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Le Renquilleur et le Vélo

Revue N° 08 Page 37

Extrait du journal “LA SUISSE” de GENEVE

FAITES DU VÉLO ! FAITES DU VÉLO, C'EST LA LIBERTÉ, LA JEUNESSE, LA SANTÉ, LA MINCEUR.

Alors, j'ai laissé ma voiture et, de la rédaction àmon domicile, j'ai pédalé. La traversée de la ville de GENEVE à vélo, c'est du grand reportage Que dis je, de la ville. Il suffit du pont du Mont Blanc. Trois cents mètres de peur.

Vous êtes en équilibre sur quinze millimètres de caoutchouc et vous devez vous faufiler dans le cortège des blindés. Comme un Sioux tout nu dans un troupeau de bisons. D'abord : où se mettre ? A droite, évidemment. Près du trottoir. Trois cents mètres à survivre, à filer sans frémir, les fesses bien serrées, les coudes aussi, Un écart àdroite, et vous chopez le béton. Un écart à gauche, un bison vous corne. Et c'est la chute, vous roulez au sol, un camion, deux camions et vous voici comme un hérisson, plat, repassé, fermé.

Notez qu'il y a tout de même des cyclistes qui réussissent à vivre assez longtemps. Ils circulent toujours à droite, toujours et encore et vont là où ils ne voulaient pas aller. A Lausanne, par exemple. Parfois, certains d'entre eux veulent aller tout droit ou à gauche ; ils doivent donc changer de voie de présélection. Quel joli mot. Il sonne comme prédestination.

J'ai donc essayé et je fus sélectionné pour une autre aventure. C'est à dire que je dus me glisser entre le troupeau montant et la horde descendantee des bisons. Prodigieuse expérience. On a le nez sur le cul ou le mufle des engins et, en risquant un œil à l'intérieur, on distingue ceux des propriétaires. Ils vous regardent comme si vous étiez une poule. Je l'écrase ? Je l'évite ? De toute façon vous êtes une poule, donc une crétine, une qui-n'a-pas-à-être-là, donc à leur merci.
Mais je suis encore vivant et j'ai même réussi à pédaler sur d'autres fronts. La traversée du boulevard du Pont d'Arve, par exemple, ou la rue du Rhône à 18 heures. Et le quai de Cologny à l'aube à l'heure où les bisons sont plus rares mais plus véloces : ils vous décoiffent en passant .... Une descente de la Servette n'est pas mal non plus. Le double virage de la place Bel Air est un chef d'œuvre.

Puis un jour, j'ai bavardé avec mon médecin. "Tiens ! Vous avez perdu de la brioche, le souffle est meilleur. Mais les nerfs, hum ... pas fameux. Qu'est ce qui vous arrive ?"
Je lui ai expliqué l'angoisse, le complexe du hérisson.

“Malheureux ! Le vélo en ville est périlleux. Le seul moyen de se protéger du mépris des citoyens est de faire partie d'une course cycliste ... par exemple, le Tour de Romandie. Là, vous êtes estimé, protégé. Que dites vous ? Vous préférez le cyclisme solitaire ? Vous êtes aussi singulier qu'un lépreux ... jadis on les plaçait hors les murs, vers les marais de Plainpalais. Si vous persistez, nous vous enverrons dans d'autres régions peu peuplées, quasi sauvages, là où l'État, dans sa grande bonté, trace des pistes cyclables”

Le RENQUILLEUR


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