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IMPROVISATIONS...

Revue N° 04 Page 30

Soir de 15 août à Roquebillière. La couche est un peu ferme : du foin sur du béton ; le sommeil tarde à venir et je rêvasse aux trois journées écoulées. Nous sommes ici parce que les ciel était trop noir sur le Grand Paradis, le Valais et l’Oberland et comme mon compagnon a de vieux comptes a régler en ces lieux qui sont pour moi des terres vierges....

Premier bivouac dans le foin à Chavailles, terminus d'une belle petite vallée perdue du côté de la Javie. Notre projet de passer le col de la Baisse est trouvé saugrenu et un peu insensé ; le col du Talon est tellement plus rapide, facile et évident ! Ouais ! C'est plutôt une piste incertaine mais qui nous mènera sans grands problèmes à Château Carnier. Plus loin, la lecture réjouissante d'altitudes fantaisistes sur les bornes du Col des Champs nous fera oublier la dure montée. Un col qui me rajeunit de quelques vingt ans.

Entraunes. L'intermède routier est terminé. Nous coucherons ce soir au chalet de la Boulière où nous aura conduits un curieux sentier interminable par une gorge tourmentée et un encorbellement taillé de main d'homme. Le maître de céans, un brave Italien du Sud, hospitalier et bavard, fait la conversation à lui tout seul. Notre italien scolaire (et lointain) se révèle insuffisant. Petit extrait du dialogue : - Dove abita ? - Valensuola - Che Provincia ? Ici, haussement d'épaules. "Ma... Les Basses Alpes !"

Bien sûr, il s'agissait de Valensole. Tôt le lendemain, nous sommes au col des Trente Souches. Le ciel se couvre. Il faut descendre aux Tourres pour remonter au col de Pal par un bon sentier. L'itinéraire direct n'est plus qu'un souvenir lointain et un touriste providentiel, hier, nous a dissuadés de le prendre. Le col de Pal est dans un décor de schistes noirâtres et de prairies ravinées que nous dévalons pour retrouver la route de Demandols. A St Etienne de Tinée, il est midi, les restaurants affichent complet et nous casserons une croûte mélancolique sous un abri de cantonnier, en regardant tomber l'averse.

Pierre Blanche. Le long vallon de la Mollière est parcouru par un sentier dallé desservant d'anciennes terrasses cultivées que la végétation dense a reprises. Les mouches nous font un bout de conduite, grouillantes, acharnées, odieuses. Un mauvais chemin, traduit sur la carte par un semi-pointillé optimiste, nous ramènera à Boréon. Ravinements, ornières, boue, dégorgements de torrents, tout y est sur le versant est. Mais quelle belle descente du Boréon à St Martin Vésubie... Et ce beau matin du 16 août, nous remontons la roide vallée de la Gordolasque, perdant une petite heure en loupant un panneau qui nous tourne le dos à la montée. La contemplation des cimes du Mercantour fait oublier le portage dans la caillasse. Vus du pas de l’Arpette, les lacs ne sont pas idéalement bleus sous le ciel maussade, mais ils sont là et apportent cette joie paisible qui suit les grands efforts. Cette fois, nous trouvons du monde : nous sommes dans la vallée aux écritures que, ô honte, nous ne chercherons même pas. Au diable la culture, le temps est court. Je préfère photographier d'attendrissantes petites joubarbes, qui, elles, ont le bon goût de pousser à côté du sentier. Un admirable chemin pavé, après la baisse de Valmasque, longe longuement trois grands lacs. C'est un des grands moments de notre randonnée ; les véritables merveilles sont sur ce versant. Hélas, il nous faut renoncer a rallier Tende par Peyrafica, faute de temps, et nous rejoignons La Brigue par ce petit paradis perché qu'est le vallon de Casterine. Il nous faudra, à Val del Prat, débarrasser une cabane à outils, barboter du foin sur une meule, pour passer une nuit "confortable". Rassurez-vous, tout a été remis en place le lendemain.

17 août. "Une belle aventure à tenter" affirmai-je il y a un an à propos de cette route qui chevauche la frontière du Mont Grai au col de Tende. Eh bien, c'est vrai ! Râleurs du col de Balès, mécontents rencontrés dans l’Estivère, s'abstenir. Aux autres, ceux qui savent accepter l'imprévu; il sera beaucoup donné (a nous, la brume a pris beaucoup !) La route grimpe vers la frontière par le col Linaire marqué par un léger palier et trois kilomètres de goudron (à savourer lentement, car il n'y en aura plus d'autre) Belle forêt jusqu'au pas de Sanson, portion facile jusqu'au pas de Collardente où l’on repasse en France. Un chemin herbeux en pente soutenue, remonte au pas du Tanarel. La vue est très belle. On décroche sur Monesi par quelques lacets rapides, puis une route à flanc de montagne, parfois en bonne terre battue mène au col de Vieille Celle. Quelques voitures. Mon comparse s'est évaporé dans la brume, ma chaîne refuse le 26 dents, j'ai faim, je zigzague, je peste et je jure. Il m'attend dans un virage et se marre doucement en écoutant ces imprécations qui fusent du brouillard. Rencontré un mouton agonisant au bord du chemin ; Michel lui a donné à boire. Éclaircie, descente, un col en prairie, mais lequel ? Sur cette route irréelle, hors du temps, nous ne savons plus. Ce joyeux groupe doit le savoir, qui pique-nique au son du transistor. Le silence de ces espaces infinis doit les effrayer. Je suis méchant de dire ça car nous nous retrouvons parmi eux, mangeant côtelette, fromages et goûtant de la fiasque. Joyeux propos, photos qui nous enverrons à Savone en témoignage de bon souvenir.
Des spéléos croisent par là : nous sommes dans le Marguareis, au col des Seigneurs. Le désert calcaire que nous traversons à l’air d'un glacier, sous le soleil diffus, magnifié par le pousse-café très fort qu'il a fallu boire avant de partir. Montées, virages étonnants, échappées rapides du regard sur les vallées piémontaises quand la brume se déchire. Deux cols encore puis le relief s'abaisse, le col de Tende apparaît dans un vaste décor où l'homme a tracé des routes, des routes. Le premier coup de semonce retentit, puis tout va très vite. Nous nous engouffrons en catastrophe dans la station du téléphérique, grouillante d'humanité. A la première accalmie quelques audacieux dont nous sommes essaient de s'extraire du magma, mais un terrifiant coup de tonnerre sur un pylône renvoie tout le monde à l'intérieur. Enfin, au bout d'une longue heure, nous parvenons à partir.

