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Partir loin

Revue N° 30 Page 04

Chevauchant sa machine d'acier, il était parti pour un long voyage...

La nature était déserte et son âme sereine. Il revoyait ses amis, le regard circonspect des gens qui doutent et puis, le départ, sans heurt. Rien ne le retenait. Ni cette ville triste et morne, ni cette vie d'esclave monotone et infinie. Il avait pris sa décision. La seule possible.Briser ses chaînes et s'enfuir.

Il pédalait dans la douceur du soir et sous le soleil tirant sa révérence. "Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage...". Un homme libre allait librement de par le monde en quête de bonheur et de liberté. Il connaissait l'aspect illusoire de sa recherche, mais il y croyait. Il avait l'espoir des hommes désespérés. Dans ses yeux, une petite flamme brillait. Son monde n'était plus le nôtre.

Et il cherchait toujours. Avec sa compagne de prédilection : une dix-huit vitesses qui avait déjà vu du pays. Elle était bleue comme le ciel. Obéissante à sa volonté, il l'aimait. Déjà, il avait rendu jalouses ses maîtresses de chair qui avaient vu en elle sa maîtresse de fer. Elles étaient toutes passées, et elle demeurait. Fidèle à son existence, fidèle à ses décisions, elle était au centre de sa vie. Aujourd'hui, elle partage ses espoirs et ses angoisses dans ce monde hostile.

Il avait traversé bien des pays, rencontré bien des gens et jamais rien ne le retenait. Son rêve était-il trop exigeant ? Il lui semblait raisonnable pourtant. Inlassable, il poursuivait sa route, certain de sa victoire. D'ailleurs, n'était-il pas déjà gagnant ? Parfois, il pensait à ceux qui étaient restés et il ne pouvait s'empêcher de les plaindre. Métro - boulot - dodo : plus jamais ça. Et la vie de bohème, n'est-ce pas la vraie liberté ? Il vivait dans la quiétude et l'insouciance. Les lendemains ne lui faisaient pas peur. Crise, chômage, tout juste avait-il le souvenir des définitions qui s'y rapportaient. Les pourcentages n'étaient plus liés aux impôts, mais aux côtes gravies çà et là. L'homme était heureux.
Au fond de son être, l'appel de la nature était le plus fort. Il avait un besoin physique de haute montagne. Pour lui, il s'agissait d'une véritable drogue. La montagne, c'était sa liberté. Avec sa fidèle machine, il épousait parfaitement le relief montagneux. Il aimait leur silence. Seuls ses efforts, parfois violents, lui parvenaient. Sa victoire, c'était le sommet. Son plaisir, embrasser le paysage. Il atteignait ainsi la sérénité, presque la perfection.

De tout ceci, vous pourriez en déduire que notre homme est un solitaire invétéré. Erreur ! Dans toutes ses contradictions, il était fou de liberté, de montagne, de bicyclette et pourtant, ce qu'il souhaitait le plus au monde était de partager ses folies. Rien n'aurait pu lui faire plus plaisir que de rencontrer l'amour. Celui qui vous brûle, qui rend votre vie motivante et captivante. Celui qui vous transforme et vous rend capable de tout. Celui qui jamais ne s'éteint.

De nombreuses fois, il avait cru le tenir. Chaque fois, il avait été déçu. Oh, pas vraiment, car, il les avait toutes aimées ! Et jamais il ne leur en avait voulu. De fait, chacune lui avait apporté quelque chose qu'il ne pouvait oublier. Il revoyait comme dans un film, les visages de ces êtres qui restaient chers à son cœur. Echec et mat, il avait perdu...

Provisoirement. Car il est certain qu'un jour, tout cela se réalisera. Il prendra sa bicyclette et s'en ira. Il lâchera sa routine quotidienne et massacrera son réveil matin, bête malfaisante et stressante. Il gagnera sa liberté et l'offrira à celle qui saura le mériter. Plus rien ne l'atteindra. Ni la mauvaise foi des uns, ni la méchanceté des autres.

Il sera heureux, tout simplement.

Jacques SCHULTHEISS N°1694

de LINGOLSHEIM (Bas-Rhin)


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