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UNE RUDE MONTEE

Revue N° 06 Page 40

Daniel m'avait dit :

"Puisque tu vas en Dolomites, je te conseille vivement les TRE CIME DI LAVAREDO... tu vas comprendre ta douleur... quand j'y ai été avec Joël, pendant les derniers kilomètres, je n'ai pas vu le paysage, et la sueur tombait de mon nez directement sur le moyeu arrière..."

Bigre ! ! ! De quoi sentir des démangeaisons dans les mollets de l'araignée à pédales qui me trotte sans répit dans le plafond !

Il fait un temps merveilleux ce dimanche matin, je roule allègrement le long du joli petit lac de MISURINA, et voici la bifurcation, avec un hors-d’œuvre annoncé à 16 %, mais qui ne dure que quelques hectomètres. De l'autre côté, ça redescend, moins raide mais plus long. Une file de voitures arrêtées : c'est le poste de péage, mais pour moi, cycliste, aucun prélèvement boursier n'est prévu. Je demande quelques précisions au préposé qui m'annonce du 20 % ! Bah ! c'est moins pessimiste que ma carte qui, elle, indique un passage à 26 !

Il me revient à la mémoire un article de "l'Équipe" parlant de "rampes monstrueuses" (!?) lors d'une étape du GIRO terminée là-haut.

Je repars... la route descend encore légèrement, puis devient plate. Ah ! me voici au pied du talus, parmi les pins, mais cela monte maintenant... pas trop... comme un quelconque télégraphe. Deux ou trois petits lacets... ça ne va pas trop mal, un virage à gauche et... Ô funérailles ! Droit vers les aériennes falaises... J'ai toutes les peines du monde à arracher mon 32 X 25, mais je ne veux pas mettre pied à terre. Un feu me brûle les poumons, ma tête, mes cuisses et mon cœur me font l'effet d'éclater... Il y a longtemps que je n'avais souffert ainsi sur un vélo, même dans le GROSSGLOCKNER, avant-hier j'étais beaucoup plus à l'aise...

Ralentir le rythme ? Facile à dire... je suis déjà au minimum (et volontairement encore) depuis le début de la rampe.

“ FORZA COPPI ! "... "CORRAGIO ! ”... Les Italiens (en voiture) ne me ménagent pas leurs encouragements. Les Allemands et Autrichiens, eux, ne s'exclament pas : ils donnent un coup de klaxon discret, puis sortent le bras par la portière, poing fermé et pouce en l'air, geste significatif. Manifestement ces touristes ne voient pas souvent un cycliste escalader une telle rampe en restant sur son vélo... Mais, et malgré tant d'admiration, le Coppi du jour n'est pas à la fête ! Un lacet, puis un autre, interminables. La pente ne s'adoucit pas. Pas la peine d'essayer de regarder le paysage, l'effort est trop violent, on verra à la descente... Toute l'attention est mobilisée au grignotage des hectomètres.

Le refuge AURONZO apparaît enfin, et avec lui la fin du calvaire ? Mais non : la route tourne en lacet... et continue. Je lève les yeux, furtivement…. Là-haut, toutes ces voitures... tout ce monde, ce doit être la plate-forme terminale. Il faut encore s'arc-bouter pour avancer...

J'entends des encouragement de plus en plus nombreux, de plus en plus bruyants : je suis bien en Italie ! Et dimanche par-dessus le marché !

Le dernier virage, les derniers décamètres. J'ai le temps d'apercevoir des touristes qui, photographiant leurs familles, attendent que j'arrive dans le champ de leur objectif pour actionner le déclencheur. Il y en a même un qui filme mon arrivée ! Inconcevable chez nous !

Ca y est, enfin, je pédale soudain dans le vide, j'aperçois une borne parmi les voitures, je m'y dirige : "Altitudine 2400 m".

C'est fini, je peux m'écrouler sur mon vélo, trempé de sueur, corps tremblant, à la limite de l'asphyxie. Mais j'ai vaincu la terrible pente et ses 650 mètres de dénivelée en moins de quatre kilomètres !

“ Madona ! Qué corragio !” Est-ce que je rêve ? Des Italiens enthousiastes se sont précipités sur moi, me soutiennent, me congratulent, me frictionnent, me bichonnent ! L'un sort de sa voiture une serviette de bain pour m'essuyer, un autre une couverture pour que je ne prenne pas froid... Je n'aurais jamais, en France, pu imaginer un tel accueil, surtout pour un simple cyclo ! Je reste abasourdi, stupéfait !

Les voilà maintenant qui examinent ma monture... et je m'aperçois qu'ils sont connaisseurs : ils me demandent les cotes du cadre, les entraxes, les inclinaisons... ce que j'en pense. Mon "triple" et sa petite denture de 32 les intrigue ; ce matériel n’existe pas en Italie de façon courante comme chez nous, et bien sûr, je me trouve assailli de questions sur le prix, la qualité, la fiabilité de ces accessoires… capitaux. Je réponds du mieux que je peux.

Ils prennent enfin congé pour effectuer leur sortie montagnarde - ce sont aussi des sportifs qui connaissent la valeur de l'effort physique et à présent, je m'explique mieux leur bruyante sympathie.

Je redescends au refuge AURONZO d'où part un chemin facile, plat au début, en pente modérée ensuite quoique pas toujours cyclable, et qui me conduit à la FORCOLLA DI LAVAREDO, à 2445 m, d'où l'on contemple les fantastiques faces Nord des trois cimes où se sont illustrés les plus grands alpinistes. Un paysage minéral d'une beauté absolue sous le ciel pur, sans doute l'un des plus grandioses de la planète.

Je redescends maintenant, avec prudence. Je rencontre un cyclo lyonnais (à pied...) qui me dit n'avoir jamais rien rencontré d'aussi dur, ni Ventoux, ni Puy-de-Dôme, ni Forclaz. Je suis bien de son avis, mais il reste sceptique quand je lui dis avoir réussi... sur mon vélo. Plus bas, j'en trouverai d'autres, Italiens, ceux-là, et munis de développements bien trop grands aussi...

Je songe que je viens de vivre l'une des plus belles journées de ma vie cycliste. Et je rêve maintenant à tous ces cols prestigieux que je n'ai pu encore gravir dans cette région bénie des Dieux : le Tonale, le Pordoï, le San Pellegrino, le Gavia, le Rolle, le Brocon... et tant d'autres ...

Je reviendrai en Dolomites...

Gérard PRUNIERES

Saint-Jean-de-Maurienne (73)


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