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Les cols de la Noire et de Restefond... à tandem

Revue N° 30 Page 26

"Rétro - 1937"

Après le Parpaillon, I'Iseran (franchi voici trois ans, alors que la route actuelle était encore en chantier), et le col des Rochilles, le fameux col de la Noire, voisin de 3000 mètres, nous tentait par ses difficultés même, et, le soir du 7 juillet, nous atteignions Saint-Véran, M. et Mme Samica, ma femme et moi, avec la ferme intention de franchir, le lendemain, le col géant qui fait communiquer le Queyras et la vallée de l'Ubaye.

A six heures du matin, ayant quitté l'hôtel Beauregard nous découvrons, en haut du village, la vieille plaque qui indique " Chapelle de Clausis, deux heures "; Col de la Noire... ici, un "temps-piéton" !

Le sentier est bon, mais de pente irrégulière. Premier casse-croûte à la Chapelle Sainte-Elisabeth, où nous "tombons" maillots et chemisettes, car le soleil commence à chauffer. Après les anciennes mines de cuivre et les carrières de marbre, voici la Chapelle de Clausis, atteinte après de durs lacets, sur un chemin épouvantable.

La chapelle est sur un haut plateau, à 2394 mètres d'altitude. Il faut, ici, prendre à gauche, vers une cabane de bergers située juste sous la Tête des Toillies. Après avoir traversé un véritable marécage, nous atteignons cette cabane, à 2518 mètres. Il faut prendre, à droite, à flanc de montagne, en gardant toujours à sa gauche la Tête des Toillies, pour éviter le sentier du col Blanchet et de l'Italie. Du reste, l'échancrure du col de la Noire est visible.

Ici, commence le dur morceau, il faut porter les tandems dans d'invraisemblables éboulis, on ne peut que rarement les faire rouler sur les vestiges du sentier. Brusquement, un éperon rocheux, d'allure inaccessible, barre le sentier. Samica et moi partons à pied pour étudier le passage ; sur cet éperon, au delà d'un petit plateau, à 2736 mètres, le col s'offre à nos regards, mais d'immenses névés nous en séparent. Je poursuis seul sur le névé, enfonçant jusqu'aux genoux, puis, découragé, reviens à l'éperon. Mais nos équipières, venues à la rescousse, inspectent à leur tour les lieux et déclarent avec un ensemble parfait : "Nous passerons" !

Après un léger casse-croûte, nous entreprenons de hisser à quatre un tandem jusqu'au plateau, derrière ce maudit éperon, dans un chaos de pierraille. Même manœuvre pour le second tandem, puis, nous attaquons le névé. Les tandems s'enfoncent dans la neige. Tant bien que mal nous atteignons en biais un éboulis de pierres, où nous pouvons souffler un peu, mais il faut retenir les tandems qui, couchés sur la neige durcie, ont tendance à glisser.

Il reste à franchir une dernière pente neigeuse de 20 mètres de large à peine. Portant de nouveau les machines à quatre, nous mettons plus d'une demi-heure à en venir à bout, en creusant un petit sentier avec des éclats de roche, dans la neige durcie, sur une pente vertigineuse, où toute chute pourrait avoir de graves conséquences. Le col est enfin atteint, c'est une arête vive, que balaye un vent violent. Etrangement serti dans la neige, le lac de la Noire est à nos pieds, sous les escarpements de la Tête des Toillies, qui nous domine de 150 mètres.

Après un long arrêt et de nombreuses photos, nous attaquons la descente, en prenant à droite du lac. C'est ensuite un plateau herbu, sans trace de sentier, dominant à pic la vallée de Longet. Nous cherchons pendant plus d'une heure comment nous allons bien pouvoir passer ; il y a bien deux torrents, dont nous explorons les lits, mais ils finissent bientôt en cascades ; pas de descente possible non plus par la crête de la Cula.
Et, cependant, des mulets peuvent passer, il faut passer !
Nous décidons d'essayer à gauche, par le lac de Longet, le long d'une pente herbeuse très inclinée. C'est certainement le meilleur passage, il franchit le trop-plein du lac de la Noire, passe à flanc de montagne, puis au-dessus du lac de Longet. Par de belles pentes herbeuses, il est alors relativement facile d'atteindre la vallée et de trouver un sentier de l'autre côté du torrent.

Le sentier nous semble désormais facile ; il dépasse des fermes isolées, devient très étroit au défilé du Gâ, où il domine dangereusement le flot bouillonnant de l'Ubaye, puis débouche sur le plan de Prairouart. Le lac signalé par la carte Michelin n'est qu'un marais encombré de rochers et de beaux blocs de marbre vert. Enfin, nous pouvons rouler à tandem, atteindre Maurin-Maljasset, puis une vraie route, jusqu'à Saint-Paul-sur-Ubaye que nous atteignons vers 18 heures, ayant franchi en douze heures ce col de la Noire, qui nous a laissé d'inoubliables souvenirs.

Il ne faut s'y aventurer que par beau temps, et de préference dans le sens Saint-Véran-Maurin. La Tête des Toillies, dans ce sens, est le repère le plus sûr. Se guider sur les cartes d'Etat-Major au 50 000ème, Aiguilles n°37, et Aiguilles du Chambeyron n°38, édition 1922.

Après le col de la Noire, le col du Restefond (2643 m), qui fait communiquer les vallées de l'Ubaye et de la Tinée, entre Jausiers et Saint-Dalmas, semblera facile. De Jausiers part une belle route goudronnée, de pente acceptable. A 12 kilomètres, un écriteau indique " Route militaire interdite ", et un piquet de garde nous demande nos papiers. Nous voici en pleine zone de fortifications, sur une belle route bien tracée, qui coupe les lacets invraisemblables de l'ancienne route, en dominant d'impressionnants à-pic. A 22 kilomètres de Jausiers, on arrive aux cantines, à 1500 mètres du col. Nous nous ravitaillons très bien à la première cantine de gauche. En montant un peu à droite, de cet endroit on voit distinctement, à la jumelle, les lacets du col du Parpaillon.
De fait, du dernier lacet du Parpaillon on voit bien les constructions militaires du Restefond.

Restaurés, nous gagnons le col, où la route devient mauvaise et se divise en deux. Il faut prendre le tronçon de gauche, qui, très mauvais, descend legèrement en dominant un ravin très profond. Nous pouvons rouler un peu, mais voici qu'une patrouille, à nouveau, nous réclame nos papiers. Nous passons ensuite sous le col de Pelouse, puis atteignons le camp des Fourches, au col du même nom. Il n'y a plus ni route ni sentier pour descendre, rien qu'une prairie en pente et un lit de torrent. Enfin, voici quelques toits, c'est Bousiéyas, que nous ne découvrons qu'en y arrivant.

La route en construction n'étant pas terminée, nous prenons, à droite de celle-ci, I'ancien sentier, où l'on peut rouler. Après le camp du Pra, une belle route goudronnée descend la vallée, vers Vens, le Pont-Haut (très impressionnant), Saint-Etienne-de-Tinée, le curieux village d'Isola, et c'est une belle partie de roue-libre, presque jusqu'à Nice.

Ce col de Restefond, où il est impossible de se perdre, ne peut être franchi qu'avec une autorisation du colonel Dessaux. Il prend ses repas chaque soir, à l'Hôtel des Alpes, à Jausiers, et, très sportif, il nous a remis très aimablement ce laissez-passer. Les photos étant interdites, il convient de cacher l'appareil dans une musette...

Récit de M. DESDOUETS

publié dans "LE CYCLISTE" en 1937 (transmis par Pierre ETRUIN n°341)


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