Je pars en descente, toutes les épaisseurs de vêtements disponibles sur le dos. Le bonnet est enfoncé jusqu'aux yeux. J'ose à peine bouger de peur de créer une brèche par laquelle pourrait s'engouffrer le froid. Il ne fait vraiment pas chaud, le long de la Clarée. La gelée blanche recouvre les prés en ce matin de début octobre. Oui, pas une bonne idée, de partir en descente. Mais depuis le Rosier, pour rejoindre la Vachette, je n'ai pas le choix. Après avoir franchi la RN 91, la montée du Montgenèvre commence tout de suite. Pas par la route, bien sûr. Une précédente ascension m'avait laissé un souvenir très désagréable du fait du trafic. Sur la Top 25, j'ai repéré un itinéraire qui me conduira au col par le GR 5, puis par une piste VTT. Il n'y aura pas de problème de navigation. Cela monte sec dès le début du chemin. Il fait, maintenant, grand jour. Les montagnes sont blanches à partir de 2700 m. La neige, à cette altitude, m'inquiète un peu : le but de la balade se situant à plus de 3000 m. 26x26, j'arrive à la station, tranquillement. Une route, puis un chemin, à gauche. Un panneau de bois résume le programme de la journée : Chaberton 5 h. A 2000 m, l'automne est arrivé. Les mélèzes flamboient. La piste devient très pentue. Devant moi apparait le versant Sud du Mont Chaberton, vaste et sinistre ruine. Au pied de la face, le lit d'un torrent, que l'on devine ravageur, a été aménagé pour protéger les villages en aval. J'accède au vallon des Baisses en poussant le vélo. La pente est trop raide et il convient de se ménager. Je quitte l'étage des mélèzes. Petite pause et séance de topographie. De gauche à droite, le col de la Lauze, 2529, celui des Trois Frères Mineurs, 2586, et enfin le Mont Chaberton, 3131, avec un peu plus bas le col du même nom, 2674 tout de même. L'aspect du sentier y conduisant a une allure inquiétante : jusqu'au refuge, on distingue son tracé. Mais au-dessus, il semble se dissoudre dans les éboulis et les barres rocheuses. Après la traversée du large lit du torrent, le GR devient difficile à suivre. Il faut négocier avec la pente, mais à l'approche du refuge, je dois rompre les relations diplomatiques. Il faut maintenant porter le vélo. De l'endroit où je suis, j'aperçois le sommet. Il semble y avoir pas mal de neige. Je sais que je n'atteindrai pas les 3131 mètres à vélo. A pied, peut être ? Portage en permanence. Il y a même des passages où je dois franchir des escaliers rocheux en tirant le vélo par les roues. J'avais lu dans de bonnes revues que l'on rencontrait des motos au Chaberton. Et là, je ne vois pas comment elles pourraient venir à bout de ce secteur. Mystère ? Je rage contre cette vacherie de vélo qui me scie l'épaule et s'accroche de partout. Les sommets de l'Oisans apparaissent dans l'Ouest. Je rage, je peste de m'être fourvoyé dans une galère pareille. Mais il serait maintenant idiot de faire demi tour : le col n'est plus qu'à une centaine de mètres de dénivellation. Mais pour cela, je dois franchir une pente rocheuse recouverte de cailloux et de terre. L'angoisse. Je monte en danseuse. Enfin pas la danseuse classique du cycliste. Là, j'ai le style gracieux du petit rat : le vélo sur l'épaule droite, le bras gauche compense et rétablit l'équilibre. Mes pieds, chaussés de délicats escarpins de VTT sautent ,de surface stable en surface stable. Je progresse en comptant les mètres. Ouf ! Voilà le sentier herbeux. Une épingle et je suis au col. Vite, voir de l'autre côté ! Une "bonne piste" y arrive depuis l'Italie. C'est par ce versant-là qu'arrivent les motos et les cyclistes. Il faut mettre à plat la problématique du retour : d'un côté la descente "facile" versant italien avec passage par le Montgenèvre et sa circulation infernale. De l'autre, demi-tour par le versant Sud avec sa difficulté technique. La réflexion est vite menée. Je redescends sur mes pas. Cela me parait le plus rapide et surtout le moins dangereux : au moins, là, il n'y aura pas de camions ! Je laisse tomber l'idée d'aller au Chaberton. Une autre fois et à vélo : aujourd'hui, à partir de 2800, tout est blanc. |
Mon but immédiat : en finir au plus vite avec cette descente, pour rejoindre le vallon des Baisses. Surprise ! Je n'ai pas la trouille. Je cours à côté du vélo. Je me surprends même à rouler dans quelques passages ! Je franchis des passages rocheux façon cyclo-cross. Je fais même des arrêts photos. Bref, je savoure et je prends mon temps dans cette descente que je voulais achever au plus vite. C'est à n'y rien comprendre ! Mais c'est mieux comme cela. Voilà déjà le refuge, puis le vallon. La balade sera plus tranquille maintenant. Je monte pique-niquer au col des Trois Frères Mineurs. Le sentier zigzague sur la pelouse roussie par la saison. Depuis le sommet, je découvre le vallon de l'Opon qui sera mon itinéraire de descente depuis le col de Dormillouse. Au nord, le Mont Thabor et quelques inconnus. Au Sud, le Viso squatte le panorama. Je m'installe à l'abri du vent, à proximité d'une ribambelle de marmottes. Elles font leurs dernières provisions avant l'hibernation. L'appareil photo est prêt au cas où l'une d'entre elles manifesterait de la curiosité à mon égard. Je repars vers le col suivant par une descente amusante. Je franchis le col de la Lauze en poussant le vélo. Couleurs tranchées : le roux de la pelouse contre l'azur du ciel avec quelques touches rouges et blanches pour les balises du GR. Le numéro 5 me conduit au col de Dormillouse. Trois marmottes disparaissent dans leur trou à mon arrivée. Pause photos. Je m'assois sous le vent du terrier. Quelques instants plus tard, une occupante, plus curieuse que les autres, vient aux nouvelles. Nous restons face à face jusqu'à ce que je bouge. Clic ! Clac ! J'entame la longue descente sur Plampinet. Sentier fabuleux. Presque tout à vélo. Sur ma gauche, de grands éboulis à peine austères sous le soleil. A droite, c'est la carte postale de montagne : du ciel bleu, un peu de neige sur les sommets, quelques pitons rocheux, des mélèzes flamboyants, et au milieu, descend le GR. Je m'arrête si souvent pour regarder que je mets longtemps à rattraper deux randonneurs pédestres. Plus bas, le sentier devient piste forestière. C'est plus raide. Les jantes sont brûlantes. Petite pause repérage. Au-dessus des chalets des Acles, il semble exister un passage qui permet de rejoindre le col de l'Echelle. A la belle saison à venir ? Dans le pré à côté des chalets, des ânes paissent. L'âne est un animal très sociable. Quand on s'arrête à côté de lui, il s'approche. Mais là, malgré mon arrêt prolongé, personne n'est venu. Pas des ânes de bonne famille ! Le vallon est envahi sur toute sa largeur par les alluvions du torrent. La forêt de mélèzes est comme inondée d'une bonne épaisseur de cailloux. Sans doute la crue du siècle... Le chemin a dû être retracé. Cela secoue beaucoup. Cela secouera encore beaucoup le long des nombreuses épingles qui descendent sur Plampinet. André PEYRON N°317 de CHABEUIL (Drôme) |