Le col du Pommier est un petit col de Provence, de cette Provence qui sent si bon le lavandin, le romarin, et la farigoulette. Un petit col de poche qui ne se prend pas au sérieux; qui n'a pas ses lettres de noblesse à l'image d'un Tourmalet ou autre Izoard, où le Tour de France ne passera jamais; un petit col tranquille sans histoire. Mais avec ses chênes-lièges, ses mimosas sauvages, ses eucalyptus, ses taillis d'arbousiers, ses pins parasols, ses chênes verts, et ses châtaigniers, c'est un grand monsieur par sa nature qui fait bien des envieux. La « route » pour lui grimper dessus n'est pas goudronnée oh non! ça serait lui faire injure, un sacrilège, pour monter sur son dos, tout juste une petite piste pierreuse à souhait faite de schistes coupants et de lames de mica. Une de ces pistes provençales mangée par le soleil, fouettée parfois par un violent mistral, un peu sèche, avec juste ce qu'il faut d'eau pour qu'au printemps venu s'ouvrent sur ses bas-côtés et talus des milliers de corolles multicolores d'aubépines sauvages, de genévriers, d'acacias, de lauriers et d'arbres de judée. Un seul ennemi, un seul démon et non des moindres le guette, l'infâme le traître, le sans foi ni loi, seigneur de l’apocalypse, sa majesté rougeoyante: le FEU. En cette belle matinée de mi-août, je pédale tranquillement dans les tous premiers lacets terreux de ce petit col. Je suis parti de bonne heure ce matin du bord de mer afin d'éviter si possible la canicule qui sévit en ces lieux dès les 9 heures. J'ai quitté le port de la station balnéaire de La Londe les Maures vers les 7 heures, afin de pédaler à la fraîche; j'ai fait un petit tour du côté des salins d'Hyères, passé Port Pothuau, longé la plage de l'Ayguade sur le petit plateau en moulinant histoire de contempler plus longuement la majesté des palmiers de bord de mer ou peut-être les premières naïades avec moins que rien de bikinis déployant dès potron-minet leurs serviettes de plage pour une journée de farniente, allez donc savoir. Arrêt, petit en-cas rapidement avalé, et tiens il n'est que huit heures! Si j'allais faire un tour vers le col du Pommier ? Si vous cherchez des pommiers ou des pommes dans ce col, vous allez faire choux blancs ! il n'y a pas plus de pommier ici que de figuier sur la place du Capitole à Toulouse, vous en serez pour vos frais, et devrez pour cela vous payer un séjour en Normandie! Peut-être là-haut dans le nord y- a-t-il un col de l'olivier? Col du pommier ? Pourquoi un tel nom en ces lieux ? Mystère de nos savants géographes. 168 mètres d'altitude dit mon référencier des cols français! C'est pas bien haut pour un col! Mais lorsque l'on part de l'altitude zéro (bord de mer), que le « sommet » se situe au bout de 10 km. environ de route et sachant que les 7 premiers sont quasiment plats en vallée, il faut ramener la difficulté à sa juste valeur, et ne pas prendre cette grimpette trop à la légère. Par le Mas des Jasson et le Pas du Cerf, la D 88 me mène sans trop de peine au travers de vignes en terrasses, de restanques d'oliviers, et de bosquets de mimosas sauvages, au croisement sur ma gauche avec la piste classée R1 qui doit me conduire tout en haut du col du Pommier! Premiers hectomètres en totale félicité ! Quelle est belle cette Provence! F. Mistral, J. Giono l'ont si merveilleusement contée, je pense à Pagnol, à César, à Marius, à Fanny, à Ugolin et Galinette, mon esprit vagabonde enivré par toutes ces senteurs du midi méditerranéen!.. Quand d'un coup d'un seul ! DES SANGLIERS!... Je grimpais tranquillement (32x20) « sous le vent » c'est à dire petit mistral dans le nez, quand au sortir d'un petit mais très petit lacet, vlan! me voici pratiquement empêtré dans un « tas » de sangliers. Ayant la brise favorable, toute cette équipe poilue ne m'a pas entendu arriver d' où la surprise dans les deux camps! Pas de panique, pied à terre, je compte dix individus: une laie avec trois marcassins encadrés de six autres congénères (maouss-costauds) dont j'évalue le poids entre 50 et 80 kg. Pas d'autre solution que de faire face! Ce que je fais! C'est à dire que « caché » derrière ma