A cheval sur la Haute Maurienne au nord et le Val di Susa au sud, ces deux cols situés à l’extrémité du glacier de Rochemelon (TOP25 3634 OT) encadrent la pointe éponyme qui les dominent de 300 mètres. Cette dernière avait éveillé ma curiosité cyclomuletière depuis de nombreuses années, car ce sommet attire chaque mois d’août les Bessanais venus du nord et de nombreux italiens montés du sud qui se rejoignent là, accédant ainsi au plus haut pèlerinage d’Europe : 3558 mètres. Si les Bessanais et leur curé de 83 ans (cf. le livre : "Les Cols du Parc de la Vanoise" Ed. Glénat) peuvent y grimper, certes après une très longue marche de sept heures, un cyclomuleteur doit pouvoir faire de même. Des chutes de neige répétées en juillet m’avaient fait reporter cette ascension par le versant nord plusieurs années consécutives, confirmant par là que Bessans est bien le pays du Diable comme l’établit la mythologie haute-mauriennaise ! En ce début d’été 2003, les conditions météo sont plus favorables, mais mes compagnons de muletade ne sont pas disponibles : je ne me sens donc pas de m’engager seul sur le glacier, de plus sans reconnaissance préalable. J’opte donc pour l’ascension par le versant sud qui est moins « alpine » mais pose d’autres problèmes : 3050 m de dénivelé d’un seul trait depuis Suse. Je ne connais pas dans les Alpes d’ascension plus appétissante. Six heures et demie donc en ce 2 juillet : je quitte Suse, traverse le village d’Urbiana qui émerge doucement de son silence nocturne, quelques déplacements furtifs le long de jardins très soignés, des chats subitement aux aguets au passage de cette bicyclette matinale. Je grimpe sur une route si minuscule qu’elle me semble improbable, jamais elle ne me mènera au pied de la pointe, elle va sûrement s’interrompre. Et pourtant elle va s’élever de 1700 m en un peu moins de vingt km, explorant les étages successifs de la forêt : châtaigniers, pins, mélèzes. Il fait froid, un fort vent de nord-ouest descendant du col du Mont-Cenis a dégagé complètement le ciel et fait vibrer la lumière : heureusement le soleil se lève et commence à me réchauffer. Sur le versant d’en face, la célèbre route des Crêtes de l’Assietta et son extrémité est, le Colle delle Finistre. La forêt s’interrompt en même temps que la route goudronnée à l’embranchement avec la piste qui conduit au refuge « Il Trucco ». Trois km de piste R1 me mènent à travers l’alpage au refuge « La Riposa ». Il est 9 h 30 et je suis à contretemps : les randonneurs pédestres sont déjà partis vers les sommets environnants. Je peux m’étaler, enlever des épaisseurs. Je ne monterai plus sur le vélo jusqu’à la redescente ici même. Une bonne heure de poussage S2-3 sur un large chemin me permet d’atteindre le deuxième refuge, "Ca d’Asti". Je me sustente sur l’esplanade, devant le Viso au loin, et plus proche le Chaberton, escaladé quelques années auparavant. |
Chaque refuge marque en même temps une limite géographique : l’herbe de l’alpage disparaît et fait place à la pierre. Cinq cents mètres plus haut « La Crocetta » (Petite Croix) est la dernière station du pèlerinage avant le sommet. Une corde fixe facilitera le portage final, l’altitude rend la progression difficile, mais l’accès à la pointe n’est jamais scabreux, ni dangereux. Les semelles VIBRAM sont tout de même fermement recommandées ! Au dernier moment, juste avant le sommet, je me retrouve nez à nez avec… les moustaches superbes de Victor-Emmanuel II dont le buste imposant est scellé dans le rocher. J’appuie mon brave muletier contre le socle de la statue sommitale de la Vierge montée ici en huit morceaux par les Alpini en 1899. Un magnifique refuge rénové pour le centenaire de cette expédition autoriserait la contemplation d’un magnifique lever du soleil à Rochemelon (à prévoir une autre fois !). A mes pieds vers le nord, la langue terminale du glacier. Il est 13 h 30 et j’escalade depuis 6 heures pauses non comprises ! Je redescendrais volontiers, mais je dois aller où le devoir m’appelle ! Le lecteur attentif aura remarqué que Rochemelon est une pointe, pas un col ! Que viendrait faire alors la relation de cette escalade dans la revue des Cent Cols ? Pour espérer l’imprimatur, je dois donc descendre, suprême et cependant agréable contrainte, cueillir 2 cols de plus de 3200 m, les cols de Resta et Novalese. Je crains un peu que la neige n’ait été ramollie par le soleil, juste là-dessous, au pied de l’arête sommitale, 300 mètres plus bas. Heureusement le vent froid qui a balayé la montagne toute cette matinée m’a facilité la traversée entre ces 2 cols : la neige est encore consistante. Cette petite digression purement « Centcoliste » et la remontée au sommet me coûtent cependant deux heures supplémentaires de marche. La descente des 200 premiers mètres ne sera pas une sinécure. Descendre le long d’une corde fixe est simple mais avec un deux-roues tout devient plus compliqué. Je dois dire qu’à cet endroit j’aurais préféré de la compagnie : c’est là le seul passage délicat de cette randonnée. Pénible jusqu’à La Riposa, la descente redevient agréable dès que j’ai pu remonter en selle. Se laisser glisser jusqu’à Suse, par une température redevenue plus clémente, tient de la formalité la plus récréative après une escapade de tout de même 13 heures. On me dira : « Quel besoin de monter à 3550 m pour accéder à 2 cols à 3250 m ? » Eh bien ! C’était, en ce 2 juillet la solution la plus raisonnable. L’accès direct par le versant nord reste à découvrir, mais ce sera une autre histoire… avec crampons ! Daniel FELTIN CC n°4221 |