore, Stelvio... Je les aurai dominés.

Aujourd'hui ces cols ont le dernier mot. C'était écrit. Ils sont immortels. Sans perdre un mètre, ils se dresseront et se maintiendront, imperturbables, entre deux vallées. Ils nargueront toujours des générations de cyclistes, ils susciteront force littérature enthousiaste.

Moi, je suis mortel. Comme l'écrivait Henri Desgrange en 1919 à propos de Christophe, le cyclo-forgeron héros de Ste-Marie-de-Campan, " sa carrière musculaire touche à sa fin ". Carrière après carrière, la professionnelle, la musculaire, l'amoureuse..., chacune est arrivée à son terme ou ; petite lueur de vie qui demeure, y arrive !

Bernard MIGAUD N°1400

de METZ (Meurthe et Moselle)


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