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Bouzigue, ils sont devenus fous !

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Le 11 novembre 1999, il fallut s'y résoudre, l'été avait signé l'armistice. En ce jour férié, la pluie était à l'ordre du jour, seule la Bonne Mère pourrait nous protéger des déluges annoncés. Cet espoir hasardeux suffit pourtant à convaincre mon copain Jean-Paul Faure à venir se risquer en ma compagnie sur les sentiers de Pagnol.

Le parcours VTT envisagé comprends 18 cols disséminés sur les 38 km et si le massif du Garlaban ne tutoie le ciel que lorsqu'il est bas, les vallons y règnent en maîtres et mètres : 1210 en ce qui concerne notre circuit. Notre camp de base se situera à Allauch que les autochtones prononcent "Allo".

De papeteries en maisons de presse, nous atteignons Allauch sans être parvenus à acquérir la précieuse carte, pourtant nécessaire à la réalisation de notre projet. Un 11 novembre, autant escompter qu'un natif du coin nous révèle l'emplacement des sources du pays. Et pourtant, la source de la Beaume de Passe Temps figure sur la carte d'Etat Major, nous affirme l'oncle Jules. Oui mais, de carte d'Etat Major, n'en avons point ! Et on tourne en rond, ce qui n'est pas une bonne stratégie en cette période de jours courts. Dans cette contrée, tout semble relever du secret défense. Certes, une source, ça ne se dit pas, mais, un col ? Qu'au Pays Basque, on reste discret sur un emplacement de col, ça se comprend ; à l'ouverture de la chasse, faut bien tenter d'égarer Alain Bougrain Dubourg ! Mais ici ! Ici, il n'y aurait que des imbéciles qui font des excursions, car, ces collines, c'est le " bien " des gens d'ici. D'ailleurs ici, les braconniers de la Treille sont des chasseurs tandis que les chasseurs d'Allauch sont des braconniers.

De ces imbéciles qui font des excursions, nous en abordons. Des heureux et des prévoyants. Des qui connaissent les us du pays. Des "gus" qui savent qu'en de tels lieux, se promener sans carte est imbécile. Des économes de leurs pas plus que des nôtres : Pas deï Menoun, Pas du Figuier, Pas du Loup, Pas Garrigue, Pas des 4 fers ; ils sont vite repérés et remis sur le droit chemin.

Le droit chemin se mérite. Il relègue la côte du Mont Bouquet au rang de faux plat. Sans regret, nous le quittons pour un étroit sentier bordé d'écriteaux interdisant le moindre écart dans des propriétés plus privées les unes que les autres. La seule pancarte sympathique indique : col du Puy Rouge - 375m. Elle mérite la photo ! Nous n'en rencontrerons pas d'autres et à partir de là il faudra imaginer, se renseigner et questionner les chasseurs de bartavelles qui promènent le fusil.

Jusqu'au col de la Mine, l'itinéraire, largement cyclable, reste discret mais, pas confidentiel. L'accès au col de l'Amandier se fait à vue ; à condition de ne pas l'avoir basse. Il faut bien se persuader aussi, avant d'attaquer son ascension, que plus on use les souliers, plus on gagne en altitude. Je comprends que l'autochtone reste circonspect sur la topographie des lieux. Jadis, on avait pissé dans la source du Petit Homme, dérangé les perdreaux et volé les raisins de Chabert ; aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence : on a volé l'amandier du col ! J'espère que tout de même le col, lui, n'a pas disparu du Chauvot. Ce constat troublant appelle une série de questions angoissantes : qu'allons-nous trouver au Pas du Figuier, au col du Tube ou du Sauvage et au Pas du Loup ?

