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Lettre d'un "sans col"

Revue N° 28 Page 41

Cher Jean PERDOUX,

Tous vos fidèles savent que vous avez enfanté notre prestigieuse Confrérie dans la douleur, lors de l'ascension du col du Luitel, niché à l'extrémité sud-ouest de la chaîne de Belledonne.

Rares sont ceux qui savent que cette douleur, en membre fidèle, dévoué et humble, je l'ai partagée maintes fois en osmose avec vous dans ce même col alors que j'entretenais avec lui et en voisin des relations sinon coupables tout au moins assidues.

Aussi, Grand Maître, faites-moi la grâce exceptionnelle de partager à votre tour une douleur nouvelle qui m'assaille en ce jour de présentation de bilan.

Je souffre en effet d'une honte qui m'étreint, me ronge, en songeant devoir vous avouer que cette année je suis un "Sans col"!

Mais ce n'est pas tout car un malheur n'arrivant jamais seul, je ne peux vous cacher plus longtemps que, si je suis réduit à déposer ma nullité à vos pieds c'est que, et cela personne n'a osé jusqu'à présent vous l'avouer, les cols sont en voie de disparition.

Vous n'ignorez pas, Grand Maître, qu'en vingt ans d'allégeance à votre Confrérie j'ai enregistré 803 cols dans le plus profond respect des Tables de la Loi.

Au début, j'étais dans la facilité, dans l'opulence. Mon compteur montait comme un CAC 40 dopé (oh pardon !) par les fonds de retraite. Des cols, j'en ramassais plein mes sacoches. Il y en avait partout : des grands, des plats, des durs, des mous, des courts, des longs, des tristes, des gais, des chauds, des froids, des roulants, des casse-gueule, des qui n'en finissaient pas et d'autres qui finissaient trop vite. Bref, je me voyais déjà en deux coups de pédale titulaire du millième, rejoindre l'élite de l'élite, celle qui est assise à votre droite.

Puis peu à peu, insidieusement, saison après saison, année après année la crise s'est installée.

Le compteur, à part quelques soubresauts sans grand intérêt, s'est arrêté de grimper lui aussi. Il a bien fallu se rendre à l'évidence, à la terrible réalité : les cols disparaissaient ! Trop pourchassés, ils étaient allés, on l'a su plus tard, se tapir dans des lieux où, sans la bible du prophète Chauvot, il n'y a point de salut.
Alors Grand Maître, au seuil de ce troisième millénaire, pour tous les "Sans cols" avoués et en devenir, envoyez un signal fort à tous les membres de la Confrérie. Arrêtez la fuite des cols. Mieux encore, dispersez quelques fuyards dans la plaine, près des villes, à proximité des voies rapides, des gares et des aéroports.

Pendant que vous y serez, portez votre courroux sur ceux partis vers les Alpes, les Pyrénées en les ramenant vers des zones géographiques défavorisées : la Beauce, la Brie, la Camargue et l'Ile de France.

Pensez aussi, Grand Maître, à fermer les frontières suisses et italiennes. Beaucoup trop de cols sont attirés vers l'arc alpin et ce n'est plus supportable. Et puis, peut être, apprenons à consommer raisonnablement. L'abus de cols provoque une accoutumance dangereuse entamant de manière inquiétante un patrimoine national dont chacun devrait pouvoir équitablement profiter.

Dans ce sens, il m'apparaît judicieux de fixer des quotas annuels, pas plus de dix cols par membre par exemple et de limiter à une quinzaine de jours par an , en janvier, l'accessibilité de tous les cols situés au dessus de 2000 mètres d'altitude, en dehors de toute autre période dans l'année.

Mais aussi, dans votre infinie mansuétude, en cette année 2000, pourrez-vous faire un petit geste au titre de la mondialisation, en faisant rentrer les cols dans les circuits de la grande distribution et ouvrir sur le Web un site où nous pourrions cliquer les grands cols qui nous manquent tant.

Grand Maître, vous qui avez su si bien nous rassembler autour de cette symbolique
"5 de + de 2000 par 100", qui nous inonde de tant de lumière, en cette année particulière, soyez assuré de mon aveugle admiration.
Votre dévoué,

Pierre MOUNIER N°791

de PARMILIEU (Isère)


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