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Les Karwendel

Revue N° 08 Page 28

(Generalkarte Osterreich n° 8. Bandes 12 et 15)

Pourquoi faut il que la prose de la veille ne soit plus, le lendemain, que discours oiseux, récit de voyage n'intéressant même plus son auteur ... Heureusement, sous la plume de quelques uns, on puise quelque réconfort ; de Daniel Provot qui cherche l'homme à travers ses écrits (n° 6), un homme qu'on aimerait souvent connaître ; d'André Voirin qui formule (n°7) quelques exigences morales évitant de s'enliser dans une comptabilité saugrenue ; (en parlant d'autre chose, tiens, je n'ai encore pas fait le col de Bresson !). Et Pierre Roques, auteur d'un "placard publicitaire" dans la revue fédérale, qui montre que Godefroy est un bon et indulgent lecteur. Comme nous le sommes tous sans doute, apportant dans ces pages ce que nous recherchons et aussi ce que nous sommes.
Alors, tant pis si plaisir d'écrire n'est pas toujours bonheur d'écriture...

C'est au Scharnitz pass, modeste col entre Mittenwald et Innsbruck que commence le chemin de la Karwendeltal. Route de terre d'abord en forte pente, puis en palier, le long d'une immense falaise de calcaire gris. Le ciel se couvre. Nous n'avons pas trop vu le soleil depuis les brumes vosgiennes du B.R.V. Il pleuvait même très fort sur les rives du lac de Constance et en Allgau. Chaque soir, nous avons trouvé un toit, mais la couverture de survie fut bien utile pour dormir sur le foin mouillé. Dans le massif du Riedberg une jolie surprise : un col non signalé de 1 420 m, avec de beaux raidillons ...

Hier, nous étions à Neuschwanstein que je voulais revoir après dix ans et faire connaître à Jacques et à Marie. Souvenirs cuisants ... Descendant un raidillon goudronné - les Allemands font trop bien les choses - je dérapai sur mes cale-pédales et m'étalai devant trente touristes qui s'esclaffèrent “teutonniquement”. Je repartis fort vexé, avec un pouce foulé. Le lendemain, je tentai vainement la traversée du Timmelsjoch encore fermé sur le versant italien, me rabattis sur le Brenner pour aller prendre le train à Vipiteno vaincu par la douleur et le moral en berne. Il faut vous dire qu'en ce mois de juillet 69, il pleuvait, il pleuvait ! Dans ces pays-là, quand il fait beau, c'est qu'il va pleuvoir.

Nous sacrifions quelques marks à la visite de ce château extravagant. Que de monde ! La Bavière a bien dû amortir les folles dépenses de son roi fou ... La cassette en français que le guide a glissée dans son magnétophone est inaudible, mais qu'importe. On est venu pour voir, pas pour comprendre. J'aime bien ce château de rêve vu du Teufelbrück. Qu'aurait fait le facteur Cheval, avec les mêmes moyens financiers ? Un raccourci forestier, au sol fort meuble, nous a conduits à Altenau. Route loin de tout, où l'on retrouve on ne sait pourquoi l'enthousiasme et l'innocence des premières randonnées. Nous avons ce soir-là partagé le foin de l'étape - enfin sec - avec une famille allemande, juchée sur des robustes vélos. Les échanges linguistiques ont tourné court.

Bref coup d'œil ce matin à Linderhof, petit château bien sage à côté de ses frères, puis l'Ammersattel pour se mettre en jambes ; à Plansee, le petit chemin de terre le long d'une frontière fictive, qui ramène sur Garmisch ; Mittenwald enfin aux maisons peintes que nous n'avons pas assez admirées. Fin de la digression.

Les derniers lacets sont raides (passage à 23%) et caillouteux : malgré le 28/26, je me plante deux fois dans les virages. Dans les alpages, le crachin est glacial, mais nous sommes sous 1a Birkkarspitze, une belle et formidable pyramide. Si mes diapositives “ne cassent rien” le souvenir que j'emporterai de cette traversée comptera parmi les plus beaux de la saison. Roger Lebreton qui ne photographiait plus depuis longtemps tenait pour vaines ces images que l'on regarde un peu et que l'on oublie, ces images jamais aussi belles que le souvenir. Et d'ailleurs, je n'ai pas de photo de cet homme bon et courageux, qui nous a si vite quittés, et que nous n'avons pas eu le temps de connaître et d'aimer.

