Col de Cantecouyoul - Ces deux interprétations ont été proposées. C'est très imagé et peut-être drôle, mais est-ce suffisant pour être exact ? Hélas non. Si l'étymologie n'est pas une science exacte, elle répond cependant à des règles précises, nécessitant des connaissances étendues dans de nombreux domaines, demandant à ne pas être étudiée uniquement dans les livres, mais à prendre en considération la réalité physique des lieux ainsi dénommés. J'emprunte à la thèse d'Alain Nouvel quelques éléments de réflexion. Toponymes : CANTACOIOL/-couyol/-coion/-cogion ; cantacogol/-cogul S'agit-il de chante-coucou ou bien la finale remonte-t-elle à la racine KUK (K) "hauteur, sommet (arrondi) ?" Pour chante, la racine KANT(A) "pierre, rocher, hauteur, amas de rocher" est admise et l'on serait donc en présence de doublets tautologiques exprimant l'idée de hauteur. Pour cantacogol/-cogul, il existe en ancien provençal cogul = coucou, ici la thèse de l'animal est possible, sans rejeter la possibilité de KUK-; KUK-UL. Pour CANTACOIOL/-couyol/-coion/-cogion, voici quelques exemples relevés dans les vieux cadastres : CANTE-COUYOL : versant inculte d'un mont (c. de Labastide-Pradine), CANTE-COUYOL : terres arides sur montagne (c. de Ste Affrique), CANTE-COUYOL : lande déserte sur un mont aride de 560 m(c. de St Sernin), CANTE-COUYON : terres incultes (c. de Salces, Loz.), CANTE-COUYON : landes désertes, versant aride(c. de Javols, Loz.), CANTE-COUYON : terres incultes (c. de Canourgue, Loz.), CHONTE-COUYON : terres arides (c. de Marchastel, Loz.), CHONTE-COUYON : terres incultes sur mont. (c. d'Arzenc de R., Loz.). De même que pour COION et COIOL, coucou est impossible, cette variante n'a jamais existé en Occitanie [sauf esprit facétieux y voyant un "oiseau" chanteur, parleur et bipède]. Pour le couillon, dont il a été question, il se prononcerait coulyou (oc. colhon) et non couyou comme dans ces noms de lieux. Ce problème des animaux chanteurs semble général et répétitif. CANTADUC/CHANTEDUC: noble fou d'opéras ou oiseau (les petit, moyen, grand-duc ululent) ? CHANTEMERLE, les merles, oiseaux siffleurs, ont-ils acquis de nouveaux talents? CANTE ou CHANTEPERDRIX, les perdrix cacabent, peut-on y entendre un chant, ; CHANTELOUP, CHANTELOU-BE, voilà un loup chanteur ! CHANTE-GRIS-GREL-GRIL, un grillon chanteur, pourquoi pas, un peu répétitif pour un chant ; CHANTEPIE, la pie jacasse, on la dit bavarde, mais pas chanteuse ; CHANTE-RAVE, la traduction serait, paraît-il, chante-radis (sans commentaire, le ridicule ne tue pas) et enfin, (mais la liste n'est pas exhaustive, il y a d'autres candidats à cet opéra), CHANTE-MOUCHE, vous ne vous seriez jamais douté de tels talents, même en y incluant (au sens ancien) les abeilles, guêpes, moustiques, taons, moucherons, il faudra se contenter de bourdonnements. Alors que se cache-t-il derrière cette famille de toponymes ? Une série de toponymes semble contenir le verbe latin cantare > chanter. Ils sont affublés d'une seconde partie, ancienne ou plus récente qui tenterait d'expliquer qui chante. Ce sont souvent des animaux : les Cantarana ou Chanteraine seraient des endroits préférés par les grenouilles ; Chantabot, par les crapauds, Chanteloup, Chantelouve, par les loups ; Chante Renard, évident ; par des oiseaux l'on aurait Chante Alouette, Chante Coucou, Chante Duc, Chantemerle, Chanteperdrix. Il semble évident que ces animaux ne chantent pas, mais certains veulent le croire. Pour d'autres c'est carrément difficile à admettre : Chantebaran, Chante Colmet, (sommet), Chante Lauze, Chantepierre, Chanteplane. La majorité de ces toponymes recouvre des lieux élevés ou au moins pierreux et accidentés. La fréquence de ces caractéristiques physiques pose questions. Plusieurs auteurs pensent y avoir répondu en avançant que ces appellations devaient venir de la racine KANT et qu'ensuite elles se seraient associées à un doublet tautologique. Les secondes parties de ces composés verbaux seraient souvent des déformations d'anciens oronymes et, pour les expliquer, faut-il avoir recours à de prétendus animaux chanteurs ? |
