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Episode Autrichien

Revue N° 08 Page 34

Dimanche 5 août 1979. Une journée comme les autres ? Tout porte à y penser. Ce matin, lorsque nous émergeons, Marc et moi, de notre duvet, le soleil prodigue déjà ses rayons à la montagne qui nous entoure. Depuis plusieurs jours, nous écumons les grands cols suisses et italiens ; Furka, San Gottardo, Bernina, Stelvio . . .

Hier soir, nous sommes passés sur le territoire autrichien par le très joli pont de Sillian. Ici, comme en Suisse, les magasins sont fermés le dimanche. Il faut s'en faire une raison et transporter les provisions pour la journée entière. Un magnifique cadran solaire, peint sur le mur d'une maison de Lienz, nous indique 8 h 30. Un quart d'heure plus tard, un groupe de cyclos nous croise et nous salue lorsque nous attaquons notre premier col autrichien : l'Iselsberg Pass. Nous sommes immédiatement plongés dans le bain ; le terrain nous confirme les indications de la carte : 6 kms à 10 %. J'hésite entre 26 x 25 et 26 x 30. Marc, quant à lui décide d'opter pour 26 x 26. De toute façon, il n'a pas plus petit. Malheureusement pour lui. Mais ça, c'est une autre histoire que nous verrons plus loin.

Pour l'instant, nous atteignons sans trop d'encombres le sommet du col. Tout va bien : la température est estivale et quatre petits kilomètres de descente très bien goudronnés nous attendent. Car ici, comme en Suisse alémanique, tout est propre et net. Les routes sont en macadam ; aucun dépôt d'ordures ne vient assombrir le paysage ; toutes les habitations possèdent un balcon et tous les balcons sont ornés de fleurs. Ce qui rend particulièrement agréable la randonnée à bicyclette.

Nous nous arrêtons pour remplir nos bidons à une magnifique fontaine sculptée ressemblant à un totem à échelle humaine, puis nous déjeunons au bord d'un ruisseau dévalant la montagne, non loin d'une impressionnante cascade ; ce qui nous vaut la visite de nombreux auto touristes armés d'appareils photo, de caméras, de pieds, etc ...
Mais les réelles difficultés approchent. Sur un faux plat, deux cyclistes nous doublent en grande vitesse. Nous restons dubitatifs quant à leur allure. A raison, car ils ne tardent pas à s'arrêter au village situé au pied du célèbre Grossglockner : Heiligenblut.

Quelques photos et nous continuons. Marc part devant, comme à son habitude, tourne à droite sur la place centrale, opère un mystérieux et savant demi tour, puis repart. Ce n'est pourtant pas dans ses habitudes d'hésiter comme cela devant l'obstacle. Mais lorsque j'arrive, un simple petit panneau m'explique tout : 12 % sur 16 kms ! Le plat de résistance de la journée ne s'annonce pas très digeste mais nous l'entamons avec toute la conviction nécessaire, aidés dans notre action par un ciel qui ne s'est pas encore décidé à se couvrir.

Cependant, au détour d'un virage, la pente se fait soudain moins rude. Une pancarte nous indique : péage à 100 mètres. Comme sur beaucoup d'autres routes autrichiennes en haute montagne, les automobilistes et les motards doivent acquitter un droit de passage. Heureusement, pour les cyclotouristes, c'est l'effort gratuit dans toute l'acceptation du terme. Mais leur passage n'a pas été prévu. C'est pourquoi nous sommes accueillis par de grands gestes, d'où il ressort que nous devons passer sur le trottoir, sous peine de déclencher une alarme !

Après six bons kilomètres, une brève descente nous donne quelque répit. Marc achète des cartes postales dans un hôtel restaurant, pendant que je continue jusqu'au carrefour où se détache la Gletscherstrasse, route sans issue menant au Franz Josefs Hôhe, face au Grossglockner. Bien sûr, vicieux comme nous sommes, nous décidons d'y grimper : ça nous donnera l'occasion de descendre 9 kms à 10 % pour reprendre notre route.

A mi chemin, un banc inoccupé, surplombe la vallée, face à l'imposante chaîne autrichienne, m'accueille pour une petite halte casse croûte ; en attendant Marc, qui ne tarde pas à me rejoindre ... en compagnie d'un cyclo sacoches à l'avant, petit braquet manifestement français. Celui ci met pied à terre à ma hauteur et, apercevant mon médaillon accroché à mon sac de guidon, me dit : “Tiens, un collègue des 100 cols. Je me présente : Philippe Giraudin.” Madame, en bonne épouse, suit à quelque distance. Renseignements pris, ils effectuent un Vienne Paris par le chemin des écoliers et font aujourd'hui le parcours inverse du nôtre. Ils nous parlent des alpes autrichiennes situées plus à l'est et nous préviennent que, dans la descente du Hochtor que nous aborderons ce soir, il y a une petite remontée de 200 mètres environ. Ce qui n'est pas pour nous inquiéter outre mesure.

