La strophe musicale aux notes aiguës, flûtées et dont la mélodie ne saurait être exprimée par aucune écriture interrompit ma rêverie. L'oiseau était là, tout près, branché dans un feuillu du versant escarpé et son chant à l'accent légèrement interrogatif posait une touche romantique sur le pastel des premières feuilles du printemps. Je m'étais adossé à un vieil épicéa dont une racine légèrement moussue me servait de siège. Je dominais le col de quelques mètres et toute la combe étranglée entre les versants sombres de la Galoppaz et du Mont Charvey s'étendait devant moi, s'ouvrait sur les crêtes de l'extrême nid des Bauges. Les feuillages très clairs des hêtres, des bouleaux, des peupliers égayaient le vert sombre des résineux. La route, ensevelie par les glissements de la roche friable disparaissait sous les viornes, sureaux, nerpruns, aubépines, cornouillers et autres arbustes aux bourgeons éclatés. Je scrutais en vain les arbres les plus proches quand le chant s'éleva à nouveau. Du sentier derrière moi, une sorte de pépiement rapide, ténu lui répondit. D'un vol bruyant, sonore comme un roulement, l'oiseau jaillit d'un hêtre, plana droit sur ma tête, et ailes en parachute, se laissa tomber sur un rocher à trois pas de mes pieds. La gélinotte a une ouie très fine, mais une vue très médiocre. Il suffit de rester parfaitement immobile pour passer inaperçu. |
D'ailleurs, le beau mâle, toute huppe dressée, queue en éventail, était fasciné par la poule que je voyais avancer calmement, indifférente en apparence, émettant toujours son pépiement. Lui, poitrine bombée, ailes pendantes, fier de sa cravate noire et du velours de ses caudales, tournait, ailes frémissantes, autour de sa belle, sautait sur une basse branche de coudrier, puis reprenait son manège. Sa compagne, toujours aussi calme, marchait presque gravement et soudain, prenant son essor, volait à une dizaine de mètres. Le jeu recommença, et la belle vola encore plus loin, hors de ma vue, suivie de son galant. Mon vélo sur l'épaule, chaussures cyclistes dans les poches du maillot, je glissais sur les derniers éboulis surplombant la route lorsque des éclats de voix me parvinrent. Un groupe de promeneurs montait bruyamment. Je sautai sur le chemin à quelques mètres d'eux. Interloqués, ils s'arrêtèrent et encore tout saisis, répondirent à peine à mon salut. Tandis que je changeais de chaussures, je les vis grimper sur quelques mètres, glisser en s'exclamant, puis après avoir un instant dirigé leurs regards vers le col, faire demi-tour. Une voiture les attendait à deux cents mètres. Ils avaient, à leur manière, pris un moment de plaisir dans la nature. Sauraient-ils un jour goûter le charme véritable de celle-ci ? Emile GOUTTES Chambéry (73) |