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AUX DERNIERES NOUVELLES, LE DIABLE S’ENFERRE (A.F.P.)

Revue N° 06 Page 58

QU'IL Y AIT PLUS DE CYCLOTOURISTES EN ENFER QUE SUR TERRE SEMBLE PARADOXAL, MAIS C'EST UN FAIT.

COMMENT ? VOUS DESIREZ SAVOIR POURQUOI ?

BIEN. ALORS ECOUTEZ...

Un jour, au cours d'une de ses désastreuses expéditions terrestres, le Diable dut parcourir une vaste région montagneuse à bicyclette. Or, il n'aime pas, que dis-je, il a en sainte horreur ce moyen de locomotion basé sur un équilibre précaire et sur la force musculaire. Mais comme un lot d'âmes de bonne qualité l'attendait au bout de l'itinéraire, il dut se résigner au sacrifice. Hélas ! En fait de sacrifice, ce lui fut un calvaire ! Et seul un régiment d'innocents aux mains d'inquisiteurs persévérants pourrait faire le compte de ce qu'il endura ! Et encore !

Ce qu'il souffrit, en laissant traîner dernière lui une forte odeur de soufre ! Il sua, s'étouffa, s'asphyxia ! Il laissa sa peau et sa graisse dans les montées. Ses os dans les descentes ! Il mourut de soif sous des soleils ardents ! Creva de faim dans les passages désertiques ! Sur les rares sections plates, il dut repousser mistral, tramontane, simoun et autres vents anonymes mètre par mètre, comme on procède avec un taureau en le prenant par les cornes pour l'obliger à reculer ! Il fut rabroué par des gens d'hôtels ! Hué par des gamins effrontés qui lui criaient "baisse la tête, t'auras l'air d'un coureur !". Il fut cent fois contrôlé par des gendarmes tatillons ! Il creva, brisa des chaînes, tordit des pédales, faussa son guidon, péta des rayons, contorsionna ses jantes ! Il faillit se pendre à sa potence pendant que sa roue libre le faisait dans les deux sens. La selle lui mit les fesses en hachis ! Sa fourche se coinça dans celle du vélo lui occasionna maintes cabrioles ! Sa queue fut laminée par les engrenages pleins de cambouis. Mille moucherons lui vrillèrent les yeux ! Les guêpes lui entrèrent dans les narines, les taons dans les oreilles et les frelons le transformèrent en passoire ! On lui faucha sa pompe ! Il perdit son chemin ! Et pour finir, au cours d'une journée de pluie battante de grêle, de neige fondue, de bise glaciale, il fut flagellé, transpercé, inondé, noyé, gelé ! ! !

Sabots fendus, cornes usées, queue basse, il rentra enfin dans ses états. Ses lieutenants durent le suspendre à un fil de fer pour le sécher. Puis, ils le tinrent au lit pendant six bons mois, glace sur le front, bouillotte aux pieds, emmailloté comme un bébé, pour le guérir des rhumes, grippes, pneumonies, bronchites, trachéites, contractures, courbatures, lumbagos, rhumatismes, douleurs articulaires, plaies, bosses, abcès, ecchymoses, traumatismes et autres cadeaux terrestres !

C'est au cours de cette sombre période de sa vie qu'il rumina sa vengeance. Dès qu'il reprit quelque activité, il remodela son empire à l'image de la Terre, géographie, activités, climats compris. Puis, à sa panoplie du libre-service des supplices volontairement obligatoires, il accrocha le cyclotourisme en bonne place, agrémenté d'une belle publicité mensongère.

Après quoi, il dut s'absenter encore, en se frottant les mains à l'avance...

Lorsqu'il revint, cinq ans plus tard, les échos les plus aphones résonnèrent longtemps des coups dont il se frappa le front. Les plus chétifs répercutèrent à l’infini les effroyables jurons et les menaces incendiaires qu'il proféra. Hélas, le mal était fait et il n'y pouvait plus remédier. Les lois et les créations de Satan sont éternelles. Dieu, lui-même, n'aurait pu le secourir ! Il fallait avaler la pilule et digérer le désastre !

Mais que s'était-il donc passé ?

Partout, dans les vallées les plus profondes
Comme sur les monts les plus élevés,
Dans les plaines comme dans les déserts,
Sur les routes les plus roulantes
Comme sur les chemins les plus rustiques,
Parmi les champs, les bois, les prés,
Par tous les temps,
En toutes saisons,
Enfants et vieillards, jeunes et vieux,
Bonnes d’enfants et militaires
Pompiers et policiers,
Manchots et unijambiste
(même un cul-de-jatte),
Tous chevauchaient des vélos étincelants
A leurs mesures !
Tous, trempés le matin, cuits à midi,
Ventés le soir,
Couraient villes et campagnes, à l’affût
D’un glacier ou d’une cathédrale,
D’un papillon ou d’un éléphant,
D’un baobab ou d’un coquelicot !
Ou simplement à la recherche de l’air pur
Du printemps, de l’été, et même de l’hiver !
Tous resplendissaient de santé !
Tous pédalaient, sourire aux lèvres, joie aux yeux,
Chanson au cœur !
Tous partaient pour des randonnées infinies,
Couchant dans des palaces ou dans
Des bauges, dans le foin ou sous la tente !
Tous mangeaient comme quinze, buvaient
Comme des trous,
Sans compter ce qu’ils grappillaient en
Route, merises, fraises des bois, châtaignes
Et pommes tombées !

Mais le plus grave, c’est que les autres supplices ne se vendaient plus qu’à quelques attardés. Les huiles bouillantes, les coltars gluants, les joyeux fagots, les trains d’enfer, pourrissaient sur les étals, sous l’œil désolé des diablotins aux tiroirs caisse tapissés de salpêtre !

Plus grave encore, catastrophique même, c’est que tous ces gens refusaient leur transfert en paradis. Ils signaient même des contrats de tourments éternels, ce dont ils avaient le droit, Satanas ayant lui-même inscrit cette possibilité dans sa Constitution ! D’ici peu la crise et le chômage s’installeraient dans l’Eden…

… Où pourtant, tout n’est que douceur, calme et volupté.

Roger LEBRETON

Villebon (91)


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