De plus en plus de voitures nous doublent le long de cette voie sans issue. On se prend à imaginer l'encombrement “là haut”. Mais une fois arrivés, surprise : un parking de quatre étages sur une centaine de mètres de long à 2 360 mètres d'altitude ! Et une foule bigarrée de touristes “sportifs” nous dévisage. Eux, dont le plus gros effort, comme dirait Jacques Faizant, est de claquer la portière de leur “chère” automobile. Inévitablement, le Français de service nous aborde, s'enquiert de notre provenance, s'étonne que nous venions de si loin à vélo, mais ne semble pas autrement surpris de ce que nous réussissions à escalader de tels cols avec nos bagages. Je n'ai jamais parcouru de col enfermé entre quatre murs de tôle ; mais j'imagine que le pourcentage de la pente doit paraître une notion assez vague ... tant que l'on n'est pas contraint de passer la première bien sûr ...
Une fois ces présentations, toujours à sens unique d'ailleurs, terminées, Philippe consulte son guide et nous conseille de scruter attentivement le glacier : effectivement, des randonneurs pédestres, en file indienne, tels de minuscules fourmis, se promènent sur la glace qui nous renvoie en quantité importante la lumière qu'elle reçoit du soleil.

Alors que celui ci commence à décliner, les Giraudin s'apprêtent à chercher une chambre à l'hôtel du Grossglockner. Aussi, nous les quittons en ne manquant pas de les inviter à la concentration nationale de Pentecôte qui aura probablement lieu à Rouen en 1981, puis nous redescendons jusqu'à la route que nous avons quittée tout à l'heure.

Marc se restaure avant d'entamer les sept derniers kilomètres du col. Pour ma part, je continue, étant persuadé qu'il ne tardera pas à me rattraper. En effet, après une dizaine de minutes, il est là, deux courts lacets en aval.

Quelques kilomètres plus loin, m'apercevant qu'il ne m'a pas encore doublé, je me retourne et ne vois personne venir. Le sommet du col et la fin de cette pénible ascension ne tardant pas à intervenir, je n'ai vraiment pas l'intention de me refroidir. Mais la pente se fait de plus en plus sévère, les autrichiens ayant la fâcheuse manie de couper les virages. Et lorsque se présente une centaine de mètres à 16 ou 17 % après 20 kms à 12 % et avec 25 kilos de bagages sur la bicyclette, je dois avouer que le 26 x 30 ne paraît pas ridicule du tout, même si cela devrait faire sourire certains “couraillons” du dimanche matin qui ne connaissent guère que le 42 x 18 comme plus petit développement. Mais là, sur ce terrain, c'est une toute autre histoire.

Enfin, j'arrive au tunnel du Hochtor et regarde la route qui déroule ses impressionnants lacets. Mais toujours pas de Marc à l'horizon ; lui qui d'habitude, arrive avant moi au sommet des cols. Il avait pourtant bien médité les propos plein de sagesse de Pierre Roques (on a toujours besoin de plus petit qu'on a) mais il s'était dit que “26 x 26, ma foi, ce serait bien la mort si je n'y arrivais pas avec ça”. Mais, sur les pentes de ce col autri-chien, il a dû s'arrêter plusieurs fois et a déjà pas mal entamé ses réserves de nourriture. Aussi, lorsqu'il parvient au tunnel, se précipite t il dans une petite boutique où il réussit à dénicher une tablette de chocolat ... qu'il lui faut marchander de longues minutes car il n'a pas assez de monnaie sur lui.

De l'autre côté du tunnel, des enfants se battent à coup de boules de neige. Nous nous couvrons et dévalons à une vitesse vertigineuse les 4 kms à12% annoncés par la pancarte.
Puis la pente s'inverse. Marc n'en croit pas ses yeux, ni ses jambes et consulte sa carte. Pas de doute, il nous faut remonter LA HAUT ! Eh oui, le panneau du Fuscher Tbrl n'indique pas 200 m, comme nous l'avait annoncé Philippe Giraudin, mais, différence démoralisante au possible pour qui s'attend à une superbe descente, DEUX KI LOMETRES à 12 % ! Même pour un spécialiste, les descentes sont souvent trompeuses.

Marc, qui décidément n'en avait jamais vu autant en une seule journée, grimpe quelques centaines de mètres derrière moi, en grommelant un monologue assez incompréhensible que l'on pourrait résumer par: “échangerais d'urgence couronne de 26 contre 30 ... ou plus”.

Enfin nous voilà au bout de nos peines. Il. est 18 h 30 ; nous n'avons ni le temps, ni surtout l'envie d'emprunter cette petite route sans issue , se détachant sur la droite et au nom pourtant bien prometteur, Edelweiss-strasse : elle grimpe à 14 % sur 1500m ! Nous préférons aborder la magnifique descente qui s'offre à nous: 16,8 kms à 12 %. Je crois que nous l'avons bien méritée. Et elle tient ses promesses: entièrement en macadam, bien sûr, avec seulement quelques épingles à cheveux conservées on ne sait pourquoi en pavés.

L'autre poste de péage au bas du col est franchi , comme un boulet de canon; si bien que l'on ne sait si une quelconque alarme a réveillé le préposé qui, probablement, sommeillait déjà.
Il est 19 h 30 lorsque nous pénétrons dans le terrain de camping de Fusch où nous nous installons à côté d'un Italien des “100 cols” ne parlant pas un mot de français. C'est pourquoi le dialogue se résume à : “Me, 100 cols, Annecy, domani, Grossglockner”. La seule chose que nous pouvons faire est de lui souhaiter bonne chance mais nous ne savons pas qu'il nous comprend. De toute façon, la nuit approche à grands pas. Nous nous hâtons de monter la tente et de préparer le souper, alors qu'une magnifique pleine lune fait son apparition. Après le dîner, une bonne douche me prépare pour la nuit; mais Marc ne m'a pas attendu pour plonger la tête la première dans un bon sommeil réparateur, jurant, sans doute, mais un peu tard ...

Philippe GARCIA

ROUEN (76)


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