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L'ANE ET LE BOYAU

Revue N° 04 Page 43


Juillet 67 : Je grimpe le col du Soulor. Il fait beau, il fait bon, je suis bien. Au cours de la journée d'hier dans le Tourmalet, j'ai pris un orage qui compte dans la vie d'un cyclo. C'était la fin du monde, mieux réussie qu'un "Metro-Goldwin-Mayer". Dire qu'il y a des gens qui ne savent pas ce qu'est un orage en montaqne. Est-ce que j’ai eu peur ? " Allons, allons ! tu es seul, personne ne saura, tu peux bien l’avouer que tu n'étais pas tranquille..."

Ça, oui ! pas tranquille du tout... je me suis levé avec le soleil ce matin. Je n'ai pas encore entendu d'un automobiliste touriste le classique "vas-y Poupou" ou "vas-y Bobet". C'est fou ce que je peux ressembler à des coureurs. Depuis "vas-y Pélissier" jusqu'à "vas-y Anquetil" en passant par "vas-y Tonton" on m'a pris durant ma carrière de cycle pour une vingtaine de coureurs... Et si je mettais plus petit ? C'est joli ce coin de "Sol y Sombre", je pourrais bien prendre une photo... La prochaine borne je la regarde... j'ai dû en faire la moitié depuis Argelès... Tiens, ils ont bricolé ce virage… Ca change... En 1929... pas la peine de remonter si loin... Et l’année prochainne, est-ce que je pourrais encore... Bon on verra, pour le moment, ne nous plaignons pas trop. Et si je rentrais par Arbéost et Ferrières, je pourrais aller voir les cousins de Nay...non j'aime mieux faire l’Aubisque... Tiens un âne ! je vais le prendre en premier plan avec mon vélo...je n'ai pas de photo d'âne... Si tu pouvais faire trois pas à droite... brou, brou... sois gentil... Hé là !... laisse mon vélo tranquille, j'en ai encore besoin... je connais un certain Fernandel qui a une aussi belle dentition que toi...

Rémy, Rémy...attention ! Monsieur, il n'est pas commode parfois... Ouf !... Merci... vous arrivez à temps... J'ai l'impression, en effet, que votre âne, Rémy, est plutôt vache, (c'est facile mais comme dirait l’almanach Vermot "faut "le faire")... J'aurai quand même ta photo... et la marque de tes dents sur mon boyau... Après le virage, je casse le croûte... Non, pas là, au prochain... Et si j'allais jusqu'en haut... bon allons-y... Il va falloir que je sème des radis... C'est beau la montagne... Combien de fois suis-je passé ici sans avoir remarqué ce point de vue ? 6, 8 fois... C'est comme la mer, je la vois tous les jours ou presque, elle a toujours quelque chose de différent... J'ai de la chance d'habiter cette région. La mer, la montagne, la forêt, tout sous la main... sous les pédales plutôt... Et les tomates, il y en a peut-être des mûres... C'est bon, les tomates du jardin, surtout les premières, quelle différence avec leurs machins de serre, ça mûrit n'importe quand, ça manque de soleil... C'est comme la... Tiens ! je suis en haut. La vallée du côté de Ferrières est complètement dans la purée de pois mais ici et vers Aubisque, le soleil est radieux...
En selle... Pas bien longue la descente avant l’Aubisque... 8 h 45... j'ai le temps. Allons piano, piano... Pauvres types, mes frères des villes, si vous saviez comme je vous plains de n'avoir pas l'occasion de vous faire bouffer un boyau par un âne en pleine montagne... Ce n'est pas marrant dites-vous ?... Oh que oui ! car après le tunnel, comme disent les Italiens qui connaissent le patois béarnais, j'ai "perforata la gomma par un azou" (faites traduire si vous ne comprenez pas). Incident réparé avec l'aide d'un aimable jeune qui insiste pour tenir mon vélo et rit de bon cœur de ma mésaventure. Il avait vu l’âne mais n'avait pas jugé utile de faire connaissance. Nous continuons - Après un "à tout à l'heure, aux Eaux Bonnes" je lâche mon jeune ami... enfin je veux dire :"nous nous lâchons, lui devant, moi derrière..." on ne peut jamais savoir qui lâche l'autre. Re-bonjour au chalet du col... nous descendons de concert... les descentes me plaisent moins... ça va trop vite pour jouir du spectacle... Quand, je suis seul, il m'arrive de m'arrêter plusieurs fois si la descente est longue... Les Eaux Bonnes, c'est bientôt la vallée...

La semaine prochaine, je pourrais aller à ... ou à... ; il n'y a pas partout des ânes qui bouffent du boyau...

de René LAPEYRE

BIARRITZ (64)


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