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Ecole et cols

Revue N° 30 Page 05

Eh, monsieur le Cent Cols, que ferez-vous quand la bise sera venue ? Grimperez-vous encore ? Vous lancerez-vous à la conquête de nouveaux sommets ?

Hélas non, madame la fourmi. J'arrêterai de faire mes provisions car, voyez-vous, j'habite la plaine, pas le moindre morceau de col à mettre sous les dents de mon pédalier. Mais je continuerai de rouler, chaque jour, histoire de ne pas risquer famine.

- Et où roulez-vous donc comme ça de crainte d'être dépourvu ?
- Je vais à l'école, sauf pendant les vacances bien entendu, 20 km le matin, 20 km le soir, enfin depuis 6 ans seulement. Avant, j'empruntais aux automobilistes une route plus directe, mais c'est la plus meurtrière du département. J'ai fïni par me lasser de voir des accidents, de sentir le souffle des camions ou voitures me frôlant, de me faire bousculer par des deux-roues motorisés, de me jeter sur le bas-côté à l'approche d'un moteur vrombissant. Pensez donc, ma chère, sur la fin, me rencontraient ou me dépassaient plus de 100 000 voitures par an. Dommage, je n'avais que 35 km quotidiens à parcourir.

- Alors, vous avez délaissé les grands axes pour les chemins vicinaux ?
- C'est vrai, j'ai choisi la tranquillité de la pleine campagne, l'école buissonnière en quelque sorte. J'ai troqué les 8 km de nationale et ses 225 véhicules en moyenne contre 11 km de routes tortueuses et moins de 10 voitures. Tout juste de quoi me tenir éveillé dans les matins sombres et froids du plein hiver. Mais gare aux tracteurs !
- Si j'ai bien compris, monsieur le Cent Cols, vous êtes amateur de colchiques dans les prés ?
- A défaut des cols chics de l'été oui, mais je n'en vois guère, bien plutôt les vergers gavés de pommes à l'automne, les épis de maïs semence triés et stockés dans les cribs, les labours de l'hiver et des portions de routes couvertes de boue à l'entrée des fermes, les blés qui lèvent, les échalotes perçant sous les plastiques dès février, les haies qui reverdissent, protection contre les vents dominants valant bien le flux des automobiles, les champs de petits pois, de chicorées, de melons, tout verdoyants, promesses pour l'été.
- Quels parcours bucoliques ! Vous vivez au rythme des saisons.
- Oui, sauf des chaleurs de l'été qui me font envie parfois ; ah ! madame la fourmi, le plaisir de partir au travail sans dynamo.
- Mais monsieur le maître des cols, et mes congénères ?
- Restons modeste : maître d'école est plus juste. Alors là, depuis 6 ans, j'y ai gagné : chats et hérissons écrasés ont été remplacés par les envols de perdrix, les lièvres débusqués des champs de tournesols fauchés, les lapereaux des matins lumineux de printemps, mais aussi les rats d'eau, les fouines, le chant du coucou et le concert des grenouilles aux beaux jours.

- Et vos compères les humains ?
- Finis les coups de klaxon ou appels de phares des copains ou habitués de la nationale qui me voyaient toujours à la même heure. C'était sympa. Les fidèles sont plus faciles à repérer sur les petites routes, lesquelles servent de terrain de prédilection pour les cyclos retraités de la grande ville, eux aussi en quête d'air pur.
- Allant ainsi toute l'année par vaux, ne regrettez-vous pas les monts ?
- Il m'arrive bien souvent d'y penser, chemin faisant, même si je ne dépasse guère 20 mètres de dénivelée par jour ; ça fait au minimum 60 000 mètres depuis le temps, mais rien à voir avec les sensations de la montagne. Alors je fais appel aux souvenirs d'escalades estivales pour donner un peu de relief à mes trajets quotidiens. Il me faut bien subsister, jusqu' à la saison nouvelle.

- Dites donc, monsieur le maître d'école, si je compte bien, vous jouez à ce petit jeu là depuis près de 20 ans ?
- Pas facile de vous raconter des fables, madame la fourmi. Disons 20 ans en l'an 2000. Je viens d'avoir le privilège d'entrer dans le club très restreint de ceux qui ont parcouru au moins 100 000 km à vélo uniquement pour se rendre à leur travail, et en revenir bien sûr.
- Alors là, foi d'animal, vous me la baillez belle : faut-il désormais vous appeler monsieur Cent Cols
ou bien monsieur Cent mille kilomètres ?
- Ah ! maître des cols ou maître d'école ? Appelez-moi par mon petit nom, cela me suffira : c'est "cyclo".

Yannick HINNOT N°3759

de MAZÉ (Maine et Loire)


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