La contemplation de deux versants de co1 est assez rarement offerte. Contournant les flaques, nous admirons les innombrables lacets herbeux qui dévalent sur la France et la large chaussée italienne. Au tunnel, sous le soleil revenu, nous retrouvons l'asphalte et les autos. Limone, Borqo San Dalmazzo et la route de Larche? Circulation, chaleur lourde, fatigue...nous regrettons notre caillasse, mais elle nous attend après le dernier village de la vallée de l'Arma. A Santo Maurizio, un jeune homme nous offre cordialement sa grange. Je resserre des écrous. Tout le monde vient voir. Nous mangeons une assiette de soupe et deux oeufs en compagnie de la mère et de son autre fils (je suppose) un grand gaillard au front bas. Il nous attend le lendemain au pied de l'échelle et nous fait payer un peu cher son hospitalité. Il a trouvé ses Américains...

18 août. Colle Calcavera, large chemin pierreux auquel il faut faire de temps en temps les honneurs du pied. Là-haut, le cirque montagneux est magnifique ; je ne le décrirai pas, ne sachant m'y prendre. Nous pourrions rejoindre Acceglio par la Gardette. Michel le regrette maintenant, mais nous préférons passer le col del Mulo. L'érosion a effacé la route sur le versant nord mais celle-ci reprend au Gias Maro et descend longuement sur le valle Maira. Ravitaillement a Acceglio, puis c'est la rude montée goudronnée à la sortie du bourg et après Chiappera jusqu'aux dernières granges. De là, il faut s'élever au jugé à travers des prairies marmitées comme si la guerre était passée. C'est long pour atteindre le col de Mary. Je me retourne quand même souvent pour admirer une merveilleuse aiguille calcaire qui règne sur ce bel ensemble montagneux. Le versant Ubaye est très beau lui aussi, mais nous courons car le jour s'en va. A Maljasset, Michel répare... une crevaison et il fait nuit noire quand nous arrivons à Combe Brémond où nous trouvons l'habituelle hospitalité. Puis nous sommes passés sur Ceillac par le col Tronchet, sur Château Queyras par le col de Fromage et le sommet Bûcher. Cols faciles parcourus par le G.R. 5 et offrant des vues circulaires de toute beauté. Mais la Font Sancte est plus belle à voir grandir quand on s'élève au petit matin par le col des Estronques. Le soir, nous couchions aux chalets de l’Eychaillon parmi des jeunes en rupture de cité qui avaient choisi de vivre là un mois ou deux essayant de se retrouver. Agréable soirée !

Col des Ayes franchi dans l'autre sens il y a dix ans. Briançon, le Lautaret, les foules vacancières. Notre point de chute est Valsenestre, mais le Bourguignon agrémente le parcours par Villard Notre Dame et la Maison du Loup : ses moyens le lui permettent ; il est toujours devant à pied comme à cheval, et n'arrivera qu'un heure après moi. Gérard et mon épouse nous ont rejoints, on plante la tente. Soleil brille encore deux jours !

Le lendemain nous donnons l'assaut au col de la Muzelle, vaguement inquiets. On nous en a tant dit... c'est vrai, cette pente de schistes boueux est très raide ; elle ne permet guère de repos et ne tolère pas les glissades. Eviter de la passer après de fortes pluies et la faire à la MONTEE ; mais c'est un muletier de grande classe. La descente sur le lac est facile, mais il serait dommage d'en rester là. C'est pourquoi nous repartons par le col du Vallon aux innombrables lacets très courts pour rejoindre le Lovitel. Nous avons le temps, le brouillard s'est résorbé et nous nous emplissons a nouveau les yeux de ce lac de rêve. Le balisage est bien utile dans le chaos rocheux du sommet. Juste avant le Lovitel, une courte cheminée pose des problèmes à des demoiselles mal chaussées. Gérard leur prête son bras secourable. Puis on se fait passer les vélos. Il fait bon être trois. « C'est du vice » me disait ce jeune confrère lillois au col de Pierrefitte ; peut-être bien dans certains cas. Je ne me pose plus la question.

Les sept kilomètres de Bourg d'Arud à St Christophe se laissent grignoter dans la douceur du beau soir d'août. Gérard monte loin devant. Nous pensons tous deux à la dernière journée. Renseignements pris auprès de gens hautement qualifiés, nous allons passer sur le Valgaudemar et rallier Mens ou Grenoble. Au matin le temps est exécrable. Michel rejoint en voiture la gare de Grenoble, les deux autres se tremperont comme des rats jusqu'à Vizille. Déconfiture totale. Nous ne passerons pas le col du Gioberney cette année. Qu'importe nous reviendrons.

Marcel BIOUD

CLAIX (38)


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