bicyclette, j'observe la tribu! Le plus gros spécimen de l'équipe, certainement le chef, me fait crânement face les poils de son échine dressés à la verticale. Il est à environ cinq mètres de moi et je n'en mène pas large; surtout lorsque deux autres congénères viennent lui prêter main forte. Si l'attaque se produit, ce qui au vu de la situation ne saurait tarder, mon seul salut est constitué par un maigre chêne-liège, là légèrement sur ma droite. Si l'affaire se corse, s'ils me chargent, je les laisse approcher, je leur laisse tomber mon vélo dessus, (un Colnago tout Campa ! c'est du solide!) et je saute vers la première basse branche de mon arbre sauveur! |
Le face à face dure bien une trentaine de secondes, mais dieu que c'est long une demi-minute à regarder dans le blanc des yeux un sanglier de 80 kg. à cinq mètres de distance! Pendant ce temps là, dame laie avec sa progéniture indifférente au drame en gestation continue sans retenue aucune à soulever du groin racines et pierrailles en bord de piste, découvrant ainsi quelques glands secs pour ses adorables et turbulents marcassins. Ce faisant elle s'écarte tranquillement du futur champ de bataille. Voyant cela, mes adversaires du moment jugent préférable d'en faire autant et toujours la hure en bataille mettent un terme à notre confrontation visuelle. La troupe lève définitivement le siège et s'éloigne dans un léger nuage d'une fine poussière dorée. Durant un bon moment je la suivrai du regard trottinant au travers d'une pinède réduite à l'état de cendres zigzagant entre les squelettes noircis de ce qui était de magnifiques pins parasols. L'explication de ce comportement presque anormal d'animaux sauvages et agressifs m'a été fournie par un agriculteur de mes amis à qui je racontais cette mésaventure: « Ces sangliers, me dit-il , ont eu leur territoire ravagé par les flammes et se trouvaient donc contraints et forcés de se nourrir en limite de la zone détruite par le feu, d'où leur manque d'enthousiasme à te céder le passage lorsque tu fis irruption dans leur nouveau domaine en bordure de la piste, pour eux tu étais un intrus et c'est pour cela qu' ils ont fait face au lieu de détaler ». En effet si le côté droit de la piste présentait une végétation abondante, le côté gauche que je découvrais à présent était complètement calciné. Que c'est triste une forêt brûlée! quelle désolation! lorsque l'on pense qu'après un incendie de quelques minutes, une forêt de Provence met entre vingt et cinquante ans à retrouver son état originel, on ne peut que condamner et punir sévèrement les « assassins » qui à des fins souvent bassement mercantiles y mettent le FEU volontairement. Ma progression vers le sommet se fait à présent l'oreille tendue et l'oeil aux aguets, des fois que mes «copains» de tout à l'heure reviendraient dans le secteur, sait-on jamais ! Le sommet du col se présente plutôt comme un arrondi, la pente mollit petit à petit et sans s'en rendre compte on est en « haut ». Demi-tour après un coup d'oeil circulaire autant que circonspect. Je redescends par le versant grimpé et arrivé au lieu de ma fortuite rencontre de tout à l'heure je suis un peu déçu de ne pas y rencontrer Grognon et ses équipiers. Et si effectivement la confrontation avait eu lieu ? Très certainement mon récit en eut eu plus de piquant ! Et très certainement aussi j’aurais aujourd'hui un autre vélo tout neuf et peut-être une tête de sanglier dans mon salon. Après ma rencontre avec les marmottes dans les Alpes au Cormet d'Arêches, après les goélands et leur attaque en piqué sur l'île de Porquerolles, j'ai également été encerclé sur le plateau de Sault dans l' Aude par un troupeau de vaches en liberté dans le col des Brebis, puis ces sangliers dans le Pommier... ça commence à bien faire!...Et dire que je rêve depuis longtemps de pédaler en vallée d' Aspe dans les Pyrénées, avec le « pot » que j'ai, c'est à peu près sûr j 'y rencontrerai bien un Ours!... Remarquez que si tel devrait être le cas, j'ai déjà pour notre prochaine revue un article tout trouvé! enfin si j'en réchappe ! Parce qu’un ours…Sait-on jamais ? André Torremoneil CC n°1573 |