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C'est pas du gâteau c'est du comté

Revue N° 08 Page 40

Brantes, BPF du Vaucluse. Le 24 août 1979. Six cyclos-campeurs versaillais émergent : Claire, Bénédicte, Denis, Bertrand, Michel et moi même.

7 h 30 Rassemblement autour du petit déjeuner (qui n'a de petit que l'adjectif), l'ingurgitation de celui-ci ayant pour effet de dissiper les dernières brumes de sommeil. Les langues se délient. Le sujet est évidemment l'étape du jour : Le Ventoux. Son ascension ne poserait aucune appréhension par une des routes habituelles, mais nous avons décidé (cet hiver, au chaud !) de le gravir par le Col du Compte. Je dois avouer que je suis le plus sceptique, car cette nuit il y a eu un violent orage qui a tout détrempé, y compris Claire et Michel, leur tente ayant reçu l'option “eau courante” (non pas par E.D.F.). De plus, notre précédente expérience de cyclo camping nous avait transportés de Saint-Etienne de Tinée à Bayasse en passant par le col de la Moutière et avait eu raison de la roue libre de Denis (3/4 de descente).

Ici 8 à 10 kms de montée caillouteuse et peut être boueuse. Connaissant le désagrément du “pousse-pousse” je suis prêt à revenir sur mes pas et à monter par la route. Hélas, ou heureusement, le vélo à plusieurs, ce n'est pas si simple : un pessimiste à 7 heures, devient optimiste à 8 heures et enragé à 9. Merci à vous mes camarades de club.
C'est parti. A 1 500 m au dessus de nous un observatoire au soleil. Heureusement il fait encore frais. Pour pouvoir nous mettre en danseuse sans déraper nous avons mis du poids sur la roue arrière (5 kgs à peu près). Nous passons la célèbre pancarte : "route interdite à tous véhicules à moteur".

Le chemin comporte de bons cailloux qu'il convient d'éviter pour son confort, et pour le maintien circulaire de ses roues !! Cette route forestière servant aux pompiers en cas d'incendie le pourcentage s'avère raisonnable, les poids lourds, tant motorisés que cyclistes s'accommodent mal de la pente ! Celle ci se transforme en faux plat montant pendant 2 à 3 kms. Là, la route est taillée à flanc de montagne. Plus un arbre, que le paysage, le silence. Dans ces moments là je me sens si bien que j'en arrive à me demander pourquoi ? Pourquoi les gens s'entassent ils les uns sur les autres dans les endroits devenus “à la mode”, pourquoi le mercantilisme, la violence, la faim ? Aurons-nous jamais un monde pacifique ? N'a-t-on pas tout pour être heureux sur cette magnifique planète ? En attendant mon remède, c'est ce vélo à qui je dois tant.

La route réintègre la forêt. Sur un tronc, le vélo de Bertrand, il a “perforata la gomma”. Je m'arrête. Heureusement c'est l'arrière, car pour le cyclo-campeur la crevaison à l'avant implique une bataille avec les sacoches afin d'extirper la roue. La réparation menée à bien, nous arrivons au col. Là une bonne surprise, la route marquée en “viabilité incertaines” est goudronnée.

Nous attendons nos minettes, elles arrivent décevant nos espoirs : elles n'ont pas crevé. Nous qui les imaginions, pour une fois, seules derrière, s'entortillant dans les chambres à air, s'engluant dans les rustines, c'est RATÉ. Ici je pose le problème de nos demoiselles à vélo, car non content de ses propres risques de crevaisons personnelles, chacun doit additionner 50 % d'ennuis mécaniques en sus, car, malgré notre mauvais esprit, on nous a enseigné, la galanterie (hélas !).
Nous décidons de manger un morceau. Bertrand à qui cela coupe les jambes préfère manger en roulant, il part donc en avant suivi de près par Denis. La soute bien remplie, nous repartons à notre tour. Après 2 kms Denis nous croise (?) il a perdu son chapeau et retourne le chercher. Il fera des kilomètres en plus sans hélas retrouver son couvre-chef. Si par hasard des cyclos empruntant ce col trouvent un galure en cuir, faites signe au C.C.V.P., merci !

Nous rejoignons la route du Ventoux juste sous les kilomètres à fort pourcentage. Devant moi un couraillon fait des S ; sa monture se cabre sous ses coups de reins ; après 500 m je le vois se précipiter sur une balise de déneigement ! Il l'enserre dans ses bras ! le coup de foudre ? oui mais avec la fatigue. Je le double. Il n'a même pas la force de descendre de vélo. Il est là, cale-pieds serrés se cramponnant à cette bouée providentielle. Je lui dis tout de même bonjour (il m'a répondu, si ! si !). Je n'ai pas osé lui dire d'équiper sa bicyclette d'un 30 X 25 mais je pense qu'il a compris. Dans cette montée mes camarades verront eux aussi de ces insouciants se prenant pour Hinault, et coinçant dans une rampe un peu forte, s'arrêtant pour essayer de terminer, ou renonçant parce que leur 40 X 24 était “un petit peu” trop grand.

J'espère quand même qu'ils n'abandonneront pas le cyclotourisme (si l'on peut qualifier cela ainsi). Voir des jeunes filles pousser leurs sacoches au sommet devrait “leur mettre un peu de plomb dans la tête” (pas trop tout de même c'est lourd). La fédération aurait dû avoir pitié de ces gens là ; un B.P.F. à l'Iseran ! Comment voulez-vous qu'ils finissent leur carte, les malheureux

La vue se développe de plus en plus. C'est très beau, hélas le sommet est dans la crasse (il est à noter qu'il n'y sera que pendant deux heures, et nous aussi !). Malheureusement si les nuages sont intéressants pour les météorologistes, ils le sont nettement moins pour les cyclos.

Tout notre petit monde est là, bien emmitouflé. Un aller-retour au Col des tempêtes s'impose à moi, mais mes jambes s'en seraient bien passées.

Nous redescendons manger au milieu d'une route, rassurez-vous, une “anti-motorisée”.

De toutes façons, il n'est point besoin de moteur pour gravir les cols, un peu d'entraînement (ou beaucoup, il est proportionnel à la hauteur que vous voulez affronter) et un peu d'optimisme (ou d'inconscience c'est selon les avis) et des développements appropriés font le reste.

Quand je pense qu'à Pernes-Les-Fontaines un autochtone, ex-coureur cycliste, nous avait parié que nous n'arriverions “jamais au sommet avec des chargements pareils”. Dommage, il n'est pas venu au rendez-vous.

De toute façon, le Ventoux ne dépasse pas 1 999 m, alors tout reste possible, même un certain Port de Goust...

Jean Pierre RABINE

VERSAILLES (78)


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