Au col de Garlaban nous trouvons la faim. Une faim de loup ! Quelques bosquets se prêtent à déballer le pique nique, mais, pas à s'éterniser. Depuis ce matin, le ciel est comme nous ; couvert ! Des nuages menacent et Notre Dame de la Garde ne garde plus à vue. Il serait bien dommage d'escamoter une sympathique variante qui se précipite, 89m plus bas, par un sentier ombrageux, vers le Pas des 4 fers. Nous l'atteignons prudemment, car, son appellation insinue quelques menaces qui ne sont pas peut-être en l'air. Le topo 4 du Club des Cent Cols est affirmatif : au col d'Aubignane, ne pas s'engager à droite ; piste interdite. Et au col, une barrière vient confirmer la défense. C'est dommage, car, le chemin mène à la Treille et économise un détour considérable. Alors que le vélo de Jean-Paul s'incline dans le sens de la loi, un panneau attire mon attention : " piste autorisée aux piétons et aux VTT par vent inférieur à 40 km/h ". Qu'il est bon d'emprunter des chemins interdits aux autres !
La descente s'apprécie jusqu'à un nouvel écriteau qui ne tient pas compte de la vitesse du vent et qui annonce laconiquement " propriété privée ". Qu'à cela ne tienne, nous ne sommes pas du genre contrariant, vu qu'un chemin sans histoire part sur la droite. Nous le suivons et, 200 m plus bas ; nouvelle bifurcation et nouvelle interdiction appuyée par un sens interdit. L'accès légal remonte sur la gauche, le droit primant sur la fatigue, nous l'empruntons et nous voilà sur l'itinéraire précédemment évité parce que... prohibé. Sans explications, Jean-Paul s'engage vers la maison en contre bas ; croyant qu'il allait se renseigner sur les moyens de sortir de cette impasse, voilà que je le vois traverser à la hussarde le domaine et enjamber une chaîne qui nous rend à un chemin public... qui s'avère rapidement privatisé. Les pancartes rivalisent de menaces. Il y aurait bien un échappatoire goudronné, mais, il risque de nous ramener au point de départ de nos ennuis. La piste que nous suivons finit par s'abîmer dans un enclos bâti gardé par des chiens de garde, heureusement plus curieux que féroces.

Le portail, en toute autre circonstance, donnerait sur la rue et en toute logique, nous nous en approchons, hardiment escortés par les canidés, lorsqu'un gardien courant de nulle part s'époumone : "messieurs, messieurs, vous allez vous faire bouffer par les dobermans". Le temps de surprise passé, nous nous retrouvons fermés dehors. Ce portail donnerait-il au château de Monsieur le Baron ? Jean-Paul parlemente en vain, car, en plus, notre provenance de l'Ardèche constitue ici une circonstance aggravante. Pensez donc ! Venir de si loin envahir les châteaux et violer les campagnes !
- Faut remonter ! ordonne l'individu.

- Nous en venons et tous les chemins sont privés, réplique Jean-Paul.
- Remontez jusqu'au dépôt d'eau des pompiers et là, vous trouverez la sortie, insiste-t-il.

Là haut, nous ne sommes guère avancés, seule une sente de chasseurs plonge sur la Treille. La nécessité doit être impérieuse pour que j'ose une roue sur pareil terrain ; Jean-Paul dévale tel un évadé des Baumettes jusqu'à ce que... à vingt mètres devant lui une silhouette sortie de la haie, se plante au milieu du sentier.
-"Vous êtes sur une propriété privée, remontez !".

Remontés, nous le sommes ; contre ces chemins publics qui se terminent dans le privé. Ah ! Qu'avons-nous rencontré Bouzigue. Si on nous avait prêté la clé du portail aux 101 dobermans, nous serions loin.

Descendre pour remonter et... sans savoir par où ; nous glissons de Pagnol à Courteline !
- Le chemin de droite aboutit à une propriété ainsi que celui de gauche ! Alors ?
- A gauche, c'est pas pareil déclare l'individu ! Vous passez chez un fou qui tire sur tout ce qui bouge !

C'est pourtant par là que nous retrouverons la liberté.
- Restons groupés ! me cria Jean-Paul de crainte que le fada ait la vue trouble.
Sur le chemin du retour, bien à l'abri, dans la voiture, Jean-Paul se met à bavarder gaiement ; il décrit la scène du portail en tirant un portrait comique du chien de garde qui n'avait pas eu envie de dévorer nos mollets. Nous venions de quitter le Garlaban pour prendre place dans "Le château de ma mère".

Jacques MANCIP N°4760

d'ANNONAY (Ardèche)


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