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Un col stupéfiant

Revue N° 32 Page 56

L’auberge de jeunesse est encore endormie, alors que je monte sur ma bicyclette. Tout est calme en cette heure matinale, la forêt environnante s’éveille tout doucement. Entouré d’odeurs à fortes essences résineuses, je me hisse vers la crête. Il fait bon ce matin et rien que pour plagier Mylène, j’ai envie de fredonner « C’est une belle journée, moi je vais pédaler. Une belle journée, Petite Reine ».

Le chant des oiseaux est accompagné par le cliquetis de la roue libre. J’en suis rassuré, car hier celle ci avait montré des signes de faiblesse. Les ressorts de rappel n’assurant plus leur fonction et laissant au corps, un vrai sens au mot liberté. Par chance, à grand coup de dégrippant, un garagiste m’avait généreusement remis toute cette mécanique en bon état, alors qu’il se faisait tard.

Maintenant , j’ai enfin atteint la route principale, vide de toute circulation. De l’autre côté des barbelés, des vaches helvétiques répondent aux sonnailles de leurs homologues françaises. La journée s’annonce longue avec en point d’orgue, l’ascension du Revard. A l’approche d’un carrefour, j’opte pour virer à gauche et me présente à la guérite de la douane suisse. Un officiel en uniforme gris et vert vient à ma rencontre :

- « Vos papiers, s’il vous plait » , me dit il dans son parler nonchalant.
Je lui présente ma pièce d’identité.
- « Où vous rendez vous ? »
- « Je vais jusqu’au col et je reviens »

Celui-ci reste dubitatif et me rendant mes papiers, il me demande à inspecter le contenu de ma sacoche de guidon. Pêle-mêle sont entassés, les cartes routières, blouson et autres accessoires mécaniques. Mais il pousse sa fouille aux moindres poches et tombe sur mes plaquettes de Dextrose.
- « Qu’est ce que c’est que cela ? ».
- « Des plaquettes énergétiques ».

D’un air étonné, il me dévisage. Est ce du fait que j’ai les traits tirés et les yeux encore veinés de sang, dus aux efforts relatifs à un BCMF Vosgien, deux jours plus tôt ? Mais il demande mon sac à dos et m’oblige à le suivre à l’intérieur du poste. Voilà un contretemps non prévu dans mon tableau de marche.
Je pose mon vélo sur le mur et m’empresse de le rejoindre. Déjà il a fini de déposer sur le comptoir, le contenu du sac. Celui ci n’est pas très grand. Vous savez, ces sacs US que certains d’entre nous ont trimballés sur les bancs des lycées et autres facs. Ainsi s’étalent les chaussures de sports, le linge de rechange et le nécessaire de toilette. Il arrête son contrôle aux petites poches centrales, l’une contenant mes chaussettes usagées et l’autre une boite de fromage au contenu bien entamé, dès fois que les odeurs ne se mélangent.

Finalement, il quitte les lieux, sans un mot, me laissant le soin de tout ranger moi même. Alors que je sors, il me rend ma plaquette et me souhaite bonne route.

Encore sous le coup de l’inspection, j’arrive au col où je fais vite demi-tour, il ne m’a pas laissé un souvenir visuel de premier ordre. Quelques minutes plus tard, je me représente au même poste de douane. Et là une pensée traverse mon esprit. Ai-je vu trop de films ! Et si le douanier avait caché à mon insu, un produit illicite dans mon sac, sachant que je repasserai par ici. Je ralentis à l’approche du bureau, mais occupé à d’autres affaires, il me fait signe de passer. Rapidement, j’arrive à la douane française où n’ayant pas remarqué mes déboires avec son homologue Suisse, le douanier ne se présente même pas au contrôle.

Quelques mètres plus loin, je me retourne vers le poste helvète et y adresse à l’encontre de son occupant, un geste peu amical. Mon regard se porte alors au loin, vers ce massif de sapins qui marque le col de Givrine qui restera gravé en ma mémoire par le biais de cette anecdote plus que stupéfiante.

Je reprends alors ma route, car le chemin est encore long et la journée bien avancée.

Didier REMOND

CC n°1202


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