Ce sont les Chantelouve, Chanteloube de notre côté des Alpes et Cantalupo, Cantalupa de l'autre. Ils se recensent du département de la Manche jusqu'en Ombrie et de Belgique en Catalogne. Dans les Hautes-Alpes à Vallouise, l'un de ceux-ci dénommé Chanteloube, < Cantalupa en 1195, à plus de 2200 mètres d'altitude, n'est qu'un terrain de polis glaciaires et de moraines où pousse un maigre gazon. Chantelouve au sud du Col d'Ornon en Isère, < Cantalupa au XlVe siècle, possède tout son domaine cultivable sur l'ancien lit torrentiel du Merdaret. La taille et le nombre des "clapiers" tirés de ses champs y sont d'une exceptionnelle importance. Ce second terme ne serait qu'un arrangement d'une racine LUP(P)- signifiant "pierre". Les Chantemerle se retrouvent partout et sont des appellatifs encore attestés actuellement dans le sens de limite de parcelles. La Drôme compte plusieurs Chanteduc. DUC qui existe en occitan avec le sens de "hauteur" est également une ancienne base qui pourrait être le doublet de CHANTE. La Tête de Chante-Perdrix domine Embrun (Htes.-Alpes). "Perdrix" ne serait qu'une déformation de PER "pierre". Un autre fait semble intéressant à prendre en considération. Il s'agit de la fréquence élevée de certains toponymes qui ne correspondraient à des noms d'animaux que par attraction paronymique, c-à-d. une méprise qui donne le même sens à deux mots étrangers l'un à l'autre, ex.: l'occitan arénièr "terrain sablonneux" compris comme le français araignée. Premier exemple : l'occitan connaît DUC aux deux sens de l'oiseau nocturne et de hauteur. Mais cet oiseau nocturne est plutôt rare et même rarissime dans certaine région. Pourquoi serait-il le seul oiseau de proie (nocturne, rare et d'observation très difficile) à avoir laissé des traces en abondance en toponymie ? Pourquoi ne rencontre-t-on pas en Occitanie autant de Cantacla (chante-aigle), de Cantabusa ou Cantatartana (chante-buse) que de Chanteduc ? S'il ne s'agit pas de l'oiseau mais d'une hauteur, alors le problème disparaît, les "hauteurs" ne manquent pas dans la Drôme, l'Aveyron, etc. Deuxième exemple : pourquoi autant de loups en toponymie et presque jamais de sangliers (oc. senglar), de lapins (oc. lapin), etc., animaux extrêmement fréquents dans les forêts ou les monts. Parce qu'un nom de lieu (à l'origine) doit être caractéristique, ou sinon il est inutile ; comme les animaux se déplacent, ils ne peuvent servir de point d'orientation telle une rivière, une montagne. On trouverait des exceptions, mais quelle disproportion avec les dizaines de toponymes où la syllabe loup est présente. Plus de problème si l'on admet que ces toponymes La Loube, La Louve, La Loubière, La Louvière ressortent d'une racine LUP- : "pierre, rocher". Thèse confortée par de nombreux appellatifs. Ex. : libe = bloc de pierre, libage = pierre à peine équarrie, lip = belle et grosse pierre, luberder = débiter en bloc de pierres, lipe = dalle de roche (Anjou), loup = banc gréseux (Vosges), lèbi = pierre (Briançonnais et Queyras), lebencho = pierre plate pour voûtes (Limousin), lepo = gros caillou, pavé (Dauphiné), loubo = crêtes de montagne, soulapo = caverne, lapok = pierre (Gascogne), etc. Dans le même genre il existe un toponyme "Crèpeloup", il s'agit d'une ferme sur une montagne au sommet aplati (c. d'Alais, Gard). Faut-il y voir un loup fabricant de crêpes ou plutôt la racine pré-indo-européenne Kr-epp- (pierre, hauteur) présente dans le Massif Central ? Michel de BREBISSON N°1315 de MEYLAN (Isère) |