Le Hochalmsattel (1 803 m) peut être tenu pour un col routier, mais pas celui d'en face, le Hohljoch (1 791 m). Dans la descente s'embranche un sentier qui semble rejoindre en courbe de niveau le chemin de la Falkenhütte, où nous comptons aller dormir. Il nous éviterait bien une belle perte d'altitude. Je pousse une reconnaissance. Non, mieux vaut s'abstenir. Je les retrouve tous deux plongés dans un sac de guidon. Ils mangent sans moi ? Non, ils contemplent un désastre ! Et c'est triste à voir, un succulent yaourt autrichien d'une livre répandu parmi les provisions ... 0 Jacques, expert en produits laitiers, ignorais-tu qu'on ne pose point un pot plastique sur des objets anguleux quand cahoteux est le chemin et incertain le lendemain ... On a fini par trouver un sentier un peu plus bas, qui s'avère très vite être un traquenard. Tout en disputant le vélo aux racines et aux cailloux, je me dis qu'inclure ce genre de col dans une randonnée routière, ce n'est pas malin ; qu'entraîner dans ce guêpier une jeune fille trop confiante, c'est blâmable. Je repense à ce jeune cousin, de x vingt ans mon cadet, embarqué jadis par mes soins dans une galère en Oisans : on avait loupé le sentier de descente des Prés Nouveaux. Une vocation que j'ai dû tuer dans l'œuf, quoique j'en doute.
D'où vient qu'en cette fin décembre je n'aie ni regrets ni remords ? C'est que seul demeure le trésor, quand le froid gagnera nos membres, de ces moments passés ensemble, où nous pataugions sous le “joch”. Marie, m'en voulais-tu alors, et en pensais-tu pis que pendre ? Tu ne me l'as pas dit encore, mais je ne tiens pas à l'apprendre.
C'étaient des vers. “Insanis versibus”, comme disait Bénin à Broudier dans certain livre de Jules Romains où il est question de vélo.

Enfin, le chemin, et même, au hameau d'alpage de Pürsch, un chalet aménagé en dortoir ! Il se fait tard, je m'en contenterais, moi, car j'en ai assez. Mais les amis aimeraient bien un peu de confort, alors en route pour la Falkenhütte ... Rude montée, puis bifurcation : le refuge par le chemin, sûr mais le long, ou par les prairies. Le jour baisse, on coupe au plus court. Et une fois de plus, on fait le mauvais choix. Montée épuisante dans un alpage glaiseux à souhait, où l'on recule plus qu'on n'avance. Quel chemin de croix ! Nous finissons par délester le vélo de Marie de ses lourdes sacoches arrière et hissons le bazar en deux fois. Quand nous arrivons pantelants, il fait nuit. De la nourriture chaude et un bon lit valaient bien ça.

Samedi 7. Le Hochalm, derrière nous, dessine dans la brume un demi cercle parfait. Nous contemplons une fois encore les beautés multiples de “Kar”. Horreur ! le col qu'on croyait tout près est de l'autre côté d'un profond vallon. Il faudra deux heures pour l'atteindre et beaucoup de temps pour le descendre par un sentier long et glissant.

A Eng, longue toilette des vélos, des souliers, de ce qui dépasse des vêtements et on attaque, un peu plus bas, le 3° col, le Plumsersattel (1649 m) cyclable et de pentes raisonnables. Chacun grimpe à sa manière, Marie grignotant la pente d'une pédale légère et efficace, Jacques souvent en danseuse et dont le vélo a bien du mérite et moi, qui m'économise pour durer. Au sommet, des vaches paisibles, des promeneurs amusés et un bon chemin, qu'on doit pouvoir descendre à vélo avec une demi-douzaine de fagots et un parachute.

Pertisau, l'Achcensee. C'est fini. Consultez le Guide Michelin page 97. Nous plongeons vertigineusement vers Jenbach et un autre monde plus banal. Par Vomp, Fritzens, nous rusons pour éviter la grande route et atteindre Innsbrück, décevant et mort en ce samedi de vacances. A Sellrain, une grange très aérée nous accueille. Heureux pays, où un gîte vous attend toujours.

8 Juillet. L'Autriche nous fait ses derniers sourires, car l'éclaircie est terminée. Les musiciens en costume de Sankt Sigmund ; les petits bonhommes de foin par milliers qui donnent tant de charme au pays ; les plantureux petits déjeuners qui font oublier les misères du temps. Car il pleut à verse dans les pentes terribles du Kühtai et il pleut encore dans l'Ôtzal, et à Imst, il pleut toujours. Déluge qui, hélas, ne décourage pas l'homme à quatre roues. On tient conseil. Rentrer par l'Arlberg ? Non, trop de voitures, et c'est abandonner trop vite. Le Hahntennjoch ? Non, un col nouveau doit être un plaisir, pas une corvée. Alors, on se replie sur le Fernpass, si joli avec ses petits lacs, quand il fait beau. Là-haut, on attend en vain que ça passe. Et c'est ainsi que la nuit est venue et qu'une infirmière diplômée, un honorable cadre commercial et un instituteur au 10° échelon ont couché dans une remise, au milieu des poubelles. A vrai dire, Marie s'est installée au fond d'un autocar et nous sur des cartons d'emballage pleins de frisure de bois. On n'y était pas si mal que ça. C'est si bon de jouer au clochard de temps en temps ...

Le temps s'améliorera lentement le long de l'interminable Lechtal. Le Flexen sera pour moi le dernier col nouveau. On en a bien laissé en route, mais j'ai déjà bricolé un autre itinéraire. C'est si beau et ce n'est pas loin ...

Retour sans pluie à travers la Suisse par le Wallensee, le Susten et les Mosses. A titre d'information, les chambres chez l'habitat en Allemagne et en Autriche sont très abordables : l'équivalent de 30 F, mit Frühstück (avec petit déjeuner). A Krattigen, Suisse, il y a une grange vaste et confortable, avec autour, quantité de cerises à marauder, que personne ne vient cueillir. Ce n'est donc point pécher. Les meilleures sont celles de l'arbre en bas du pré.

Marcel BIOUD

CLAIX (38)


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